Intervention de Julien Aubert

Séance en hémicycle du jeudi 21 juin 2018 à 21h30
Défense du droit de propriété — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Aubert, rapporteur de la commission des affaires économiques :

En effet, aussi paradoxal que cela puisse être, le vol d'une moto est aujourd'hui davantage puni par la loi que la captation du bien d'autrui, parce que celle-ci n'existe pas en tant que délit. La loi ne se réveille de sa somnolence qu'en cas d'occupation illégale de votre domicile, ce qui ne couvre qu'une partie des biens immobiliers que vous pouvez posséder. Cela va même plus loin : elle protégera le voleur qui a pris possession de votre bien en érigeant celui-ci en domicile et en le protégeant avec la même constance et la même intensité que s'il avait été acquis légalement.

Certains juristes en herbe vous expliqueront doctement que la protection de la vie privée a également une valeur juridique constitutionnelle, ce qui explique que le domicile s'impose face à la propriété, ou bien invoqueront l'articulation avec le droit au logement. Or c'est le fond du problème : c'est non pas le législateur mais les juges qui en ont décidé ainsi, et cette articulation se fait systématiquement au détriment du droit de propriété. Il y a là une contradiction : en l'inscrivant en lettres d'or dans la déclaration qui a fondé la République, nos pères fondateurs ont bel et bien souhaité que le droit de propriété, qui se distinguait déjà par son ancienneté, soit un droit prééminent, certainement pas qu'il passe invariablement au second rang.

La situation actuelle du marché locatif est là pour le prouver : certains propriétaires refusent de louer par peur de ne pas être protégés. Le régime actuel pose donc un vrai problème économique. D'où la présente proposition de loi, qui entend créer un délit d'occupation sans droit ni titre, pour punir comme un vol l'appropriation frauduleuse du bien d'autrui et dissuader ceux qui se jouent de la loi.

Depuis notre travail en commission, l'actualité s'est encore fait l'écho d'un nouveau cas auquel ce texte pourrait s'appliquer. Il s'agit d'une affaire intolérable. Avant-hier, Le Figaro a titré : « Elle se retrouve à la rue parce que ses locataires ne l'ont pas payée. » Et de faire la longue chronique judiciaire d'une propriétaire devenue sans domicile fixe, obligée de vendre son propre appartement pour rembourser le prêt qu'elle avait contracté, du fait de loyers impayés par ses locataires.

Eu égard à la longueur de la procédure – plus de deux ans ! – et à l'émotion suscitée, la préfecture du Var a accepté enfin d'expulser les locataires indélicats. Le fait est suffisamment inhabituel pour qu'on le mentionne : le plus souvent, l'État préfère ne pas agir, pour éviter ce qui s'apparenterait à un trouble de l'ordre public – comme si, pour un propriétaire, la perte d'un bien ne constituait pas en elle-même un trouble suffisant à l'ordre public.

Voilà les faits. Et la liste de ces injustices est longue. S'il s'agissait de l'un de vos proches, je suis sûr que vous comprendriez que nous ne pouvons pas remettre le traitement de cette question à la Saint-Glinglin – d'autant que cela a déjà été fait.

Ici même, en effet, il y a trois ans, le 11 juin 2015, nous avons légiféré après une affaire dite « Maryvonne ». En mai 2015, une dame de 83 ans avait dû attendre plus de dix-mois avant de pouvoir recouvrer la jouissance d'un bien immobilier dont elle était propriétaire, mais qui était occupé par des squatteurs. L'affaire avait fortement ému les Français, eu égard à l'âge de la requérante et à la longueur de la procédure. Or le texte que nous avions discuté dans cet hémicycle n'avait modifié le droit existant qu'à la marge. Nous nous étions cantonnés au strict respect du droit s'appliquant à la violation de domicile, en permettant de constater à n'importe quel moment le délit d'intrusion, mais en laissant de côté les autres atteintes à la propriété.

J'ai tiré ici même la sonnette d'alarme, mais la majorité de l'époque m'avait convaincu, au nom de l'efficacité, de retirer mes amendements qui visaient à traiter enfin du problème principal. Ce sont exactement les mêmes arguments qu'utilisent aujourd'hui les procrastinateurs. Pour quel résultat ? Celui-ci : en décembre 2017, à Garges-lès-Gonesse, un propriétaire a dû recourir à la justice privée pour retrouver la jouissance de son bien immobilier. Il s'agissait en effet d'un logement vacant, occupé par des Roms, et la loi de 2015 ne s'appliquait pas. Cet incident s'est terminé par un affrontement de rue entre justiciers privés et squatteurs – bref des occupants sans droit ni titre.

Ces différentes affaires, si dramatiques et spectaculaires qu'elles soient, sont loin d'être des cas isolés. Elles mettent en évidence l'existence d'un vide juridique. Le domicile est protégé par extension du droit à la vie privée, mais la propriété ne l'est pas en tant que telle. Si des voies de recours existent, l'administration, par souci d'éviter les troubles à l'ordre public, préfère ne pas exécuter les décisions de justice. De ce fait, il ne reste plus au propriétaire que le recours indemnitaire : une procédure de plus, qui rallonge encore les procédures.

La proposition de loi vise à simplifier le droit actuel en créant un nouveau délit sanctionnant les occupants sans droit ni titre d'un immeuble, à accélérer les voies d'exécution forcée et à rendre obligatoire l'exécution des décisions de justice, en recourant si nécessaire à la force publique.

Son premier volet vise à protéger le droit de propriété en tant que tel, sans qu'on se demande quel est l'usage du bien immobilier ou sa destination.

Les articles 3 et 4, tels que je propose de les amender, permettraient de ne plus différencier le domicile protégé des autres types de propriété. Il serait créé, au titre Ier du livre III du code pénal, un chapitre V intitulé : « De l'occupation frauduleuse d'un immeuble », instaurant une véritable défense du droit de propriété dans la section consacrée à la protection des biens.

L'article 4, tel qu'amendé par votre rapporteur, crée dans cette section un nouveau délit pour les occupants sans droit ni titre de mauvaise foi, car il s'agit bien ici de punir les fraudeurs professionnels, et uniquement ceux-ci. Ce délit serait punissable – au même titre qu'un vol de moto – de 45 000 euros d'amende et de trois ans d'emprisonnement, ce qui permettrait de simplifier le droit actuel. En effet, qu'il s'agisse d'une usurpation de domicile ou pas, que le délit soit commis avec violence ou non, le droit serait le même. En cas d'intrusion, il y aurait atteinte à la vie privée, ce qui constituerait un autre délit.

La personne occupant un bien immobilier sans droit ni titre devrait prouver sa bonne foi. Par la caractérisation de la mauvaise foi, nous visons les occupants d'un bien immobilier particulier. C'est pourquoi l'article 6 impose la contractualisation entre propriétaires et occupants à titre gratuit d'un bien immobilier, afin de sécuriser les situations contractuelles.

Néanmoins, le propriétaire qui souhaite récupérer son bien après un préavis d'un mois et auquel le locataire oppose une fin de non-recevoir pourra se prévaloir des dispositions de l'article 1er de la présente proposition de loi.

Quant à l'article 2, il crée, dans un souci d'équité, un cas d'exclusion du bénéfice des dispositions de la loi sur le droit au logement opposable pour toute personne ayant été condamnée pour occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier.

Je sais que cet article ne fait pas l'unanimité, mais je le rappelle. Si la majorité accepte le débat, je suis prêt, au nom de l'opposition, à discuter de tout pourvu que l'on protège l'essentiel : la propriété.

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