Intervention de Jean-Luc Denis

Réunion du mercredi 13 juin 2018 à 14h10
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Jean-Luc Denis, porte-parole du collectif Vérité et justice pour Jacques et Damien :

Je voudrais remercier la commission d'enquête, et en particulier son président Julien Borowczyk, de nous recevoir aujourd'hui. Cette audition ne pouvait se tenir plus tôt, l'affaire venant juste de se terminer.

Les familles de Jacques Tissot et de Damien Jamot, qui viennent de vivre sept années extrêmement difficiles, s'associent à nos remerciements et souhaitent que des modifications, notamment législatives, interviennent afin que ce type d'accident n'arrive plus jamais.

Je rappellerai, tout d'abord, l'historique de la fonderie de Feurs ; je vous présenterai, ensuite, un certain nombre de propositions. La fonderie de Feurs est composée de deux entités : d'une part, Feursmétal, qui a changé de nom après l'accident, devenant CastMétal, et, d'autre part, Valdi, une fonderie où plus de 200 accidents ont été répertoriés depuis quinze ans, qui ont notamment provoqué la mort de quatre personnes et blessé gravement dix autres personnes. Je tiens à votre disposition la liste suivante :

– février 2000 : réaction chimique dans un four, éjection de métal en fusion ; 8 blessés, dont deux grands brûlés ;

– août 2000 : un artisan extérieur tombe d'un toit de la fonderie ; un mort et de la prison avec sursis pour le directeur de l'époque ;

– 2001 : accident d'un cariste dans le secteur « aciéries » : un grand brûlé ; accident de manutention : un blessé handicapé à vie ;

– mars 2002 : un ouvrier de maintenance est broyé par une décrocheuse, un autre est éventré – celui-ci gagne son procès ;

– septembre 2002 : en réparant une machine fabricant des moules, un ouvrier a la main sectionnée ;

– août 2004 : incendie dans l'un des bâtiments, crainte de fumées toxiques ; 60 personnes évacuées – riverains et salariés ;

– juin 2008 : un ouvrier glisse dans un bac d'acier en fusion et meurt ;

– mai 2010 : accident de nature radioactive ; 6 salariés contaminés ;

– octobre 2010 : explosion d'un bac à laitier, 2 blessés graves handicapés à vie – les salariés gagnent en première instance, en appel puis en cassation ;

– 25 juin 2011 : explosion due au contact d'eau et de métal en fusion, 2 morts – Jacques et Damien ;

– janvier 2015 : explosion dans la fosse de coulée du four 4 et infiltration d'eau ; huit blessés pour les mêmes raisons que le 25 juin 2011.

Ce rappel fait froid dans le dos et justifie notre présence devant votre commission, les accidents étant une véritable pathologie professionnelle dans cette entreprise multirécidiviste.

C'est donc dans ce contexte que, le samedi 25 juin 2011, à 5 heures du matin, a eu lieu ce drame qui ne doit rien au hasard et qui a coûté la vie à deux agents de maintenance, Damien Jamot, 29 ans, et Jacques Tissot, mon beau-frère et celui d'Alain Roffet, ami de Joseph et oncle d'Émile. Jacques aurait eu 62 ans aujourd'hui et serait à la retraite, puisqu'il avait commencé à travailler à 16 ans ; des éléments qui ont leur importance.

Comme elles l'avaient déjà fait dans le passé, les entreprises ont tenté, en vain, de négocier un arrangement à l'amiable et ont déclaré vouloir « aider et soutenir les familles ». En réalité, elles se sont employées, durant sept ans, à faire exactement le contraire.

Les deux familles, qui ne se connaissaient pas, et la section CGT, très active dans cette entreprise depuis toujours, se sont portées partie civile. Un appel à la création d'un collectif de soutien « Vérité et justice pour Jacques et Damien » a été lancé lors des funérailles à Saint-Étienne et à Rozier-en-Donzy, où habitait Jacques. Les dons ont afflué pendant les semaines suivant l'accident. Le collectif compte 600 personnes et a réussi à réunir les quelque 30 000 euros nécessaires aux frais d'avocat.

Vous trouverez dans les dossiers que nous vous avons amenés – complétés par les articles les plus récents – la liste de nos différentes actions qui vont d'une journée d'hommage et de soutien avec 800 personnes, à une marche lente de 300 personnes dans les rues de Feurs – l'une des plus grandes manifestations organisées –, en passant par des soirées théâtrales et des campagnes de soutien. Nous remercions d'ailleurs la mairie de Feurs qui nous a prêté des salles. Toutes nos actions ont été relayées par une centaine d'articles dans la presse locale et une cinquantaine d'émissions de radio et de télévision.

Les objectifs du collectif ont toujours été clairs : la vérité et la justice pour que plus personne ne perde la vie en voulant la gagner. Le collectif n'a jamais demandé la fermeture de la fonderie, mais le maintien des emplois doit aller de pair avec la transformation radicale des conditions de travail et de sécurité.

L'enquête a duré plus de cinq ans, pendant lesquels les familles ont respecté à la lettre le secret de l'instruction, trouvant cependant la justice bien lente. Nous avons appris, après la levée du secret de l'instruction, que la fonderie avait fait obstruction, en attaquant notamment l'expertise en première instance. Bien entendu, les sociétés ont fait appel devant la cour d'appel de Lyon et se sont pourvues en cassation.

Le procès en correctionnelle a enfin lieu à Saint-Étienne, le 26 septembre 2016. Les deux entreprises constituant la fonderie sont condamnées pour homicides involontaires, à 265 000 euros d'amende au titre de la récidive pour Feursmétal, et à 215 000 euros d'amende pour Valdi. Elles font une nouvelle fois appel ; il s'agit alors du treizième recours ou report, instances civile et pénale confondues. Le 17 janvier 2018, la cour d'appel de Lyon confirme en tout point le jugement stéphanois. Seule l'entreprise Valdi se pourvoit en cassation, mais finit par jeter l'éponge, fin avril 2018. La condamnation des deux entreprises pour homicide involontaire est donc effective et définitive depuis le 10 mai 2018.

Forts d'un énorme mouvement de soutien, de solidarité et d'empathie dans le département de la Loire, nous avons interpellé les politiques à plusieurs reprises. Tout d'abord, Mme Méadel, secrétaire d'État chargée de l'aide aux victimes dans le précédent gouvernement, puis les candidats à la présidentielle et enfin le président Macron, dès son élection. Le 2 août 2017, son chef de cabinet, M. Lauch, nous répondait, précisant que l'aide aux victimes avait notamment été érigée au rang de priorité nationale. C'est pour ces considérations humaines et après avoir rencontré M. Borowczyk, le 27 septembre dernier, que nous sommes présents aujourd'hui.

Ce qu'ont vécu les familles des victimes depuis sept ans est une situation anormale, injuste et dévastatrice. Pour elles, c'est la double peine : elles ont perdu un être cher et il leur faut se battre pour être considérées comme des victimes. Dans ce genre de drame, pas de cellule psychologique, pas de conseil juridique, pas de soutien financier et aucune aide pour les enfants, dont l'un avait 12 ans au moment du drame.

Pendant que les entreprises refusent d'assumer leurs responsabilités et gagnent du temps en multipliant les recours, ce sont les familles qui payent le prix fort, en particulier pour leur santé. Une mère et une compagne sont tombées en dépression et l'une d'elle a subi une opération grave, avec le risque de rester paralysée. Elle est en arrêt de travail depuis un an. Un arrêt en lien, selon les médecins et les chirurgiens, avec l'accident de Feurs et cette souffrance interminable. C'est la raison pour laquelle les choses doivent changer, y compris dans la loi, pour que plus jamais une famille n'ait à vivre un tel drame.

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