Intervention de Françoise Nyssen

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Françoise Nyssen, ministre de la culture :

L'existence d'une presse forte, libre, indépendante et pluraliste est un pilier de la démocratie. Le ministère de la culture est l'un de ses gardiens.

Le secteur doit aujourd'hui relever des défis importants liés à la révolution numérique : la chute des ventes de la presse imprimée et la remise en cause du modèle économique traditionnel ; la concurrence des géants du numérique et la propagation de fausses nouvelles.

Dans ce contexte, le soutien apporté par l'État au secteur de la presse est décisif. Il prend plusieurs formes. Les aides financières, directes et indirectes, en constituent une part essentielle. Elles ont représenté plus de 593 millions d'euros en 2017, soit 8 % du chiffre d'affaires du secteur. Près de la moitié de ces aides – 260 millions d'euros – sont financées directement par le ministère de la culture, au titre du programme Presse et médias.

Les aides de l'État à la presse se répartissent selon trois grands objectifs de politique publique : assurer l'indépendance et le pluralisme, garantir l'accès des citoyens à l'information, soutenir l'innovation.

Assurer l'indépendance et le pluralisme du secteur, c'est la première mission de l'État. D'où les aides au pluralisme, financées par le ministère de la culture au profit des titres de la presse imprimée qui participent de façon décisive au débat d'idées, et dont les ressources publicitaires sont faibles, tels que L'Humanité, La Croix, Society, ou des journaux locaux comme La Marseillaise. Ces aides représentent 16 millions d'euros et nous les avons sanctuarisées en 2018.

Vous m'avez interrogée, madame la rapporteure spéciale, sur la possibilité d'ouvrir ces aides à la presse en ligne. J'y suis personnellement favorable, mais nous ne pouvons nous contenter de calquer le régime de la presse imprimée, car les structures de coûts sont évidemment très différentes. J'ai donc lancé une expertise de mes services afin d'examiner selon quelles modalités une telle extension serait envisageable. Mais je suis favorable à son principe, et l'étude permettra d'en discuter avec la profession.

En matière d'indépendance et de pluralisme, je veux aussi mentionner le soutien apporté par mon ministère à l'AFP, qui est un acteur décisif de la filière et une marque de référence à l'international. En 2017, les aides se sont élevées à 132,5 millions d'euros. Ce soutien a non seulement été reconduit pour l'exercice 2018, mais renforcé : la dotation de l'État sera augmentée en gestion de 3,5 millions d'euros.

Le second grand bloc d'aides de l'État à la presse est constitué de celles qui garantissent l'accès des citoyens à l'information. Ces dispositifs ont représenté près de 188 millions d'euros l'an dernier. Parmi eux, les aides au portage facilitent les abonnements, et les aides à la distribution la vente au numéro. Elles ont représenté près de 67 millions d'euros en 2017. Leur montant dépendant des volumes de papier en jeu, leur diminution dans le budget de 2018 correspond à une baisse structurelle des volumes portés.

La filière de la distribution est en pleine transformation, vous le savez. La vente au numéro a chuté de 50 % en dix ans. C'est une évolution structurelle, qui nécessite un changement d'approche des politiques publiques.

Vous m'avez également demandé un point sur la situation de la messagerie Presstalis. Vous connaissez tous les difficultés financières récurrentes de cette société, encore aggravées par la situation du marché. Nous nous sommes donc fixé deux objectifs.

Pour dessiner une sortie de crise à court terme, l'État est intervenu de manière décisive, en accordant un prêt à la messagerie pour financer son plan de redressement. J'ai rappelé les éditeurs de presse, membres des coopératives de Presstalis, à leurs responsabilités sur leur propre contribution : ils financeront le plan de redressement sur plusieurs années. La procédure de conciliation a été homologuée en mars 2018 par le président du tribunal de commerce de Paris. Le ministère de la culture est en première ligne, avec Bercy, dans le suivi du dossier.

Notre second objectif est d'aider la filière à préparer l'avenir. La montée en puissance des acteurs numériques n'a pas diminué l'importance de la presse imprimée pour l'accès de tous à l'information. C'est tout le sens de la réforme de la loi Bichet, que nous allons engager pour adapter la régulation de la filière. M. Marc Schwartz, qui a coordonné avec M. Gérard Rameix la négociation du plan de sauvetage de Presstalis, est chargé de proposer des évolutions législatives. Il me remettra son rapport dans les tout prochains jours. Le projet de loi sera ensuite soumis à concertation.

L'objectif est d'adapter les principes fondateurs de la loi Bichet à la nouvelle situation économique de la filière, en modernisant sa régulation et en renforçant la responsabilité des acteurs. Je le répète clairement : la réforme réaffirmera notre attachement aux principes de la loi Bichet, qui garantissent le pluralisme de la presse, en assurant une équité de traitement entre les différents titres de presse dans leur distribution.

Parmi les aides à la diffusion, vient ensuite l'aide au transport postal de la presse, versée par le ministère de l'économie, qui a représenté 121 millions d'euros l'an dernier. Vous me demandiez, madame la rapporteure spéciale, pourquoi elle n'était pas rattachée au budget de la culture. C'est d'abord par souci d'efficacité de la concertation publique, Bercy étant l'interlocuteur privilégié de La Poste ; c'est ensuite par souci de cohérence budgétaire, puisque cette aide constitue un soutien financier au réseau de distribution postale dans son ensemble.

Viennent enfin les aides fiscales, qui favorisent aussi l'accès des citoyens à l'information en réduisant le prix des journaux. Le taux réduit de TVA de 2,1 % sur la presse écrite a représenté l'an dernier une dépense fiscale d'environ 160 millions d'euros.

Le troisième grand bloc d'aides à la presse est constitué de celles qui encouragent l'innovation. C'est une exigence démocratique : nous devons suivre les usages des citoyens et renforcer l'attractivité des supports d'information, notamment pour les jeunes.

Nos aides à l'innovation sont concentrées en trois dispositifs mis en place récemment. Le FSDP, qui finance notamment la création et la refonte de sites internet, ainsi que la mise en place d'outils innovants, a permis de mobiliser plus de 27 millions en 2017.

Le deuxième dispositif est le fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation dans la presse, créé en 2016, qui a représenté une enveloppe de 5 millions d'euros d'aides l'an dernier, sous forme de bourses, de programmes d'incubation dédiés aux médias émergents et de programmes de recherche dans le secteur de la presse.

Le troisième dispositif est le fonds de soutien aux médias d'information sociale et de proximité, qui subventionne des médias citoyens et participatifs. 1,6 million d'euros d'aides ont ainsi été accordés en 2017. Ils concourent à la politique d'animation des territoires qui, vous le savez, m'est très chère. Au total, ce sont près de 35 millions d'euros qui ont été consacrés l'an dernier au soutien à l'innovation.

Vous m'interrogiez, madame la rapporteure spéciale, sur l'égalité de traitement entre presse écrite et presse en ligne. Les trois dispositifs que je viens de citer sont ouverts à tous et, dans les faits, ils bénéficient largement à des acteurs de la presse en ligne – qu'il s'agisse de pure players ou des versions numériques de journaux imprimés. La presse en ligne représente notamment les deux tiers des crédits accordés au titre du fonds stratégique pour le développement de la presse, et 80 % des bourses de soutien aux médias émergents.

Je rappelle par ailleurs que, depuis 2014, la presse en ligne bénéficie du même taux de TVA réduit de 2,1 % que la presse imprimée, et que nous nous battons pour que cet alignement soit intégré au niveau européen.

Vous m'avez interrogée, plus généralement, sur la place accordée à la presse en ligne par nos modèles d'aide, et sur la possibilité d'en faire davantage. Je vous le dis encore une fois : j'y suis favorable, et les dispositifs de soutien à l'innovation ont été reconduits en 2018.

Les aides à la presse ont représenté plus d'un demi-milliard d'euros en 2017. À l'exception des aides à la distribution, pour les raisons structurelles que j'évoquais, elles ont été reconduites en 2018. Elles sont décisives pour le pluralisme et la santé économique de l'ensemble de la filière.

Je voudrais rappeler, pour conclure, qu'elles s'inscrivent dans une politique plus large de soutien au secteur. Outre les aides, cette politique repose encore sur deux piliers : la régulation et l'éducation.

En matière de régulation, je mène plusieurs batailles au niveau européen, afin d'améliorer le partage de la valeur avec les nouveaux acteurs numériques. Je m'efforce notamment d'obtenir la création d'un droit voisin pour les éditeurs de presse. Il a fait l'objet d'un accord politique historique du Conseil, la semaine dernière. Nous devons désormais le défendre devant le Parlement. La naissance d'un nouveau modèle économique pour la presse en dépend.

L'autre pilier de notre action est l'éducation. Défendre la presse de demain, c'est mener la guerre aux fausses informations en formant les jeunes dès aujourd'hui. J'ai doublé dès cette année 2018 le budget consacré par mon ministère à l'éducation à l'information et aux médias, qui passe de 3 millions à 6 millions d'euros.

Ces initiatives font aussi partie de l'arsenal de l'État pour le soutien à la presse, dont les aides directes et indirectes restent évidemment une pièce maîtresse.

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