Intervention de Joël Aviragnet

Séance en hémicycle du lundi 11 juin 2018 à 21h30
Liberté de choisir son avenir professionnel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Aviragnet :

Madame la présidente, Madame la ministre, mesdames et monsieur les rapporteurs, chers collègues, la France affiche pour la première fois depuis 2007 une croissance à 1,9 %, et cette reprise économique devrait se poursuivre si l'on en croit les projections économiques de la Banque de France. Les entreprises se portent mieux et le taux de chômage devrait progressivement diminuer pour atteindre 7,9 % au dernier trimestre 2020.

Si l'on veut exploiter pleinement les opportunités de ce dynamisme économique, l'accompagnement des demandeurs d'emploi, le renforcement de la formation professionnelle et le développement de l'apprentissage sont incontournables. C'est la condition qui permettra de fournir au marché du travail une génération de travailleurs prêts à répondre à la demande économique ; c'est aussi la condition qui donnera aux entreprises les moyens de se développer avec une montée en compétence de leurs salariés.

Ce constat n'est pas nouveau, et c'est la raison pour laquelle nous convenons qu'une réforme est nécessaire, mais pas n'importe laquelle.

Or, le projet de loi que vous nous présentez, madame la ministre, libéral d'un point de vue économique, et centralisateur du point de vue de la gouvernance, est inadapté. Pire, il est dangereux, et cela pour trois raisons.

La première, c'est que la méthode employée par le Gouvernement pour appuyer l'essor de l'apprentissage et de la formation professionnelle risque d'être contre-productive et d'avoir des effets dévastateurs dans de nombreux territoires.

La seconde repose sur le fait que la réforme de l'assurance chômage va produire de grandes inégalités, notamment lorsque vous renforcez le contrôle des chômeurs là où tous les experts soulignent que c'est inutile.

La troisième, parce que votre réforme consacre l'individualisme et s'adresse en réalité aux « premiers de cordée » , aux cadres et aux cadres supérieurs, alors que les besoins de formation sont ailleurs. Ils sont chez les demandeurs d'emploi, chez les précaires, ceux qui enchaînent les CDD courts à temps partiel et qui fonctionnent au jour le jour.

Penchons-nous sur ce texte dans le détail. Concernant l'apprentissage, madame la ministre, votre réforme engage une course au chiffre : la quantité est préférée à la qualité de la formation. L'ambition de rattraper l'Allemagne en termes de nombre d'apprentis se fait au détriment du savoir-faire et des métiers d'artisanat. Ainsi, avec un financement au contrat, seuls les CFA les plus rentables économiquement pourront conserver leur activité. Les autres devront fermer les formations qui attirent le moins d'apprentis.

Cela entraîne un double écueil : une perte de compétitivité pour les CFA situés en milieu rural, qui n'attirent pas autant d'apprentis que ceux des métropoles, ainsi que pour l'artisanat qui n'a pas les mêmes moyens financiers que les entreprises du BTP ou de l'aéronautique.

Ce projet de loi fragilise également la qualité pédagogique des formations, car on passe d'une logique de service public d'intérêt général à une logique économique de marché concurrentiel. En procédant de la sorte, on s'expose à ce que la « formation classique » soit réduite à portion congrue au profit d'une « formation technique » que les CFA se verront obligés d'amplifier dans un souci d'attractivité contractuelle.

Par conséquent, le Gouvernement risque de déstabiliser les CFA de niveau IV et V, c'est-à-dire ceux destinés aux publics les moins formés, précisément là où il conviendrait de faire l'inverse, si tant est que l'insertion des publics les plus éloignés de l'emploi reste la priorité.

Concernant la formation des actifs et leur montée en compétence, si la monétisation – c'est-à-dire le passage d'un compte en heures vers un compte en euros – du compte personnel de formation est potentiellement une simplification, elle s'accompagne indiscutablement d'une réduction des droits à la formation.

Prenons l'exemple du bilan de formation, qui coûtait hier 24 heures et coûtera demain 1 500 euros : il fallait auparavant une année de travail pour pouvoir se l'offrir, il en faudra trois demain. La démonstration est éloquente ; elle prouve surtout une réduction des moyens mis en oeuvre pour inciter à la revalorisation des compétences des salariés.

La suppression du congé individuel de formation et son remplacement partiel par le « compte personnel de formation transition » menacent les reconversions longues des actifs, puisque le Gouvernement supprime toute garantie sur le niveau de rémunération alloué pendant cette formation, ce qui revient à tuer dans l'oeuf toute initiative de formation longue prise par les salariés.

Concernant l'assurance chômage, l'objectif avoué du Gouvernement était d'apporter de la sécurité aux travailleurs et aux demandeurs d'emploi après avoir flexibilisé le marché du travail par ordonnance. Or si l'exercice de communication du Gouvernement a porté ses fruits, la réalité, elle, dit tout autre chose. En effet, on constate un renforcement du contrôle des demandeurs d'emploi alors que Pôle emploi assure que 86 % des demandeurs d'emploi sont effectivement à la recherche d'un travail. L'ouverture des allocations de retour à l'emploi pour les démissionnaires est restreinte au point de ne concerner que 20 000 cas en France. La déception sera grande.

L'extension de l'assurance chômage aux indépendants, conditionnée à des situations extraordinaires, et enfin l'accompagnement des demandeurs d'emploi, sont les grands absents de cette réforme. Vous faites le choix du contrôle des demandeurs d'emploi plutôt que de leur accompagnement, au risque d'entraîner une accélération des sorties de droits aux allocations et de provoquer la réduction des durées d'indemnisation.

Comme moi, vous savez que le renforcement des contrôles incite les demandeurs d'emploi à accepter des formes dégradées d'emploi – CDD très courts, temps partiels, bas salaires.

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