Intervention de Francis Vercamer

Séance en hémicycle du lundi 11 juin 2018 à 21h30
Liberté de choisir son avenir professionnel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancis Vercamer :

Madame la présidente, mesdames les rapporteures, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la ministre – quel parterre féminin – , mesdames et messieurs les députés, il est toujours utile, quand on aborde la discussion d'un projet de loi de réforme de la formation professionnelle, d'opérer d'abord le constat de ce qui existe déjà.

Celui-ci est dressé par les partenaires sociaux en préambule de l'accord qui précède le projet de loi, et trois sources de difficultés y sont très vite identifiées : les retards scolaires enregistrés dès l'enseignement du premier degré, les mauvaises conditions de l'orientation, l'importance du nombre de jeunes qui, chaque année, quittent le système scolaire sans formation.

Ce constat certes sévère, vous ne le trouverez pas, madame la ministre, mes chers collègues, dans l'accord national interprofessionnel du 22 février 2018, mais dans le préambule de l'accord du 9 juillet 1970.

Il reste pour autant d'une surprenante actualité.

Bien sûr, le contexte a changé, beaucoup d'actions ont été entreprises dans le domaine scolaire pour mieux orienter et mieux former.

Beaucoup a également été entrepris, accords après accords, lois après lois, pour structurer la formation professionnelle continue, lui donner une réalité, à travers des outils de formation mobilisables par les salariés, et l'adapter aux évolutions de l'entreprise et du monde du travail.

Indéniablement, la situation actuelle n'est pas celle de 1970.

Pour autant, la nature des difficultés reste la même : qualité de la formation initiale, pertinence de l'orientation, adéquation de la formation par rapport aux besoins de l'entreprise et épanouissement professionnel de la personne.

Ce sont là des préoccupations qui motivent toujours la réflexion autour de la formation professionnelle continue.

La loi, fondamentale, du 6 juillet 1971, a posé les bases de référence de l'organisation de la formation professionnelle continue afin d'établir un droit efficace à la formation des salariés.

Elle a été suivie de bien d'autres qui, en 2004, en 2009, en 2014, ont transformé le paysage de la formation professionnelle, à chaque fois suite à un accord national interprofessionnel négocié par les partenaires sociaux.

La création d'un droit individuel à la formation, puis l'organisation de la portabilité de ce droit, la préparation opérationnelle à l'emploi, le service public de l'orientation, la sécurisation des parcours, la création du compte personnel de formation et du conseil en évolution professionnelle, sont autant d'avancées successives qui témoignent de la nécessité d'ouvrir la formation professionnelle continue aux demandeurs d'emploi et non pas aux seuls salariés, de la mobilité qui caractérise désormais tout itinéraire professionnel, amenant à déterminer des droits davantage attachés à la personne du salarié, plutôt qu'à l'emploi qu'il exerce, de réduire les inégalités d'accès à la formation et de faciliter le recours à la formation de ceux qui en ont le plus besoin.

Et pourtant, au fil des années, s'est imposé le sentiment d'un système de formation professionnelle opaque, peu lisible, aussi confus pour le salarié que pour l'employeur, qu'il s'agisse de l'offre de formation proposée ou des canaux de financement du système de formation lui-même.

Au final, c'est le doute qui l'emporte quant à l'efficacité d'un système de formation professionnelle qui génère près de 32 milliards de dépenses, tous acteurs – secteurs public et privé – confondus.

Indéniablement, une réforme d'ensemble est nécessaire et les lois précédentes s'y sont plus ou moins essayées, sans toutefois y parvenir. Vous vous apprêtez aujourd'hui, madame la ministre, à ajouter votre nom à la longue liste de tous vos prédécesseurs qui ont tenté de réformer notre système de formation professionnelle, initiale et continue. Beaucoup d'entre nous, y compris en dehors de la majorité, souhaitent que cette réforme atteigne son but : rendre la formation professionnelle en France plus fluide, plus lisible, plus abordable et plus efficace. Nos entreprises, notre pays et nos concitoyens, surtout, en ont besoin.

La plupart d'entre nous partagent un double constat. D'une part, si l'époque de l'emploi à vie dans la même entreprise est révolue depuis longtemps, néanmoins, les transitions professionnelles restent des périodes heurtées et peu sécurisées et notre système peine à se doter d'outils efficaces qui facilitent le passage d'un emploi à un autre, la montée en qualification ou la reconversion en période de chômage. D'autre part, la société doit s'adapter aux évolutions technologiques et aux transformations du travail qu'induit la révolution digitale et numérique qui s'annonce. Jean Tirole, notre prix Nobel d'économie, soulignait encore récemment l'importance stratégique de la formation professionnelle dans cette perspective.

Face à ces constats, votre réforme fait un certain nombre de choix qui vont dans le bon sens, je l'avoue. Le renforcement du conseil en évolution professionnelle est ainsi un élément majeur de l'accès de toute personne à la formation. Il permet de jeter un éclairage sur les choix à opérer pour permettre à chacun d'être véritablement acteur de son parcours professionnel.

Il était indispensable également de donner une place plus importante aux branches professionnelles dans la définition des référentiels de formation et dans l'élaboration des parcours de formation. Les branches sont en effet parmi les acteurs de la formation professionnelle continue qui connaissent, par nature, le mieux les attentes des employeurs et les besoins des entreprises. Elles sont à même d'assurer les conditions d'une meilleure adéquation entre les besoins des entreprises et la demande d'emplois, grâce à l'offre de formation.

Les conditions d'une certification plus efficace des organismes de formation constituent aussi un élément indispensable d'une réforme qui vise à faciliter l'accès de tous à la formation tout au long de la vie.

Au-delà de la mobilisation de ses droits à la formation, l'assurance d'avoir accès à un organisme de formation de qualité ou à une formation qui aura un réel impact sur la suite du parcours professionnel est un élément moteur du recours, par le salarié comme par le demandeur d'emploi, à une formation.

La monétisation du compte personnel de formation nous laisse davantage dubitatifs, à la suite des auditions que nous avons pu réaliser en amont du travail parlementaire sur le projet de loi. Elle apporte sans doute une plus grande lisibilité des droits effectifs dont dispose un salarié pour se former. Nous nous interrogeons toutefois sur les conditions du passage, de l'heure à l'euro, de l'unité de mesure du CPF. Cette conversion ne doit pas avoir pour conséquence de faire perdre aux actifs titulaires d'un CPF les droits qu'ils ont acquis à ce titre. Nous attendons donc du Gouvernement qu'il apporte sur ce point les garanties suffisantes que les actifs qui ont acquis des droits à formation ne seront pas lésés par la réforme.

En dépit de dispositions qui constituent des avancées dans l'organisation et le financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage, votre réforme achoppe sur un point qui nous paraît essentiel : la place des territoires. Le projet de loi relègue en effet les territoires, et en particulier les régions, à un rôle secondaire. La logique voudrait pourtant que les collectivités territoriales exerçant une compétence dans le domaine du développement économique puissent également être impliquées dans les choix d'orientation de la formation professionnelle et de l'apprentissage sur leur territoire.

En réalité, ce sont tous les acteurs locaux de l'emploi qui devraient être associés, pour mieux accompagner le retour à l'emploi ou l'évolution dans l'emploi. J'en veux pour preuve cet exemple que je puise dans ma circonscription – je vous prie de m'en excuser. Pas plus tard que la semaine dernière, dix-neuf jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, sans emploi, ont signé, après avoir suivi une formation de quatre mois de soudeur dans la métallerie et la chaudronnerie, un contrat de pré-embauche, préalable à un CDI, au sein de la société Nordtole, spécialisée dans la tôlerie fine. Avec ce diplôme, ils travailleront pour une grande entreprise du numérique, leader dans le domaine de l'hébergement, basée à Roubaix.

Tous les acteurs de la chaîne de la formation et de l'accès à l'emploi sont mobilisés : les élus locaux pour le lien avec l'entreprise, la région pour la formation, Pôle emploi et la mission locale pour la détection des profils et la maison de l'emploi pour la coordination des intervenants. Or l'examen du projet de loi donne le sentiment que la formation professionnelle, l'indemnisation via l'assurance chômage et l'accompagnement du demandeur d'emploi sont autant de domaines cloisonnés qui relèvent d'opérateurs de niveaux différents, alors qu'il s'agit d'assurer un continuum.

Cette continuité, là encore, c'est au plus près des territoires qu'il faut l'expérimenter. L'entrée d'un demandeur d'emploi en formation, dans le cadre d'un nouveau projet professionnel, ne se fait pas en dehors des réalités d'un bassin d'emploi, lui-même situé dans une région qui a ses propres caractéristiques économiques. C'est également la raison pour laquelle, forts de notre volonté de reconnaître l'apport de l'expertise des territoires à la formation professionnelle et à l'apprentissage, nous déplorons l'orientation de votre texte, qui retire l'apprentissage de la compétence des régions. En effet, en confiant aux seules branches professionnelles la compétence de création des CFA, la réforme se prive de la vision globale et prospective des régions sur le tissu économique, au regard des choix effectués dans le cadre des schémas régionaux de développement économique.

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