Intervention de Frédéric Descrozaille

Séance en hémicycle du jeudi 24 mai 2018 à 15h00
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Article 5

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Descrozaille :

Nous abordons, à mon sens, le coeur de ce texte : la dérogation du secteur agricole aux règles du droit de la concurrence. Avec ce texte, nous n'apportons pas d'argent aux producteurs, nous ne modifions pas leurs conditions fiscales, mais nous créons du droit pour les protéger. Cette démarche s'inscrit dans la longue histoire de la PAC puisque, depuis l'origine, il est établi en droit, au niveau européen, que le secteur agricole déroge à l'application du droit de la concurrence en vertu des cinq objectifs du traité de Rome, dont deux sont partiellement contradictoires, puisque l'un garantit des prix raisonnables au consommateur et l'autre un revenu équitable à la population agricole.

Avec le présent texte, nous nous préoccupons du revenu de la population agricole. En droit, pendant des années, cette dérogation s'est traduite par l'intervention de prix publics. À la suite des accords de Marrakech déjà cités par M. Ruffin, l'agriculture a été inscrite à l'ordre du jour du GATT, lequel est devenu l'OMC, et l'intervention publique a été interdite.

Puis, les réformes de la PAC pour la mettre en conformité avec les accords internationaux conclus au niveau de l'OMC ont consisté à démanteler tous les mécanismes de stabilisation et de protection des marchés. Il ne reste aux producteurs que leurs organisations, leurs associations d'organisations et les organisations interprofessionnelles.

Cette dérogation, les juristes du droit de la concurrence n'ont jamais su l'interpréter. Ils ont toujours considéré que, hors de la concentration capitalistique, il n'y avait point de salut. Durant ces vingt dernières années, la direction générale de la concurrence, au niveau de Bruxelles, a pris la main sur la Direction générale de l'agriculture et du développement rural et a pris de plus en plus d'importance au sein de notre administration.

Très récemment, la Cour de justice de l'Union européenne a clarifié cette question, dans l'arrêt sur le dossier du cartel des endives. Elle a ainsi défini que les organisations de producteurs ont le droit d'échanger des informations stratégiques sur les prix et sur les volumes sans être accusées d'entente. Elle a eu une lecture qu'elle appelle téléologique des traités et elle a avancé la notion d'« effet utile », contredisant par là les arguments avancés par les juristes du droit de la concurrence depuis des années, et notamment ceux qui avaient accusé France Endive de conclure des ententes sur les prix.

L'amendement que je présente reprend textuellement ces principes, qu'il s'agisse des termes de l'article 157 du règlement européen portant OCM ou, pour les questions des échanges d'informations stratégiques en prix et en volume, de ceux de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne rendu sur le dossier du cartel des endives.

Ne pas les adopter reviendrait à céder à l'intimidation technocratique. Beaucoup d'agents, dans nos administrations, sont convaincus qu'un trop grand nombre de petits metteurs en marché ne favorise pas une situation économiquement saine et n'est donc pas politiquement souhaitable. Ils interprètent le droit pour ne pas leur permettre de survivre ou, pire, de prospérer.

Nous devons prendre nos responsabilités. En tant que législateurs, nous pouvons interpréter, transcrire les arrêts de la Cour de justice de l'Union, les transposer dans le code rural de manière à permettre aux interprofessions de mieux protéger les producteurs.

Rappelons qu'une organisation interprofessionnelle fonctionne à l'unanimité et que ses accords ne peuvent être étendus par l'État qu'après un contrôle de conformité légale.

J'insiste donc sur l'importance de cet amendement.

J'ai été long mais je voudrais terminer par un dernier point. Contrairement à ce que je viens d'entendre, il ne s'agit pas là de fronde : je nourris le plus grand respect pour le travail du rapporteur, qui porte ce texte avec le ministre de façon extrêmement courageuse. Ce projet de loi est compliqué. Il maintient un équilibre entre les attentes sociétales et les souhaits des producteurs, les deux étant contradictoires. Je respecte ce qu'ils font. Je ne fais qu'exercer ma liberté en m'exprimant ainsi sur des dossiers de fond, et je suis las d'entendre que soit nous sommes disciplinés et godillots, soit nous sommes frondeurs.

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