Intervention de Marlène Schiappa

Séance en hémicycle du lundi 14 mai 2018 à 16h00
Lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Présentation

Marlène Schiappa, secrétaire d'état chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes :

Les ateliers du tour de France de l'égalité entre les femmes et les hommes ont massivement montré que les jeunes, notamment les jeunes femmes, sont aujourd'hui particulièrement exposés à de nouvelles formes de violences sexistes et sexuelles dans le nouvel espace public qu'est devenu internet. Ces violences en ligne, massives, prennent les mêmes formes dans le cyberespace que dans le monde réel : insultes, harcèlement moral et sexuel, menaces de viol ou de mort. Ces violences commises dans l'espace virtuel ont les mêmes causes et les mêmes conséquences sur la santé, sur la vie sociale et intime des victimes, que celles qui sont commises dans le monde réel.

Toutes ces formes de violences doivent être prises en considération. C'est le sens de l'article 3 de notre projet de loi : adapter le droit à cette nouvelle configuration et aux nouvelles possibilités qu'internet offre aux agresseurs. Cet article vise donc tout particulièrement les raids numériques, c'est-à-dire la publication par plusieurs auteurs différents de propos sexistes et violents proférés une seule fois par chacun à l'encontre d'une même cible. Nous voulons envoyer un message clair aux harceleurs en ligne et autres trolls, à ceux qui incitent ou prennent part au déferlement de la haine en ligne : nous ne tolérons pas ces agissements qui, désormais, ne resteront pas impunis en République française.

Enfin, la quatrième et dernière disposition du présent projet de loi a pour objet de sanctionner le harcèlement dit « de rue » en créant une nouvelle infraction : « l'outrage sexiste ». Cette disposition est l'un des engagements forts que le Président de la République a pris pendant la campagne présidentielle. Le harcèlement de rue est l'un des angles morts de notre droit positif. Ces comportements n'ont jamais été réprimés alors qu'ils entravent gravement la liberté et l'autonomie des femmes. Huit femmes sur dix déclarent avoir peur de sortir seule le soir dans les rues, selon l'étude récente de la Fondation Jean-Jaurès. Le harcèlement de rue est bien une atteinte fondamentale à leur liberté d'aller et venir.

Cette atteinte à leurs droits a des conséquences sur l'ensemble de la vie des femmes. Celles qui, dans leur trajet quotidien pour se rendre au travail, doivent avant tout se préoccuper de leur sécurité et élaborent des stratégies d'évitement ou de survie, ne peuvent avoir l'état d'esprit de conquête nécessaire à leur réussite professionnelle et à l'obtention de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. De même, les jeunes filles et les jeunes femmes qui se rendent au collègue, au lycée ou à l'université ne peuvent réussir sereinement leurs examens si, chaque jour, elles doivent consacrer une partie de leurs temps à se préoccuper de leur sécurité dans les transports. La peur est déjà un fait aux conséquences dramatiques sur la santé des femmes. Or, ces stratégies de survie, la majorité des femmes les connaissent et les ont mises en oeuvre. Le harcèlement de rue affecte ainsi durablement leur vie quotidienne en les poussant à adopter des stratégies d'évitement, à modifier leurs trajets, à ne pas sortir trop tard, à envisager des solutions de repli.

La nouvelle infraction vise à réprimer l'ensemble des propos ou comportements à connotation sexiste ou sexuelle imposés à une personne et portant atteinte à sa dignité, en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créant à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

Ces comportements seront désormais verbalisés d'une amende de quatrième classe, punie d'une amende maximale de 750 euros, pouvant faire l'objet de la procédure simplifiée de l'amende forfaitaire.

Si les faits sont commis avec certaines circonstances aggravantes – par exemple sur un mineur de quinze ans ou dans les transports en commun – , le projet de loi prévoit une contravention de cinquième classe, punie d'une amende maximale de 1 500 euros ou de 3 000 euros en cas de récidive.

Par ailleurs, les auteurs des faits pourront être condamnés à plusieurs peines complémentaires, dont l'obligation de suivre un stage contre le sexisme.

Ces comportements pourront être verbalisés immédiatement par les forces de police, notamment la police de la sécurité du quotidien. Comme l'a annoncé le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, les 10 000 policiers de la sécurité du quotidien qui seront recrutés seront également formés et équipés pour verbaliser l'outrage sexiste et ainsi garantir l'efficacité de cette mesure. Intimider, menacer, suivre, harceler, invectiver les femmes dans la rue ou transports : bientôt, ce sera du passé !

Chacun a un avis sur la meilleure manière de combattre et de condamner les violences sexistes et sexuelles, en fonction de son propre vécu, des agressions ou des viols dont il ou elle a malheureusement pu être victime, des cas dans lesquels il ou elle a pu être témoin, secours, soutien ou confident. C'est légitime. Trop longtemps, on a opposé l'expertise à l'expérience en ce qui concerne l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous sommes nombreuses – peut-être même nombreux, au masculin – , dans cet hémicycle, à avoir subi des violences sexistes et sexuelles. Il nous appartient d'en tenir compte, mais aussi et surtout de tenir compte du vécu de chaque victime, des différents cas, des différentes trajectoires, des différents ratés. Car, si 1 % seulement des violeurs dorment en prison, c'est à cause d'une faute collective qui a perduré. Les témoins ont parfois fait défaut. La justice a parfois fait défaut. L'ensemble de la société a parfois fait défaut.

J'observe que les violences sexistes et sexuelles sont les seuls faits pour lesquels on s'inquiète d'encombrer les tribunaux. Nul ne doute jamais de la nécessité de porter plainte après un vol de téléphone ou un cambriolage. Pourquoi faudrait-il déserter les commissariats de police quand il s'agit de violences sexuelles ? De même, nul n'accuse jamais les personnes cambriolées dont les maisons seraient trop bien décorées, d'avoir appelé au cambriolage. Il est temps de cesser collectivement d'invectiver les femmes pour leurs tenues ou leur apparence : une mini-jupe, un sourire, n'ont jamais été un appel au harcèlement de rue. Le viol n'a jamais été un outil de séduction. Le harcèlement n'a rien de romantique. Le corps des femmes n'est pas un bien public. Un enfant n'est jamais consentant à un rapport sexuel avec un adulte. Internet n'est pas une zone de non droit.

Il existe, tous les experts le démontrent, un continuum des violences sexistes et sexuelles. Tout ne se vaut pas, c'est vrai. Mais l'accroissement exponentiel des violences sexistes et sexuelles peut conduire au viol, voire au meurtre. Nous ne devons plus rien laisser passer. Il n'y a pas de petite agression, pas d'injure sans conséquence, pas d'oubli définitif, pas d'intimidation dont on se remette vraiment, pas de tweet menaçant de viol noyé dans la masse des centaines d'autres menaçant de viol.

Nous avons la responsabilité de la manière dont nous créons des représentations, dont nous construisons un inconscient collectif. Il nous incombe de réparer cela, en tant que pouvoirs publics, pour mieux condamner les violences sexistes et sexuelles, et ainsi opposer au sentiment d'impunité des agresseurs sexuels une nouvelle véritable crainte de la sanction, abaissant le seuil de tolérance de toute la société aux violences sexistes et sexuelles, inhibant le passage à l'acte, empêchant la récidive, pour ne plus jamais entendre « elle l'a sans doute cherché » face au harcèlement de rue, « elle n'avait qu'à pas s'habiller comme ça » face aux viols, « elle n'était pas facile tous les jours » face aux violences conjugales et aux féminicides, « elle n'avait qu'à pas donner son avis sans cesse sur les réseaux sociaux » face aux cyber-harcèlement sexiste en meute – bref, elles n'avaient qu'à pas exister.

Mesdames et messieurs les députés, vous êtes les représentants du peuple. Ce projet de loi que le Gouvernement vous a présenté, vous l'avez déjà amendé en commission, et vous l'améliorerez probablement encore lors de nos débats. Ce texte, une fois voté, deviendra le texte de l'Assemblée nationale, marquant la volonté de notre peuple de combattre fermement les violences sexistes et sexuelles. Quels que soient les bancs sur lesquels vous siégez, je vous sais armés d'une seule volonté : protéger plus efficacement, grâce à la loi, les enfants, les femmes et les hommes qui vivent dans notre pays. Vous êtes, nous sommes tous, regardés, écoutés par les citoyens, qui nous demandent d'agir toujours plus pour ne plus rien laisser passer, qui attendent de la France des lois exemplaires et inspirantes. Loin de marquer des différences, ce texte saura nous réunir car il dépasse les clivages, les postures, les incantations. Il donnera de la force à notre combat collectif quotidien pour changer la société. Ne laissons pas passer cette chance de faire mieux, dans le respect du droit, des citoyens, et de ce qui nous unit !

Je sais que vous êtes nombreux à vous être approprié ce texte et à mener des débats passionnés mais, comme Anatole France, « j'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence ». Je veux donc voir dans nos débats la fin de l'indifférence de la société française face aux violences sexistes et sexuelles, et, quels que soient vos groupes politiques, je me permets de saluer votre engagement pour cette cause qui nous dépasse. Je nous souhaite donc des débats passionnés, mais aussi respectueux et honnêtes. Soyons tous à la hauteur : ne laissons rien passer !

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