Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mercredi 28 mars 2018 à 21h30
Régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, à Béziers, l'école « la Tour de l'espérance » a ouvert ses portes à la rentrée scolaire 2017. N'en déplaise à M. Corbière – qui n'est pas là – elle n'a rien à voir avec certains clichés qui voudraient faire passer les écoles hors contrat pour des écoles de riches. On s'y s'occupe des élèves en décrochage scolaire, ceux qui, dans les écoles classiques, sont mis au ban ou dont on n'a plus le temps de s'occuper parce que les classes sont surchargées. Avec des frais de scolarité de 70 euros par mois, cette école veut être accessible à tous, notamment aux plus défavorisés et ce n'est pas sans difficulté car, ici comme partout l'argent est le nerf de la guerre. Pour dix élèves, la recette nette annuelle est de 6 500 euros alors que le coût de fonctionnement est de 82 000 euros. Heureusement les soutiens privés et les dons permettent de renflouer les caisses.

Mais si nous votons cette proposition de loi issue de la volonté affichée d'avoir un droit de regard sur les modalités de financement d'un établissement hors contrat, le risque est réel que certaines écoles ne puissent ouvrir car, vous le savez, c'est toute l'année que l'argent est collecté.

Il est certes normal que, d'une certaine façon, le financement de ces écoles soit contrôlé. Cela permet, entre autres, d'empêcher que des écoles islamistes soient financées par des fonds étrangers ou des personnes en relation avec des mouvances extrémistes. Mais prenons garde à ne pas bafouer, sous couvert de lutter contre l'islamisme, l'une des libertés fondamentales de notre pays, celle de l'enseignement. En effet, le droit de choisir librement l'école de ses enfants fait consensus, bien au-delà des clivages politiques !

Et puis le contrôle financier est une chose, mais il y aussi le contrôle des écoles en elles-mêmes. Contrôler est naturellement indispensable pour s'assurer de la qualité des enseignements. Mais quand ces contrôles servent de prétexte à une véritable inquisition de la part de ceux qui les exercent, le risque de dérive est prégnant. Certains établissements sont contrôlés par plusieurs inspecteurs et là, tout y passe : interrogatoire du directeur, des enseignants et des élèves, photographies des cahiers et des classeurs, etc.

Pourquoi tant de défiance ? N'est-ce pas le terrible aveu que l'éducation nationale craint la montée en puissance de ces écoles parce qu'elle s'aperçoit que son propre niveau périclite dangereusement ? Quand près de 70 000 élèves échappent à son contrôle et plus de 120 nouvelles écoles ont vu le jour l'année dernière, on comprend très bien que le ministère s'inquiète. Une petite remise en question s'impose peut-être et il faut reconnaître que vous vous y employez, monsieur le ministre.

Pourtant ce projet de loi sorti du placard de l'ancienne ministre de l'éducation nationale, Mme Vallaud-Belkacem, semble en totale opposition avec le discours progressiste et moderne que vous affichez. Heureusement, le toilettage opéré par le Sénat a permis de purger le texte de ses plus gros défauts. Certaines incohérences demeurent néanmoins.

Vous n'avez de cesse de nous répéter que vous croyez en la liberté, en l'expérimentation, en l'innovation et en la différenciation comme une voie vers l'excellence. Mais interdire à qui n'a pas la bonne nationalité ou n'a pas travaillé dans le secteur de l'enseignement pendant au moins cinq ans de diriger une de ces écoles, c'est tout simplement faire le contraire de ce que vous prétendez à longueur de journée. C'est préférer l'entre-soi à l'ouverture d'écoles internationales qui ont vocation à être dirigés par des personnes étrangères à l'Union européenne. C'est faire de l'anti-innovation sous prétexte de faire de la protection. C'est préférer restreindre la liberté de tous pour pouvoir contrôler les graves dérives de certains, et ceci alors que d'autres moyens existent.

Plus profondément, je crois que la multiplication des écoles hors contrat pose la question de la qualité de l'enseignement délivré aux élèves et des méthodes d'apprentissages.

Par obstination, par idéologie parfois, des générations entières d'élèves ont été marquées par un apprentissage censé éclairer l'intelligence des écoliers. Depuis des années et même des décennies, on invente des théories d'apprentissage, on fait de nos écoles des laboratoires et de nos élèves des cobayes. Mais, aujourd'hui, les chiffres sont là : chaque année, 100 000 élèves sont en situation de décrochage scolaire !

Les écoles hors contrat sont pour beaucoup un moyen de récupérer ceux qui ne s'intéressent plus à leurs leçons et qui n'intéressent souvent plus l'éducation nationale, la plupart du temps, c'est un fait, faute de moyens. Lorsque l'État est défaillant et que l'on ne veut pas voir naître une nouvelle génération sacrifiée, on agit. C'est ce que fait avec beaucoup de courage l'écrasante majorité de ces directeurs et enseignants qui s'engagent pour nos enfants.

Comme le disait Charles Péguy : « Le triomphe des démagogies est passager, mais les ruines sont éternelles. » Ne laissons pas nos enfants grandir sur des ruines…

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