Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du mercredi 28 mars 2018 à 21h30
Régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, lorsque j'ai accepté, après quelque hésitation, d'être co-rapporteure avec ma collègue Sandrine Mörch d'une mission flash sur la radicalisation à l'école il y a un mois, nous avions déjà conscience de son caractère particulièrement sensible. Aujourd'hui, nous voyons tous à quel point ce sujet mérite que nos réflexions et les pistes que nous proposerons soient à la hauteur des enjeux particulièrement graves auxquels nous sommes confrontés.

Or la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui part d'un constat : nos réponses ne sont plus en adéquation avec les interrogations et les craintes que nous avons face aux phénomènes de radicalisation qui empoisonnent nos démocraties. Le caractère désuet des dispositions applicables à l'ouverture des écoles privées hors contrat et leur inadéquation face à l'augmentation du nombre de ces écoles ne peut nous échapper. Il existe actuellement environ 1 300 établissements scolaires hors contrat pour un peu moins de 8 000 établissements sous contrat. Certes, ils n'accueillent que 70 000 enfants sur les 1,2 million scolarisés en France.

Toutefois, et cela est inquiétant, le rythme d'ouverture d'établissements hors contrat, de quelques dizaines par an, est en forte augmentation : 60 % d'écoles hors contrat supplémentaires entre 2010 et 2017 et 25 % d'élèves supplémentaires entre 2012 et 2017.

Certes, les écoles hors contrat revêtent des formes multiples. Dans ces établissements, les libertés pédagogiques, intellectuelles, religieuses et philosophiques sont fortes. Certaines proposent des pédagogies alternatives, qui attirent de plus en plus de parents, en quête d'autres manières d'apprendre. Ce ne sont pas les écoles Freinet ou les petites écoles catholiques de nos campagnes qui nous inquiètent aujourd'hui.

Les données du ministère montrent que l'augmentation du nombre d'élèves concerne en particulier les établissements confessionnels, notamment les écoles musulmanes, coraniques ou salafistes – on peut choisir les termes.

M. Pupponi le rappelait à l'instant, les services de l'État reçoivent des signalements de plus en plus nombreux d'établissements dans lesquels le contenu de l'instruction serait très faible ou d'établissements dont l'enseignement ne correspondrait pas aux valeurs de la République.

De surcroît, des associations culturelles sont souvent adossées à ces écoles hors contrat. En proposant des activités variées sur le temps périscolaire, ces associations offrent aux parents une réponse pratique à des difficultés du quotidien et peuvent, dans cet espace beaucoup moins visible et contrôlé, réussir à avoir une emprise forte sur les enfants et les jeunes qu'elles reçoivent – elles vont même parfois les chercher à la sortie des écoles. Ce texte, si nous n'y apportons pas de sensibles modifications, ne permettra pas de nous prémunir contre les déviances extrémistes et sectaires.

En effet, cette proposition ne semble pas être tout à fait à la hauteur de l'urgence de la situation. Elle ne sera pas, nous le pensons, de nature à enrayer les phénomènes de radicalisation que nous constatons, non seulement dans certaines écoles hors contrat, mais aussi dans les situations, de plus en plus nombreuses, de scolarisation à la maison, phénomène, là aussi, dont l'augmentation révèle la tendance de ces familles à s'exclure du système pour revendiquer une différence et défier l'institution et ce qu'elle représente : la séparation entre la sphère privée et la sphère publique dans un esprit de laïcité, qui garantit la possibilité de parler des religions dans un esprit d'ouverture apaisé.

Contrairement à notre organisation historique où le spirituel est dissocié du temporel, ce qui permet à chacun de confronter ses croyances au fonctionnement des institutions et de faire sa propre critique de cette dialectique, le monde de la radicalisation englobe, dans un même système, une même vision du monde où le concret se mêle à l'abstrait et où le temporel rejoint le spirituel dans toutes les activités du quotidien. C'est souvent ce continuum idéologique qui est construit dans certaines de ces écoles hors contrat et qui finit par absorber totalement tout esprit critique et toute possibilité d'échapper à un environnement destructeur.

La seule réponse efficace, si nous voulons réellement espérer contrôler le devenir des enfants de la République, serait de passer, pour l'ouverture des établissements scolaires privés hors contrat, d'un régime déclaratif à un régime d'autorisation préalable. Une procédure d'autorisation préalable à toute ouverture paraît nécessaire, car, après l'ouverture d'une école, si celle-ci pose des problèmes, les possibilités d'action de l'État et des élus sont réduites dans le cadre du système de la déclaration. Chacun est mis devant le fait accompli ; il est souvent trop tard, le mal est déjà fait.

Les démarches et les procédures de recours sont en effet particulièrement longues et il faut souvent plusieurs années pour arriver à fermer une école hors contrat quand sa fermeture se révèle nécessaire. De plus, les cinq ans requis pour passer du hors contrat au sous contrat fonctionnent avec un automatisme qui permet à certains d'utiliser le système pour le détourner.

Notre école fait partie de notre patrimoine commun ; c'est pourquoi les attentes à son endroit sont considérables en matière d'éducation à la citoyenneté. L'ambition de l'école républicaine, que vous portez, monsieur le ministre, dans tous vos discours, ne peut être mise en péril par un texte qui ne répond pas complètement au problème posé et ne nous donne pas les outils et surtout les moyens humains et logistiques permettant de déceler les situations à risque.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.