Intervention de François Ruffin

Réunion du mardi 20 mars 2018 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Je vous ai apporté un rapport que la commission des affaires économiques attend depuis longtemps, à savoir le rapport d'activité du groupe Bigard que notre collègue Richard Ramos avait réclamé et au sujet duquel il avait déposé un amendement au projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, que votre majorité a rejeté. Ce rapport, je ne le cache pas, m'a été remis par un salarié. Il porte la mention : « Document strictement confidentiel, à usage exclusif des représentants du personnel ».

Avec la proposition de loi de transposition que nous examinons aujourd'hui, renforcez-vous les moyens à la disposition de la Représentation nationale, des salariés ou des journalistes pour avoir accès à ce type d'informations ou donnez-vous des moyens de coercition supplémentaires aux entreprises qui voudraient poursuivre des salariés soupçonnés d'avoir divulgué des données qui n'ont rien à voir avec le savoir-faire et les secrets de fabrication, à quoi je pensais que se limitait le secret des affaires ?

Car la définition du secret des affaires proposée ici est beaucoup plus large. On nous demande d'être les petits télégraphistes de Bruxelles, comme la Commission européenne a joué le rôle de petit télégraphiste des lobbies.

Une étude publiée par une l'ONG Corporate Europe Observatory, observatoire européen des multinationales, a révélé la correspondance sur ce dossier entre M. Michel Barnier et les lobbies, un lobby en particulier : le TSIC (Trade Secrets and Innovation Coalition), monté pour l'occasion et qui regroupe les Français Air Liquide, Alstom, Michelin et Safran, ainsi qu'un certain nombre d'entreprises américaines telles DuPont, General Electric, Intel – ce qui signifie bien que son but n'est pas de protéger spécifiquement les entreprises européennes.

Permettez-moi de vous citer un mail de M. Michel Barnier à ce lobby : « Mon espoir est de pouvoir démontrer que toutes les entreprises fondées sur l'économie de la connaissance et en particulier les PME reposent sur le secret des affaires. J'espère sincèrement que votre organisation va continuer de nous assister pour parvenir à cet objectif, et je suis ravi d'entendre de la part de mes services l'excellente coopération jusqu'à ce jour ».

En d'autres termes, les conclusions de l'étude sont livrées avant l'enquête, ce qui signifie qu'elle sera nécessairement orientée et, lorsque la Commission européenne organise une table ronde, elle mandate Business Europe, qui contacte les intervenants, ce qui a entre autres la vertu de faire faire des économies de fonctionnement à la Commission européenne. Voilà comment a été élaborée la directive européenne qu'on nous demande de transcrire. On comprend pourquoi les lobbyistes sont ravis et félicitent la Commission.

Au sein du TSIC, on trouve, aux côtés de DuPont, qui va par ailleurs mener, auprès de la Commission, des actions de lobbying à titre personnel, un autre groupe de pression – nous avons là de véritables poupées russes –, le CEFIC (Conseil européen de l'industrie chimique), qui travaille pour l'industrie chimique.

L'étude publiée par Corporate Europe Observatory mentionne enfin le lobbyiste Joseph Huggard, qui a travaillé chez ExxonMobil Chemical et GlaxoSmithKline, et qui se targue d'une expérience de plus de trente ans au service des entreprises produisant les substances chimiques les plus controversées.

Quel est l'objectif poursuivi par les lobbies de la chimie ? Ce n'est pas de protéger les secrets de fabrication mais d'empêcher que soient rendus publics les essais cliniques internes et les données toxicologiques. Pour mémoire, DuPont, c'est l'essence au plomb, dont l'entreprise sait, dès les années vingt qu'elle pollue l'atmosphère ; c'est le fluor, dont elle connaît, dès 1981, le caractère nocif.

Face à ces groupes de pression, notre rôle est-il d'aider à rendre publiques les données toxicologiques ou bien de faire en sorte que les entreprises continuent de se développer dans une opacité toujours plus épaisse ?

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