Intervention de Pierre Morel-À-L'Huissier

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 15h00
Récépissé de contrôle d'identité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Morel-À-L'Huissier :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous devons aujourd'hui prendre position sur la proposition de loi relative à la mise en place d'un récépissé dans le cadre d'un contrôle d'identité. L'objectif de cette proposition est de « lutter contre les contrôles d'identité discriminatoires et abusifs ». S'il y a un point sur lequel l'ensemble de cet hémicycle est d'accord, c'est bien sur le fait qu'aucune discrimination n'est admissible et qu'il est nécessaire de lutter contre celles qui sont commises sur notre territoire ; nous devons lutter contre toutes les discriminations. La reconnaissance de ce principe n'est donc pas l'objet du débat qui nous réunit aujourd'hui. L'unanimité en ces lieux est suffisamment rare pour que nous la soulignions.

La question de la discrimination lors des contrôles d'identité est d'autant plus importante qu'elle touche à la force publique. La relation qu'entretient l'État ou la République avec ses citoyens est primordiale. Si les chiffres énoncés en la matière ne sont pas contestables, ils sont discutés de manière d'autant plus exacerbée que certaines affaires et faits d'actualité choquent particulièrement. Nous avons tous en tête l'affaire Théo ; il est difficile de ne pas y penser. Toutefois, l'enquête se poursuit et la justice déterminera la responsabilité de chacun – ce n'est pas à nous de juger cette affaire. En tout cas, ces faits tragiques permettent de réaffirmer un autre principe sur lequel nous nous accordons tous : il n'est pas question de faire preuve de laxisme face à des violences injustifiées.

Si l'impunité ne doit pas être admise, un procès d'intention à l'égard de l'ensemble des policiers serait injuste et ne doit pas non plus avoir sa place dans le débat. Il serait trop simple de réduire une profession à des cas particuliers. Depuis les attentats de 2015, les enjeux sécuritaires n'ont jamais été aussi graves dans notre pays, et la pression que connaissent ceux qui nous protègent au quotidien n'a jamais été aussi prégnante. Chaque jour, la police et la gendarmerie nationales travaillent sur des terrains difficiles et avec des moyens trop souvent insuffisants, notamment lors d'opérations nocturnes souvent complexes – je peux en témoigner en tant qu'avocat. Pour autant, il ne faut pas dresser un tableau plus négatif qu'il ne l'est. Des progrès vers plus de transparence ont été réalisés ces dernières années, avec l'obligation pour les policiers d'afficher leur numéro de matricule et la possibilité de transporter une caméra mobile pendant leurs interventions.

Ce sont donc deux réalités qui s'affrontent : la première est celle des discriminations subies par certains de nos concitoyens ; la seconde est le manque de moyens et de reconnaissance que dénoncent les forces de l'ordre.

Une fois ces deux constats faits, il faut trouver une solution, et c'est là que nos avis divergent. Pour belles que soient les intentions de principe, elles ne font pas nécessairement de bonnes lois. Dans le cas présent, il y a trois raisons majeures qui me font douter de la capacité de la proposition de loi à atteindre son but, à savoir lutter contre les discriminations lors des contrôles d'identité.

Tout d'abord, comme vous le savez, un contrôle d'identité est soumis à des conditions. Un policier ne peut procéder à un contrôle que s'il existe une « raison plausible » de soupçonner une infraction. Dans l'article 1er du texte qui nous est soumis, il est proposé de modifier le code de procédure pénale de façon à ce que le contrôle d'identité soit conditionné non plus à des « raisons plausibles », mais à des « raisons objectives et individualisées ». Voilà un beau changement sémantique mais, dans les faits, dans le quotidien, dans le monde concret, que cela va-t-il changer pour les victimes de discrimination ? Rien, parce que la définition que donnent les juges au terme « plausible » correspond déjà à cette notion de « raison objective et individuelle ».

En la matière, la jurisprudence actuelle est claire et conforme à celle de la Cour européenne des droits de l'homme : « l'existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou de renseignements propres à persuader un observateur objectif que l'individu en cause peut avoir accompli l'infraction ». Cette définition n'est autre que celle d'un arrêt de la CEDH datant de 1990. La France étant signataire de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cette définition s'applique. Si on analyse la phrase, on se rend vite compte que le terme « raison plausible » recouvre la notion de « raison objective et individuelle ». On aboutit donc à la conclusion suivante : l'article 1er est inutile car il ne modifiera pas le droit existant.

La deuxième raison qui m'amène à douter de l'efficacité de ce texte se trouve dans le contenu du récépissé. À l'article 2, il est précisé que ce dernier devra « spécifier le motif du contrôle ». À cet égard, il y a deux hypothèses. La première est qu'il s'agisse de spécifier de façon stricte le motif du contrôle. Or, dans ce cas, il ne s'agira que d'une redite du code de procédure pénale, car les motifs du contrôle d'identité sont déjà inscrits dans la loi. Il suffit de lire l'article 78-2 du code de procédure pénale, qui prévoit cinq cas précis, notamment les deux suivants : il faut « avoir commis ou tenté de commettre une infraction » ou « se préparer à commettre un crime ou un délit ». Si l'objectif est de faire recopier le code aux policiers, je n'en vois pas l'intérêt pour les victimes. Le juge est capable de lire ces conditions lorsqu'il tranche une affaire de discrimination.

La seconde hypothèse est que le policier doive circonstancier les motifs du contrôle, c'est-à-dire expliciter pourquoi il soupçonne untel ou untel d'avoir commis un délit. Cela a un nom : un procès-verbal. Or l'établissement d'un procès-verbal demande du temps et de la logistique, temps que les policiers n'ont pas, logistique dont ils ne disposent pas. Le contrôle d'identité doit être simple et rapide pour être efficace. Le policier n'a pas pour consigne de faire du secrétariat dans la rue lorsqu'il est en mission ! Pour cette deuxième raison, la proposition de loi, je le répète, n'est pas adaptée et ne répond pas aux besoins.

J'en viens à ma troisième remarque. Le récépissé doit préserver l'anonymat des personnes contrôlées. L'enjeu est ici facile à cerner ; l'opposition entre la nécessaire protection des données que défend notamment la Commission nationale de l'informatique et des libertés et les besoins de la police n'est pas nouvelle. Toutefois, si la nécessité de l'anonymat peut s'entendre, se pose une question de taille : comment garantir l'intégrité du récépissé ? Comment s'assurer qu'un bout de papier donné anonymement ne sera pas falsifié ou qu'il ne sera pas transmis à une tierce personne ? Soit le récépissé est totalement anonyme, mais, dans ce cas, la preuve ne sera jamais recevable puisqu'on ne pourra contrôler l'identité du contrôlé ; soit le récépissé est anonymisé au moyen d'un système codé, mais, dans ce cas, il faudra procéder à un enregistrement ou recourir à je ne sais quel autre système. Or rien n'est précisé dans la proposition de loi, sans compter que se pose une fois encore la question du temps et de la logistique évoquée précédemment.

Ce qu'il faut retenir de tout cela, c'est que les articles proposés sont, au mieux, inutiles et, au pire, inapplicables au regard de l'ampleur des missions qui incombent à la police nationale. Or un texte inapplicable n'est pas un bon texte. Une fois encore, en m'opposant à cette proposition de loi, je ne m'érige pas en défenseur de l'impunité des policiers. À mes yeux, la question est la suivante : par quels moyens réalistes et applicables pouvons-nous lutter contre les discriminations ? Le débat sur le récépissé n'est pas simple car sa mise en place pose de lourdes questions. À mon sens, cette proposition de loi n'est pas adaptée aux enjeux auxquels elle entend s'atteler. Je le répète : ne résumons pas le débat sur ces questions si graves à de belles déclarations de principe, mais soyons pragmatiques et lucides sur les réalités du terrain et de l'activité des forces de police. Selon moi, une éventuelle évaluation du dispositif actuel constituerait une meilleure orientation dans un premier temps : elle permettrait de mesurer le nombre de dérapages et de condamnations de l'État.

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