Intervention de Pierre Moscovici

Séance en hémicycle du mercredi 16 février 2022 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes :

Le rapporteur général de la commission des finances ne cesse d'ailleurs de le dire depuis des années. Un tel objectif ne peut être atteint qu'en menant une politique budgétaire ciblée visant à redresser la trajectoire des finances publiques. La Cour a remis au Président de la République et au Premier ministre un rapport sur ce sujet en juin dernier ; il présente les deux piliers d'une stratégie à déployer : d'abord la croissance, qui est indispensable et que nous avons besoin de conforter par des investissements dans les transitions énergétique et numérique, dans la recherche, dans l'innovation et dans notre tissu industriel.

Mais, à côté de cela, il est indispensable de réformer profondément la gouvernance des finances publiques et de parachever, deux décennies après son adoption, notre constitution financière. L'adoption de la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques et la loi portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du Parlement sur les finances publiques concourent à ces objectifs. Je m'en réjouis ; nous avons bien travaillé, avec la commission des finances, pour y parvenir, même si, à mon sens, il faut aller encore un peu plus loin. Pour maîtriser la dépense publique à l'échelon national, plusieurs réformes d'envergure doivent encore être menées dans des domaines prioritaires que nous avons identifiés – nous avons cité les retraites, l'assurance maladie, la politique de l'emploi et la politique du logement. Au niveau européen, une réforme du cadre de gouvernance des finances publiques doit aboutir avant la levée de la clause dérogatoire prévue en 2023. Il me semble que nous devons privilégier une approche pragmatique, par exemple en cantonnant certains investissements, notamment écologiques, d'une part, et en déterminant, d'autre part, un taux d'endettement propre à chaque pays en fonction de sa situation macroéconomique.

Ce constat sur les finances publiques étant posé, nous avons fait le choix de traiter, dans ce rapport public annuel, de sujets sectoriels importants par leur ampleur opérationnelle ou par les masses financières en jeu.

Le premier enseignement du rapport public annuel 2022 est qu'en dépit d'une anticipation insuffisante face à une crise, il est vrai, absolument sans précédent, les pouvoirs publics, les autorités publiques, le service public en France ont été globalement réactifs. Ils ont fait preuve d'une très grande capacité d'adaptation, et même d'innovation, pour protéger la population, pour assurer la continuité du service public et pour préserver le tissu économique. L'État, dans ce moment, a joué le rôle d'un assureur en dernier ressort, et c'est un enseignement de la crise que cette forme de réconciliation de nos concitoyens avec l'État.

D'abord, malgré les contraintes initiales qui étaient les leurs et l'intensité de l'activité à laquelle ils étaient confrontés, les acteurs publics ont su se mobiliser rapidement. Je vais vous en donner quelques exemples. Le chapitre relatif à la direction générale des finances publiques (DGFIP) et à la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) illustre parfaitement la très forte mobilisation du personnel administratif, le développement des méthodes de travail à distance et la numérisation des procédures. Il faut rappeler, à juste titre, que ces directions n'étaient pas prêtes quand la crise sanitaire s'est emballée. Les outils de gestion de crise tels que les plans de continuité d'activité ou les modalités de travail à distance y étaient peu développés – seuls 27 % des agents de la DGDDI et 17 % des agents de la DGFIP étaient équipés d'ordinateurs portables en mars 2020 –, mais l'administration a été très performante par sa réactivité. Les deux directions ont pris la mesure de la crise sanitaire et, en juin 2021, elles ont porté leur taux d'équipement à 81 %, ce qui représente un bond considérable.

La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ont également été parfaitement réactives face à la crise. Le chapitre qui leur est consacré souligne qu'elles étaient, elles aussi, peu préparées, mais que la continuité du service a été assurée au prix d'une adaptation des modalités de fonctionnement en milieu fermé et d'une forte réduction des activités en milieu ouvert. Comme cela a été fait partout en Europe, l'administration pénitentiaire a accéléré les sorties de détenus condamnés à des peines légères ou présentant les meilleures chances de réinsertion. Nous émettons toutefois une réserve importante concernant la politique vaccinale des détenus et du personnel pénitentiaire qui n'ont pas été considérés comme prioritaires – à tort, à notre avis.

Je voudrais ensuite souligner le rôle clé joué par l'État, qui a choisi d'apporter un soutien massif aux secteurs les plus fortement touchés par la crise sanitaire et à l'activité économique du pays. L'une des meilleures illustrations fut l'instauration du dispositif des prêts garantis par l'État, les désormais célèbres PGE. Face à un risque majeur de resserrement du crédit, la France, dans le cadre juridique fixé par la Commission européenne, a mis en place ce que l'on appelle des ponts de liquidités pour les entreprises. Au-delà du dispositif lui-même – qui représente tout de même quelque 120 milliards d'euros –, ce que nous mettons en avant, c'est la rapidité d'octroi et le bon calibrage des PGE. Ce succès a été favorisé par la bonne coopération entre l'administration, les acteurs financiers et BPIFrance, organisme que je connais bien pour l'avoir porté sur les fonts baptismaux et qui a joué un rôle tout à fait décisif.

L'État a également fait le choix d'intervenir directement dans des secteurs spécifiques, à l'instar du monde sportif, dont le chiffre d'affaires a connu une chute dramatique de 20 milliards d'euros en 2020. L'État a donc mis en place des aides importantes en faveur du sport. À l'image de la crise elle-même, il a fallu prendre des mesures fiscales exceptionnelles. Nous montrons, dans un chapitre entièrement dédié à ces mesures, comment l'administration fiscale française a pris les décisions adéquates pour soutenir la trésorerie des entreprises.

Enfin, l'État a été particulièrement présent pour assurer la bonne gestion des biens de première nécessité comme l'électricité et les transports collectifs, qui ont été lourdement frappés par la crise. Le maintien de l'alimentation en électricité est un bel exemple de coopération et de coordination entre l'ensemble des acteurs publics et privés du secteur électrique. Nous montrons que l'État a joué un rôle structurant et qu'il a su protéger. Au plus fort de la crise sanitaire, il a agi en faveur des consommateurs et des entreprises face à la hausse des prix en prolongeant, par exemple, la trêve hivernale et en permettant des reports de factures. L'État a aussi su soutenir : il a en effet apporté un soutien financier à EDF, principal producteur d'électricité en France, au travers d'une émission obligataire de l'entreprise d'un montant de 960 millions d'euros.

Autre secteur clé : les transports, auxquels sont consacrés plusieurs chapitres du rapport, l'un dédié au réseau de transports collectifs de la région Île-de-France, l'autre à l'opérateur public Transdev et aux aéroports français. Tous deux soulignent que l'État a joué un rôle majeur. L'enquête de la Cour des comptes sur les transports collectifs en Île-de-France a montré qu'Île-de-France Mobilités et les opérateurs RATP et SNCF ont choisi de maintenir une offre largement supérieure à la fréquentation qui, logiquement, avait connu une chute brutale.

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