Intervention de Chantal Jourdan

Séance en hémicycle du mercredi 2 février 2022 à 15h00
Évolution de la santé psychique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Jourdan :

Le constat est unanime, et il est alarmant : dans le contexte d'insécurité sanitaire, sociale et économique que nous traversons depuis deux ans, les signes de souffrance psychique dans la population se sont multipliés. La pandémie a mis en exergue et aggravé les carences de notre système de prise en charge des troubles psychiques, aussi bien en ce qui concerne la prévention qu'en matière d'accompagnement et de traitement.

Il y a urgence car, hors crise sanitaire, la situation était déjà préoccupante. En France, une personne sur cinq est touchée chaque année par un trouble psychique, soit 13 millions de personnes. Le taux de suicides est de 13,2 pour 100 000 habitants, ce qui est l'un des niveaux les plus élevés que connaissent les pays européens de développement comparable.

Il y a urgence car, dans le contexte de la crise sanitaire, même si certains troubles se sont amoindris lors du premier confinement, toutes les études démontrent une dégradation générale de la santé mentale. Les troubles anxieux atteignent des niveaux très élevés et la dépression a plus que doublé. Les troubles du sommeil sont en progression, ainsi que les comportements addictifs.

Les personnes âgées ont été particulièrement touchées au cours des deux dernières années. Comme nous le savons, le vieillissement s'accompagne d'une prévalence de troubles psychiques, en particulier des troubles dépressifs et des maladies neurodégénératives. Les personnes âgées vivant en institution sont particulièrement concernées. L'isolement est l'une des principales causes de cet état de santé psychologique dégradé et son effet s'est renforcé avec la crise sanitaire.

Pour les jeunes également, les deux dernières années ont été très éprouvantes. Chez les adolescents et jeunes adultes, tous les liens et repères sociaux ont été chamboulés. À l'isolement que toute une partie d'entre eux a ressenti de façon très violente s'est ajouté un fort sentiment d'inquiétude concernant leur scolarité, la valeur de leur diplôme ou leur future insertion professionnelle, sans parler de leur situation financière difficile. Le résultat est net – et les retours des professionnels à ce sujet doivent absolument être entendus : près de 40 % des jeunes de 18 à 24 ans déclaraient subir des troubles anxieux en février 2021. La fin de l'année 2020 et l'année 2021 ont été marquées par une hausse des conduites suicidaires, particulièrement chez les jeunes filles. Si les explications de ces phénomènes différenciés ne sont pas encore bien établies, nous devons néanmoins être rapidement capables d'agréger les données, notamment par sexe, âge et milieu social, afin de mener des politiques publiques ciblées.

Quant aux enfants, ils ont évolué au cours des deux dernières années dans des conditions très particulières : dans le cercle scolaire comme dans le cercle familial, les habitudes et les interactions ont été chamboulées et les tensions et les violences ont augmenté. Les mesures de distanciation, les confinements, la fermeture de classes, les protocoles évolutifs posent un certain nombre de problèmes, ainsi que le fait que les enfants vivent depuis deux ans face à des visages masqués. À ce propos, ne pourrait-on pas envisager une distribution généralisée de masques inclusifs aux personnels en contact avec les enfants ? Concernant ces derniers, les études et les retours des professionnels sont également inquiétants : les troubles anxieux et dépressifs augmentent, les troubles cognitifs et du comportement également. Là encore, une réflexion sur l'accompagnement spécifique à apporter pour les prochaines années doit être engagée très rapidement.

Il y a urgence, parce que les structures prenant en charge les troubles psychiques sont à bout de souffle. De nombreux services sont saturés et les listes d'attente n'en finissent plus de s'allonger. Est-il acceptable d'attendre deux ans pour être pris en charge ? En la matière, la perte de sens atteint autant les patients que les soignants.

Face à ce constat, qu'en est-il de nos politiques publiques ? Ces dernières années, les questions relatives à la prise en charge de la santé mentale ont commencé à intégrer le débat public. Cela s'est notamment traduit par l'institution, en 2016, des projets territoriaux de santé mentale (PTSM) et, plus récemment, par l'élaboration de la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie. Néanmoins, c'est la crise sanitaire qui a réellement permis de placer la question sur le devant de la scène, conduisant le Gouvernement à lancer différents dispositifs d'accompagnement psychologique et à organiser, en septembre 2021, les assises de la santé mentale. Ce dernier événement a cependant été critiqué par l'ensemble des professions du secteur, qui ne se sont pas senties réellement écoutées et considérées. De leur côté, les dispositifs mis en place peinent à répondre aux besoins. C'est notamment le cas du chèque psy étudiant, dont le nombre limité de séances ne permet pas le traitement de traumatismes, de deuils ou de dépressions persistantes.

Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, le Gouvernement a également proposé un dispositif de remboursement des consultations psychologiques, mais celui-ci a suscité un très fort mécontentement de la part de la profession. Il va évidemment dans le bon sens mais, comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire ici, les modalités prévues – adressage, nombre et durée des séances prédéfinis et limités, sous-tarification – ne nous semblent pas de nature à répondre aux besoins. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, nous indiquer quand sera publié le décret d'application et comment vous comptez pallier le peu d'inclination des psychologues à s'inscrire dans le dispositif ?

En matière de santé mentale, le Gouvernement tente de colmater les brèches. Pourtant, c'est à une refonte globale de l'organisation des soins qu'il nous faut procéder. La réforme du financement de la psychiatrie, par exemple, semble peu pertinente sans schéma directeur précis comportant des objectifs chiffrés.

Nous proposons qu'une loi-cadre fixe les grands objectifs en matière de santé mentale. Pour les atteindre, un plan pluriannuel, fondé sur une évaluation concrète des besoins, serait élaboré après une réelle consultation, territoire par territoire, des professionnels de terrain et des structures publiques et privées. Un travail important doit être effectué sur la prévention et la détection, car ces axes d'intervention sont insuffisamment pris en compte. Il faut une politique de santé publique qui informe et prévient, de façon à changer le regard sur la santé mentale. Il faut sensibiliser la population et informer, dès le plus jeune âge, sur les moyens de détecter les signes d'un trouble – en formant non seulement l'ensemble des professionnels au contact des enfants, mais aussi les enfants eux-mêmes. Au collège, il faut parler de troubles anxieux, dépressifs, alimentaires et addictifs. Il faut également renforcer les moyens dédiés à la médecine scolaire et aux accompagnants, tels que les psychologues de l'éducation nationale, les infirmiers scolaires, les assistants d'éducation (AED), les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), etc. Les causes des troubles liées à l'environnement social doivent également être traitées. Comment peut-on admettre que les burn-out et les suicides au travail soient en hausse ? Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous apporter des éléments sur la politique du Gouvernement en la matière ?

L'autre axe de travail primordial doit être l'accessibilité des soins. La densité de psychiatres est très inégale sur le territoire. Le problème est encore plus visible pour ce qui concerne les pédopsychiatres, avec dix-sept départements dépourvus de praticiens. Ce constat doit être mis en parallèle avec la problématique de la démographie médicale dans le secteur psychiatrique et les difficultés rencontrées pour attirer de jeunes internes en psychiatrie. L'attractivité du secteur doit être placée au cœur de nos politiques publiques de santé mentale. Nous pourrions, par exemple, envisager l'obligation de faire un stage en psychiatrie dans le cadre des études de médecine.

Il faut aussi revaloriser l'ensemble des professions du secteur et donner les moyens nécessaires aux structures pour fonctionner en pluridisciplinarité. Les psychologues, en particulier, ont un rôle fondamental à jouer en matière de soin. Or, dans ce domaine aussi, le recrutement est devenu difficile, particulièrement pendant les deux dernières années.

Les capacités d'hospitalisation en psychiatrie sont également très inégales. Sur le terrain, tous témoignent que les moyens débloqués par le Gouvernement sont largement insuffisants et ne se traduisent pas par des renforts humains et matériels. Il est indispensable de repenser la coopération et la complémentarité entre soignants, de former davantage les infirmiers et infirmières, mais aussi les personnels du secteur médico-social à la prise en charge des troubles psychiques, et de valoriser ces compétences. Quelle est l'action du Gouvernement de ce point de vue ?

Enfin, plus largement, nous devons tirer dès à présent les leçons structurelles de ce que nous avons vécu ces deux dernières années, bien que la crise sanitaire ne soit pas terminée. La volonté de revenir à une situation normale ne doit pas nous empêcher de mener une réflexion profonde sur les facteurs sociétaux qui agissent sur la santé mentale. La note scientifique de l'OPECST, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sur les équilibres psychosociaux à l'épreuve de la covid-19 est très éclairante à cet égard. Ces observations doivent être prises en compte et entrer dans le champ d'un grand plan sur la santé mentale. Pour améliorer la santé mentale de tous, rien de tel que de renforcer la cohésion sociale, de favoriser le sentiment d'utilité et de retrouver le sens de ses actions.

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