Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du lundi 31 janvier 2022 à 16h00
Avenir du secteur aéronautique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Je remercie mes collègues du groupe Libertés et territoires d'avoir inscrit à l'ordre du jour ce débat sur l'avenir du secteur aéronautique, tant il est inhabituel, en Macronie, de se projeter dans l'avenir. Eh oui ! Qui dit avenir dit prévoir, anticiper, planifier, et tout cela est bien difficile lorsqu'on fait confiance au marché, lui-même régi par la cadence du court terme. Et quand la magie du marché s'avère inefficace, le Gouvernement fait ce qu'il sait faire de mieux : saupoudrer.

La crise sanitaire a bouleversé le secteur. L'année dernière, le trafic aérien mondial a été réduit de moitié par rapport à 2019. Mais selon le Gouvernement, il ne s'agirait là que d'une brève parenthèse, précédant un retour à la normale. Dans le plan de relance, le Gouvernement a donc saupoudré : en tout, le secteur aéronautique a bénéficié de 15 milliards d'euros de prêts garantis par l'État (PGE). Cela aurait pu être l'occasion de demander des contreparties aux grands groupes, mais non. Saupoudrez comme il vous plaira, et sans garanties sociales !

Ainsi, pendant la crise, Airbus a annoncé la suppression de 15 000 postes dans le monde, dont 6 000 en France ; chez Safran, 10 000 postes seront supprimés dans le monde, dont 3 000 en France ; et chez Air France, il y aura 7 500 postes en moins d'ici à la fin de 2022. Mieux, l'État, en tant qu'actionnaire de la compagnie Air France-KLM, a voté pour l'octroi d'un bonus de 800 000 euros au directeur de l'entreprise, somme qui s'ajoute aux 7 milliards d'euros de prêts garantis dont elle a bénéficié, et ce malgré l'annonce d'un plan de départ volontaire. Saupoudrez comme il vous plaira, vous dis-je !

La crise aurait pu être l'occasion de remettre en question le bien-fondé de la croissance du trafic aérien. Après tout, un trajet en avion – vous le savez, monsieur le ministre délégué – est en moyenne quatorze à quarante fois plus polluant qu'en train. Le trafic aérien double tous les quinze ans et la filière est responsable de plus de 7 % de l'empreinte carbone de la France. Peut-être serait-il alors plus sage d'amorcer la bifurcation écologique ? Mais non ! Saupoudrez comme il vous plaira, et sans garanties écologiques.

En pleine crise sanitaire, Air France a par exemple lancé son premier vol Paris-Montpellier, qui aurait largement pu être remplacé par un trajet ferroviaire. Alors certes, le Gouvernement gesticule et se targue de supprimer les vols correspondant à un trajet de moins de deux heures trente en train. Ce faisant, il ne réduirait que de 0,5 % les émissions de l'ensemble des vols au départ de la France ; mais pas de panique ! Le Gouvernement a une confiance aveugle en la capacité du marché à nous sortir de l'impasse.

Le plan France 2030, annoncé en grande pompe par Emmanuel Macron, prévoit par exemple de développer les avions bas-carbone. À ce sujet, le Président de la République est plus optimiste que les dirigeants d'entreprise eux-mêmes : il vise le développement d'un avion neutre en carbone pour 2030, tandis que le PDG d'Airbus évoque l'échéance de 2035 et que 300 compagnies aériennes ont déclaré ne viser la neutralité que pour 2050. Peu lui importe qu'une sommité du transport aérien nous dise que la solution d'Airbus ne pourra ni s'appliquer à grande échelle ni limiter les émissions de CO2. Peu lui importe que l'avion neutre en carbone soit de toute façon un mythe, tant il nécessite des biocarburants qui concourent à la déforestation importée ou s'appuie sur des mécanismes de compensation carbone.

En effet, le Président de la République s'obstine et s'entête : pour lui, la crise sanitaire n'est qu'une parenthèse. La crise écologique et climatique sera résolue ou contournée par le progrès technologique. Il s'en remet à la magie du privé et délaisse la recherche publique – et j'en profite pour saluer ici, au nom du groupe La France insoumise, les chercheurs de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), en grève pour de meilleurs salaires. Pour le Président, il suffirait de continuer comme avant, jusqu'à ce qu'il soit trop tard.

Dans ce contexte, vous pourrez saupoudrer et saupoudrer encore, jusqu'à admettre cette vérité : alors que nous entrons dans l'ère des pandémies et des événements climatiques extrêmes, il n'y a pas de retour à la normale possible. La solution tient en un mot : planifier. Il faut planifier la réduction du trafic aérien et la décarbonation du secteur, planifier la reconversion des salariés et des sous-traitants – j'insiste, monsieur le ministre délégué –, dont le savoir-faire et l'expertise devront être mis au service de secteurs plus écologiques. Cela signifie qu'il faut, dans les domaines aérien, spatial et celui de la défense, substituer à la logique commerciale une logique de service public, fondée sur les besoins de la population et non sur la recherche frénétique du profit. Et pour cela, oui, des nationalisations seront nécessaires : cela s'appelle la planification écologique et celle-ci, ne vous en déplaise, doit être guidée par l'intérêt général humain.

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