Intervention de Sylvia Pinel

Séance en hémicycle du lundi 31 janvier 2022 à 16h00
Avenir du secteur aéronautique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvia Pinel :

« L'homme doit s'élever au-dessus de la terre, aux limites de l'atmosphère et au-delà, ainsi seulement pourra-t-il comprendre tout à fait le monde dans lequel il vit. » Socrate n'a pas assisté à l'avènement de cette fabuleuse invention que constitue l'avion, mais il en percevait déjà la richesse. Libéré de la gravité, l'homme a emprunté les airs pour découvrir d'autres cultures et d'autres modes de vie. L'histoire a démontré, à maintes reprises, lors des crises humanitaires notamment, comment il pouvait tirer profit de ce vecteur essentiel de paix et d'ouverture. La lutte contre le réchauffement climatique et la baisse historique du trafic aérien ces deux dernières années, en raison de la pandémie de covid-19, nous conduisent cependant à nous interroger aujourd'hui sur l'avenir du secteur aéronautique.

L'un des premiers défis, et non des moindres, que ce secteur devra relever est la décarbonation. Vous le savez, la filière n'a pas attendu certaines dispositions législatives pour diminuer son empreinte carbone. Au cours des trente dernières années, les différents progrès accomplis dans ce domaine ont d'ores et déjà permis de diviser par deux la consommation de kérosène par passager et par kilomètre et les émissions de CO2 associées. Reste qu'il faut aller plus loin et plus vite. La mission d'information sur l'avenir du secteur aéronautique qui nous a été confiée, à Jean-Luc Lagleize, que je salue amicalement, et moi-même, avait précisément pour objet d'examiner les conditions de cette transition écologique et d'approfondir différentes pistes.

Le premier levier de décarbonation sur lequel je souhaite insister, monsieur le ministre délégué chargé des transports, est le renouvellement des flottes. Les constructeurs aéronautiques ont bâti de nouvelles générations d'avions qui permettent des progrès significatifs tant en matière environnementale – ils consomment 15 % à 25 % de moins de carburant et réduisent par conséquent leurs émissions de CO2 –, qu'au niveau de la pollution sonore. Ces performances témoignent de plusieurs progrès techniques, parmi lesquels la motorisation de l'avion et l'allègement de l'aéronef grâce aux matériaux composites. Pour que ces innovations aient un effet sur les émissions de CO2, il est indispensable que les compagnies aériennes s'équipent de tels aéronefs et que des mécanismes incitatifs soient instaurés pour le renouvellement des flottes. Je regrette donc que les amendements que Jean-Luc Lagleize et moi-même avions déposés sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2022, qui visaient à créer un mécanisme de suramortissement pour le renouvellement des flottes, aient été rejetés.

Une autre piste intéressante consisterait à introduire des critères environnementaux dans les délégations de service public auxquelles sont soumises certaines liaisons aériennes pour favoriser des avions plus propres. Ce renouvellement est indissociable de la fin de vie des aéronefs. Aujourd'hui, un avion peut être recyclé jusqu'à 90 %. Nous devons redoubler d'efforts pour améliorer le recyclage de leurs matériaux de construction et inciter l'industrie à utiliser les composants qui en sont issus.

J'en viens à un élément déterminant pour l'avenir de l'avion bas-carbone : les carburants durables d'aviation, les SAF – Sustainable Aviation Fuels. Ils reposent sur une technologie qui présente des avantages certains puisque ces carburants sont immédiatement utilisables et peuvent être mélangés au kérosène. En outre, les gains d'émissions de CO2 qu'ils permettent en font un levier majeur de décarbonation du secteur et le seul disponible pour les vols long-courriers.

Pourtant, les SAF représentaient seulement 0,1 % des carburants utilisés pour l'aviation en 2018 alors que les dernières générations de moteurs permettent d'en incorporer jusqu'à 50 %. Cette faible utilisation s'explique par une production et une structuration de la filière insuffisantes. C'est la raison pour laquelle, lors de l'examen du PLF pour 2022, nous avions également déposé des amendements visant à soutenir la filière : nous proposions, en particulier, des moyens budgétaires supplémentaires et un crédit d'impôt pour les compagnies aériennes achetant des biocarburants durables produits par des industriels français. Par ailleurs, si les mandats d'incorporation obligatoire de SAF dans les aéroports européens, prévus dans le paquet législatif Fit for 55 – ou Paré pour 55 – et le projet de règlement européen, constituent une première étape, ils doivent être rehaussés.

Quant à l'optimisation de la gestion du trafic aérien et des opérations au sol, des solutions existent, mais elles méritent d'être déployées à plus grande échelle et plus rapidement. S'agissant des opérations au sol, je pense notamment à l'électrification des tarmacs. Pour le vol, la systématisation des approches en descente continue lors de l'atterrissage et le déploiement progressif des pratiques d'écopilotage doivent être développés.

Plusieurs autres technologies non moins prometteuses ont retenu notre attention : c'est le cas de l'avion à hydrogène et de l'avion électrique. Si certaines limites techniques ne permettent pas d'envisager leur utilisation à ce stade sur des vols long-courriers, ils représentent, chacun à leur échelle, une véritable opportunité pour désenclaver les territoires et décarboner efficacement le transport aérien. Les modèles d'avions électriques en cours de développement soulèvent des questions en matière de certification et d'adaptation des infrastructures aéroportuaires. Sur le plan financier, les acteurs de la filière nous ont alertés sur le manque de fonds d'investissement spécialisés et de dispositifs nationaux pour les soutenir. Nous recommandons donc au Gouvernement de développer et de faciliter les financements en faveur de l'aviation électrique.

L'utilisation de l'hydrogène pour propulser les avions constitue, quant à elle, une solution de moyen terme. Véritable innovation de rupture, la production massive d'hydrogène décarboné sera naturellement l'un des grands défis de demain. À cet égard, il faut saluer l'engagement de l'Union européenne et celui de la France, le plan France relance 2030 consacrant 7 milliards d'euros au développement de l'hydrogène. La région Occitanie fait également figure de pionnière dans ce domaine, avec le lancement du plan Hydrogène vert, doté de 150 millions, la mise en service de l'unité de production d'hydrogène Hyport à l'aéroport de Toulouse-Blagnac et la création à Francazal, d'ici à 2024, d'un technocampus dédié aux technologies de l'hydrogène.

Là encore, les défis seront multiples. Je pense notamment à l'adaptation de l'aéronef et des infrastructures aéroportuaires pour la distribution, à la sécurisation de l'ensemble des usages, à l'évolution de la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) relative à l'hydrogène et à la création d'un cadre de réglementation au niveau de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Une attention particulière devra être portée au problème de la limitation des ressources en hydrogène vert et aux concurrences d'usage entre les différents modes de transport. Pour anticiper ces difficultés, nous proposons d'établir un état des lieux précis des capacités de production d'hydrogène en Europe afin d'évaluer les investissements nécessaires et d'assurer un niveau de production suffisant pour répondre à la demande.

Ces défis exigent un effort massif dans la recherche et développement (R&D) pour que la France préserve son leadership au sein de la filière aérospatiale. D'autres pays, parmi lesquels l'Allemagne, cherchent en effet à nous devancer. Si des fonds importants – 1,5 milliard d'euros sur trois ans –, pilotés par le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC), ont été alloués au soutien à l'offre, le programme de R&D touchera bientôt à sa fin. Nous proposons donc de lancer un plan de soutien à long terme de la R&D dans l'industrie aéronautique pour l'après-2022, également piloté par le CORAC.

Je suis convaincue que l'une des clés de la mutation du secteur réside dans notre capacité à maintenir l'attractivité de la filière, à travers l'emploi et la formation. En effet, le développement des nouvelles technologies de décarbonation nécessitera de nouvelles compétences, dans le domaine de l'hydrogène, dont je viens de parler, mais aussi dans celui des risques cyber. Le renforcement de la formation continue sera essentiel pour garantir l'employabilité des salariés. Une étude avait par ailleurs mis en lumière les difficultés rencontrées par les PME pour moderniser leurs procédés de production. Cette modernisation est pourtant cruciale pour maintenir leur compétitivité. Plusieurs dispositifs existent dans notre pays pour soutenir les entreprises face aux enjeux de la digitalisation et de la numérisation, mais ils mériteraient d'être renforcés, notamment grâce à des appels à projets.

Avec la reprise des commandes du groupe Airbus, les sous-traitants doivent aujourd'hui accroître leur capacité de production, ce dont on peut se réjouir. Toutefois, une vigilance spécifique doit être portée aux difficultés de recrutement que connaissent les métiers de la maintenance, de la production et de la métallurgie, particulièrement sous tension.

L'accompagnement post-crise de la filière est un autre défi majeur. De façon quasi unanime, les acteurs que nous avons auditionnés ont reconnu les bénéfices du plan de soutien à l'aéronautique instauré par le Gouvernement, en particulier du dispositif d'activité partielle. Si le secteur affiche des signes de reprise, plusieurs points nécessitent une vigilance particulière. Il convient, tout d'abord, de veiller aux conséquences de l'arrêt progressif des aides conjoncturelles, notamment pour les plus petites entreprises de la filière. Il faut aussi s'assurer que les fonds de soutien nationaux, en particulier ceux du CORAC, irriguent bien l'ensemble de la filière et profitent aux plus petites entreprises. Nous proposons donc, dans notre rapport, un dispositif de suivi de la ventilation des fonds pour l'ensemble de la chaîne de sous-traitance.

La crise a également souligné la forte dépendance de certains sous-traitants à un seul programme aéronautique. C'est le cas, en particulier, de ceux qui travaillent uniquement sur des avions long-courriers. Il serait opportun d'améliorer la diversification des activités au sein de la filière et de consolider certaines petites entreprises afin qu'elles gèrent plus facilement les variations de cadence tout en se protégeant d'éventuelles prédations étrangères.

Vous ne l'ignorez pas, le succès de notre action dépendra largement de notre capacité à créer un cadre de réglementation s'appuyant sur des objectifs environnementaux ambitieux au niveau européen et international pour empêcher toute distorsion de concurrence et toute fuite de carbone. Nous aurons prochainement l'opportunité de démontrer le volontarisme français : au premier semestre 2022, avec la présidence française du Conseil de l'Union européenne, et, à l'automne 2022, lors de la 41e session de l'assemblée de l'OACI.

Pour l'écrivain et pilote américain Richard Bach, « un avion symbolise la liberté, la joie, la possibilité de comprendre. Ces symboles sont éternels. » Tâchons de nous en souvenir : si la France est l'un des rares pays à posséder les compétences pour construire un avion de A à Z, il est dans son ADN de croire dans le progrès et dans la science et de se consacrer à l'avenir du monde.

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