Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 13 janvier 2022 à 21h30
Légalisation du cannabis sous le contrôle de l'État — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, rapporteur de la commission des affaires sociales :

car le débat aurait été plus caricatural. Votre intervention m'a semblé davantage se situer dans le sillage de ce que disait le candidat Macron en 2016.

Sur France Inter, cette année-là, il déclarait en effet que « le cannabis pose un problème de sécurité, de lien avec la délinquance dans les quartiers difficiles, de financement de réseaux occultes », si bien que la « légalisation du cannabis a des intérêts […] et une forme d'efficacité ». Selon lui, « le sujet est ouvert et doit être considéré ». « Quand on regarde l'incapacité qu'ont les magistrats à régler le problème d'un point de vue pénal, je crois que nous sommes dans un système très hypocrite », ajoutait-il. « En même temps » – ce qui est normal venant de lui –, il précisait entendre « les préoccupations de santé publique […] émises par ailleurs », le sujet n'étant pas « léger », et affirmait souhaiter « ouvrir ce sujet » et « l'aborder de manière méthodique » dans les semaines qui allaient suivre, indiquant ne pas être « contre » la légalisation, « dans un principe d'efficacité et de justice ».

Nous sommes donc très loin de l'entretien donné dernièrement au Parisien et, très franchement, en vous entendant, monsieur le secrétaire d'État, j'ai eu l'impression que vous étiez plus proche de la version de 2016, du « en même temps », que de certaines déclarations récentes, et notamment des contre-vérités du ministre de l'intérieur. Je m'en satisfais, car cela démontre que les choses peuvent évoluer : c'est en tout cas ce que nous souhaitons.

Je répondrai maintenant à plusieurs éléments, à commencer par la baisse de la consommation des jeunes, observée – je l'ai dit dans mon intervention liminaire – depuis quelques années en France et dans le monde. Cette baisse est due à plusieurs raisons et se vérifie quelle que soit la politique adoptée au niveau national.

Nous pouvons nous en réjouir, même si la consommation de cannabis peut être remplacée par d'autres pratiques addictives, comme les paris ou les jeux vidéo, lesquelles individualisent davantage la question des addictions, étant donné que celles-ci ne sont pas uniquement liées aux produits psychotropes – sans d'ailleurs que cela soit de nature à nous rassurer.

La consommation de cannabis a également baissé au profit d'autres produits beaucoup moins chers que l'on peut trouver dans des lieux aussi faciles d'accès que les grandes surfaces : je pense notamment au produit pour gonfler les ballons, dont on retrouve les sachets un peu partout.

Ajoutons que la baisse de la consommation de tabac a également contribué à celle de la consommation de cannabis.

Cette dernière n'est, en revanche, pas due aux politiques publiques, du moins celles prohibant le produit. Vous l'avez dit très clairement, la réduction s'observe également dans les pays ayant légalisé la consommation de cannabis pour les majeurs – celle des mineurs restant bien sûr interdite. Je le répète une nouvelle fois : la baisse de la consommation n'est pas le fruit de la prohibition.

Certains orateurs ont également soutenu que la légalisation n'aurait pas d'effet positif sur le trafic. En l'occurrence, on ne peut s'appuyer sur les résultats du modèle le plus proche de celui que nous voulons instituer, celui du Québec, sans retenir ceux relatifs au trafic. Or, en deux ans, le commerce illicite de cannabis y a diminué de 60 %. Je vous assure qu'avec une telle baisse du trafic, la vie de beaucoup d'habitants des quartiers populaires de ma circonscription s'en trouverait changée.

C'est une donnée à considérer car, s'il est vrai, comme l'a dit l'un des orateurs, qu'il y aura toujours un marché noir du cannabis – il en existe bien un des cigarettes –, il n'empêche qu'il s'agit d'une baisse significative du commerce illicite, laquelle pourrait d'ailleurs permettre à la police de se réorienter vers la lutte contre d'autres trafics.

Certains intervenants ont aussi indiqué que la légalisation entraînerait un transfert de consommation vers d'autres drogues plus dures, mais il n'existe aucune étude pour le démontrer. Il me semble d'ailleurs que Caroline Janvier le notait elle-même dans le rapport d'information relatif à la réglementation et à l'impact des différents usages du cannabis et, pour ma part, j'en suis témoin dans ma circonscription. Quand un jeune fréquente un point de deal pour acheter du cannabis et qu'il s'y vend aussi de la cocaïne, il passera plus facilement à ce produit que si, du fait de sa légalisation, la vente de cannabis est complètement dissociée de celle des autres stupéfiants. J'insiste : aucun élément ne laisse penser que la légalisation du cannabis accroîtrait la consommation d'autres drogues.

Monsieur Dive, en ce qui vous concerne, vous avez insisté sur l'exemple des États-Unis ou, du moins, sur la première phase de la légalisation dans ce pays. Or, comme je l'ai dit dans ma première intervention, nous ne nous revendiquons pas de ce modèle. Le cannabis y a été légalisé, si je puis dire, selon les règles du capitalisme pur, avec une gentrification de la vente et tout ce que cela peut produire en termes de toxicité. Plutôt que cet exemple, nous souhaitons suivre le modèle du contrôle de l'État.

Il a aussi été noté que la consommation des adultes avait augmenté au Québec, ce qui est vrai. Face à ce constat, il serait toutefois intéressant de s'interroger sur deux points. Premièrement, on observe que l'augmentation de la consommation des adultes est fortement liée à l'usage du cannabis de manière médicamenteuse, notamment par les seniors. Ensuite, quelle est la toxicité du cannabis vendu dans cette province ?

Pour le dire autrement, si vous légalisez un cannabis dont la teneur en THC – tétrahydrocannabinol – est moins importante, qui est moins lié à la consommation de tabac et qui, en définitive, est moins dangereux pour la santé, vous consommerez un cannabis moins toxique, et ce même si vous en consommez plus que précédemment, lorsqu'il était interdit. En France, où les taux de THC sont les plus hauts d'Europe et où d'autres substances sont utilisées pour couper le cannabis, les risques pour la santé seront même moindres.

S'agissant maintenant de la politique de prévention, il s'agit effectivement d'une question très intéressante. Je l'ai reconnu, car il faut donner les faits, la France n'est pas inactive dans ce domaine. La MILDECA fournit des efforts et s'inspire notamment de ce qui est fait au Portugal. Nous allons donc un peu plus loin que ce que nous avons fait pendant des années, en nous bornant à dire que le cannabis était un produit interdit et qu'il ne fallait pas le consommer.

Car, pas plus que cela n'en a sur la consommation de tabac ou d'alcool, ce type de message n'a d'effet sur la consommation de cannabis. La réduction de la consommation de tabac et d'alcool n'intervient que lorsqu'on parle des usages et des risques. Dire que l'alcool est mauvais pour la santé et qu'il est de toute façon interdit d'en consommer, n'aurait aucune incidence : on ne chercherait qu'à persuader qu'on ne peut pas en boire.

La MILDECA conduit des expérimentations locales, mais c'est d'une politique globale et systématisée dans les écoles que nous avons besoin. Or, comme je l'expliquais tout à l'heure, un tel dispositif nécessiterait de dépenser davantage que 10 % des budgets dévolus à la lutte contre le cannabis.

Il s'agit d'un problème de fond, car tant que nous conserverons une politique de prohibition, nous n'admettrons pas que le produit existe, qu'il convient de baisser sa consommation, de manière tout à fait drastique et définitive chez les jeunes, afin d'en réduire les conséquences sur la santé.

Les députés des groupes UDI et indépendants et Les Républicains, si je ne fais pas erreur, ont justement évoqué les risques liés à la consommation de cannabis. Oui, cette substance est très dangereuse ; personne ne le nie. Il existe des risques de dépendance, des risques respiratoires et cardiovasculaires, ou encore des risques d'accident, si l'on conduit après avoir consommé. Mais à écouter cette liste, je me suis demandé si vous ne décriviez pas les risques liés à la consommation d'alcool, car ceux-ci sont statistiquement plus importants que pour le cannabis. Qu'on le souhaite ou non, voilà ce que disent les chiffres, au niveau mondial.

Oui, les risques liés au cannabis existent et peut-être souhaitez-vous aussi interdire l'alcool et les cigarettes, mais le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'est pas la prohibition, telle que nous l'appliquons au cannabis, qui nous a permis de réduire aussi fortement la consommation d'alcool ou de tabac depuis une soixantaine d'années. Et cela peut sans doute nous servir d'exemple.

Enfin, certains orateurs, comme ceux des groupes La République en marche et Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés, ont souligné qu'il n'était pas opportun de traiter une telle question lors d'une niche parlementaire. Je l'ai reconnu dès le départ, tout en indiquant que l'exposé des motifs de la proposition de loi contenait tous les éléments pour encadrer la légalisation, tant en matière de prévention, de répression, que de réinsertion sociale. Suivant vos sensibilités et pourvu que vous trouviez la question intéressante, rien ne vous empêchait donc, collègues, de reprendre ces éléments et de déposer des amendements, de sorte que nous élaborions et votions ensemble le texte.

Cela étant, je préfère retenir le fait que vous avez affirmé que ce débat était souhaitable et que, si ce n'était pas le bon moment pour légiférer, la question de la légalisation du cannabis se posait : je trouve cela plutôt encourageant. J'ai même noté que Mme de Vaucouleurs estimait qu'il serait opportun d'aborder cette question lors de la campagne présidentielle. Je vois cela comme un motif d'espoir : cela tombe bien, le candidat que je soutiens est favorable à la légalisation du cannabis sous le contrôle de l'État.

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