Intervention de Marc Fesneau

Séance en hémicycle du vendredi 7 janvier 2022 à 15h00
Accueil des migrants au sein de l'union européenne et réforme du règlement dublin iii

Marc Fesneau, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne :

Je suis honoré de représenter le Gouvernement pour ce débat de contrôle parlementaire sur l'accueil des migrants au sein de l'Union européenne et la réforme du règlement dit de Dublin III, alors que vient de s'ouvrir la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Je remercie le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés d'avoir choisi ce thème, non seulement en raison de l'actualité européenne, mais aussi parce que l'actualité migratoire en France se signale par plusieurs incidents tragiques rappelés à l'instant par M. Dumont.

Si nous ne sommes plus dans la situation de crise migratoire que nous avons connue en 2015-2016, il nous faut continuer à en gérer les conséquences, alors que les flux migratoires font l'objet d'une odieuse instrumentalisation par la Biélorussie depuis le mois de juin 2021. C'est pourquoi, si nous voulons prévenir une déstabilisation de l'Union européenne comme de ses États membres, la politique commune de cette dernière en matière d'asile et d'immigration doit être profondément réformée.

Dans un premier temps, je veux revenir sur la reprise des flux migratoires et sur la hausse du nombre de demandes d'asile en 2021. Avec plus de 120 000 entrées irrégulières constatées aux frontières extérieures de l'Union, en hausse de 76 % par rapport à l'an passé, le niveau des arrivées retrouve en 2021 celui de l'année 2019, après une nette baisse en 2020 sous l'effet de la crise sanitaire. Nous restons toutefois loin du pic atteint en 2016, au plus fort de la crise migratoire, avec 500 000 passages comptabilisés. Il faut noter que les tendances ont évolué depuis cette période quant aux principales routes empruntées : la route de Méditerranée orientale et des Balkans confirme sa décélération, tandis que la route de Méditerranée centrale – Libye et Tunisie – est devenue la principale route d'entrée, avec 53 % des arrivées en 2021.

La reprise des flux migratoires plonge ses racines dans deux causes géopolitiques importantes : d'une part, l'instrumentalisation de la question migratoire par la Biélorussie, qui a conduit à l'arrivée en Europe de plus de 8 000 personnes, même si plus de 45 000 tentatives d'entrées illégales ont pu être évitées ; d'autre part, l'arrivée au pouvoir des talibans en Afghanistan, qui a conduit à des évacuations organisées par tous les pays européens. Depuis le mois de mai 2021, la France a déjà accueilli près de 4 000 Afghanes et Afghans, collaborateurs de nos armées et de nos services diplomatiques et consulaires et personnalités particulièrement menacées en raison de leur engagement.

Face à cette reprise, les effectifs déployés aux frontières ont été doublés, passant de 2 400 à 4 500 depuis novembre 2020, grâce notamment à la mobilisation de 17,5 à 18,5 unités de forces mobiles par jour et au recours aux militaires de Sentinelle. Ce renforcement des moyens a permis de prononcer 102 635 refus d'entrée en 2021, soit une hausse de 65 % par rapport à 2020. Et 84 % de ces décisions sont prises à nos frontières intérieures, notamment avec l'Espagne et l'Italie.

Cette pression est perceptible dans le nombre de demandes d'asiles, qui donnent des signes de reprise depuis l'été 2021, dépassant le nombre de 2 000 demandes mensuelles, après une chute brutale en 2020 sous l'effet de la fermeture des frontières liée, je le disais, à la crise sanitaire. Le premier pays de provenance des primo-demandeurs d'asile en 2021 reste l'Afghanistan, suivi de la Côte d'Ivoire et du Bangladesh, tandis que l'Albanie et la Géorgie ont fait leur retour dans les dix principaux pays de provenance sur les dix premiers mois de l'année.

La reprise des flux migratoires révèle les limites des mécanismes européens, qu'il nous revient de corriger. Malgré un cadre européen en matière d'asile et d'immigration, il existe encore de trop grandes disparités entre les pratiques des États membres : c'est vrai pour l'asile aussi bien qu'en matière de contrôle de la frontière extérieure ou d'éloignement des étrangers en situation irrégulière.

S'agissant de l'asile, tout d'abord, je rappelle que la France constitue aujourd'hui l'un des premiers pays « de rebond », comme on dit, des demandeurs d'asile : 30 % des demandes relèvent de Dublin. Comme vous le savez, en l'absence d'une procédure d'asile unique à l'échelle européenne, le règlement dit Dublin III, qui détermine l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile afin de prévenir les demandes multiples, est la pierre angulaire du régime européen d'asile commun, même s'il présente des failles qui favorisent son contournement.

Premièrement, les États membres de première entrée n'enregistrent pas systématiquement les demandeurs entrant par leurs frontières extérieures car ils n'y ont tout simplement pas intérêt et préfèrent, en l'absence de contrôle de l'UE, laisser passer les migrants vers l'État de leur choix. Deuxièmement, dès qu'un État ne parvient pas à transférer un demandeur vers l'État responsable de sa demande, il devient responsable de celle-ci au bout de six mois, ou après un délai de dix-huit mois si le demandeur lui-même se soustrait à son transfert. Troisièmement, les demandeurs peuvent bénéficier de conditions matérielles d'accueil au sein de l'État non responsable de leur demande, ce qui ne les incite pas à se maintenir dans l'État de première entrée.

Au-delà de ces faiblesses structurelles, l'afflux de migrants enregistré en 2015 et 2016 a démontré la nécessité de renforcer les mécanismes de solidarité avec les États de première entrée. Dès 2015, la France s'est impliquée dans la mise en place du mécanisme innovant de la relocalisation qui vise à mieux répartir les demandeurs d'asile entre les pays de l'Union européenne depuis les États de première entrée. Dans le cadre de ce dispositif, la France a relocalisé 5 029 personnes en besoin de protection depuis la Grèce et l'Italie entre 2015 et 2018.

De plus, depuis juin 2018, la France participe sur une base volontaire à des opérations de relocalisation pour soulager les États de première entrée, responsables du secours en mer de migrants par les navires d'ONG. Au total, depuis juin 2018, la France a accueilli 1 271 personnes dans ce cadre. En 2020, les autorités françaises se sont par ailleurs engagées à relocaliser 1 000 personnes depuis la Grèce, dont 900 demandeurs d'asile, 500 mineurs non accompagnés et 400 personnes vulnérables en famille. La France a parallèlement renforcé ses objectifs en matière de réinstallation, en signant un accord bilatéral avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Durant la période 2018-2019, notre pays avait atteint son objectif de 10 000 réinstallations. Pour la période 2020-2021, les objectifs d'accueil ont dû être réajustés à hauteur de 5 000 pour prendre en compte le contexte de la crise sanitaire, qui a entraîné une interruption de mars à juillet 2020. L'autre volet de l'accord bilatéral signé avec le HCR vise à permettre la réinstallation de demandeurs d'asile en France après instruction du dossier et criblage sécuritaire. Depuis la signature de cet accord, 1 835 réfugiés de différentes nationalités ont été accueillis en France, dont 240 en 2020-2021.

S'agissant des limites des dispositifs européens en matière de contrôle aux frontières extérieures, je rappelle que seule la protection efficace de ces frontières garantit un espace européen où sont assurées à la fois la libre circulation et la sécurité. Or, actuellement, les écarts entre États membres dans la qualité des contrôles opérés aux frontières extérieures fragilisent significativement le bon fonctionnement de l'espace Schengen d'un point de vue sécuritaire. Comme l'a dit le Président de la République le 9 décembre dernier dans sa présentation de la présidence française du Conseil de l'Union européenne : « Pour éviter que le droit d'asile, qui a été inventé sur le continent européen et qui est notre honneur, ne puisse être dévoyé, nous devons absolument retrouver une Europe qui sache protéger ses frontières. » C'est cette préoccupation que la France défend dans le cadre des discussions autour du pacte européen pour l'immigration et l'asile, et de la réforme des codes frontières Schengen.

J'en arrive donc au contenu de ce pacte, déposé par la Commission pour réformer la politique commune en matière d'asile et d'immigration. Tout d'abord, en matière de renforcement du contrôle à la frontière extérieure, un premier règlement introduit un filtrage obligatoire pour certaines catégories de ressortissants de pays tiers, notamment ceux appréhendés lors d'un franchissement irrégulier d'une frontière extérieure, ceux qui ont déposé une demande d'asile à la frontière, ceux qui ont été débarqués après une opération de sauvetage en mer, mais aussi les ressortissants de pays tiers pour lesquels aucune information n'indique qu'ils ont été contrôlés aux frontières extérieures et qu'ils les ont franchies de manière légale. Le filtrage, effectué dans un délai de cinq jours, permettra l'identification ou la vérification de l'identité de ces personnes, des contrôles sanitaires et sécuritaires ainsi qu'un examen de vulnérabilité.

Autre innovation majeure du pacte, le remplacement du règlement de Dublin par un règlement établissant un cadre de gestion de l'asile et de la migration qui assurera un plus juste équilibre entre les principes de responsabilité et de solidarité qui doivent présider à l'Europe de l'asile. Le critère de responsabilité de l'État de première entrée est maintenu, mais la durée des responsabilités est portée à trois ans au lieu de six mois dans l'essentiel des situations. Les conditions matérielles d'accueil ne sont octroyées que dans l'État membre responsable. Un devoir de solidarité est instauré en cas de pression touchant l'un des États membres, ainsi que pour les personnes secourues en mer, solidarité qui peut prendre différentes formes : relocalisation ou soutien au retour, entre autres.

Un troisième règlement, dit de gestion des situations de crise et de force majeure, doit permettre de répondre de manière rapide et adaptée à des situations d'afflux massif, notamment par des aménagements procéduraux nécessaires et une réponse européenne plus solidaire. Outre ces règlements, le pacte prévoit un amendement du règlement Eurodac, pour renforcer les échanges d'informations entre États membres et permettre un meilleur suivi des parcours migratoires au sein de l'Union européenne, ainsi que l'instauration d'une procédure d'asile à la frontière, obligatoire afin de distinguer plus rapidement les personnes qui ne sont pas éligibles à la protection internationale.

Ces nouveaux outils introduits par le pacte européen doivent toutefois être complétés par un renforcement de l'espace Schengen contre les menaces sécuritaires. C'est ce que vise la révision du code frontières Schengen, qui devrait permettre de rendre notre espace commun de liberté, de sécurité et de justice plus robuste, plus sûr et plus résilient, avec la possibilité pour les États membres de prendre des mesures supplémentaires en cas d'instrumentalisation de migration ou de contexte épidémiologique, afin de faire face aux menaces sécuritaires ou sanitaires.

Le renforcement de l'espace Schengen passe également par un renforcement de sa gouvernance et de son pilotage. Comme l'a indiqué le Président de la République le 9 décembre dernier, il est nécessaire qu'une instance de discussion sur Schengen soit créée, afin d'assurer un suivi régulier à haut niveau de ces sujets. Une formation spécifique du Conseil justice et affaires intérieures permettrait une incarnation plus opérationnelle et vivante de ces sujets.

La question de la maîtrise des flux migratoires est un enjeu fondamental pour notre avenir. L'histoire récente a révélé les conséquences dramatiques des failles de nos dispositifs. Le Président de la République souhaite faire de la présidence française du Conseil de l'Union européenne une opportunité pour les réformer en profondeur, afin de parvenir à une Europe qui soit à la fois plus solidaire avec ceux de ses membres qui sont en première ligne et plus souveraine face aux États tiers qui cherchent à faire pression sur elle en instrumentalisant ceux que la guerre, la misère, et demain le réchauffement climatique, précipiteront sur les routes de l'exil.

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