Intervention de Bruno Laforestrie

Séance en hémicycle du jeudi 6 janvier 2022 à 15h00
Légalisation du cannabis : évolutions européennes blocages français

Bruno Laforestrie, directeur de Radio Mouv' :

J'ai commencé ma carrière à Ivry-sur-Seine, il y a vingt-cinq ans, et je travaille désormais dans le 16e arrondissement, à Radio France. Après les brillants exposés que nous venons d'entendre et compte tenu de ma trajectoire, je vais me concentrer, dans mon intervention, sur la jeunesse et la place du cannabis dans la culture française.

Au cours des vingt dernières années, la culture propre au cannabis, une culture mondiale, s'est installée en France. Le cannabis est désormais une substance entrée dans les mœurs. Il est consommé régulièrement dans l'ensemble de l'industrie culturelle, musicale et artistique et ne touche plus seulement les grands groupes de rock comme Pink Floyd ! Aujourd'hui, toutes les productions cinématographiques, audiovisuelles – voyez Netflix – et musicales – pas uniquement le rap – attestent que le cannabis fait partie des usages et s'est ancré dans les mentalités. Les jeunes sont particulièrement concernés. Nous affrontons un défi culturel au sens large du terme : le cannabis fait aujourd'hui partie de la vie des gens et, malheureusement, de la vie des jeunes.

Pourquoi malheureusement ? Je ne reviendrai pas sur tout ce qui vient d'être dit, mais il est prouvé que le cannabis est dangereux pour les moins de 18 ans car il affecte leur développement. Sa consommation constitue, en outre, une bombe à retardement, notamment sur le plan psychiatrique, car les substances aujourd'hui en circulation sont dix fois plus puissantes que celles consommées il y a vingt ans. Le phénomène est, hélas, bien connu.

En cette période de pandémie, les médecins et les scientifiques sont au cœur du débat public et la santé est une préoccupation centrale pour tous. Les dangers du cannabis sur la santé des jeunes devraient donc logiquement être au centre des discussions. Comment accepter que notre société laisse un produit détruire la santé psychique de ses jeunes ? Cette question exige une réponse rapide, en coopération avec la communauté scientifique. Des pneumologues aux addictologues, tous les représentants de la sphère médicale s'accordent sur l'urgence de la situation, en France et dans les autres pays d'Europe et du monde. Au niveau international, les scientifiques sont unanimes quant à la nécessité d'agir. L'ONU, bientôt l'Union européenne, l'Allemagne et plusieurs autres pays se saisissent de la question du cannabis sous l'angle de la santé publique. En France, la réflexion doit également s'engager et ce débat constitue une première étape importante.

S'agissant des jeunes, notre objectif doit être de les sortir de la rue, tout comme il faut sortir le cannabis de la rue. Cette substance concerne principalement les jeunes, il faut le dire. Ceux qui en consomment ont moins de 25 ans en grande majorité. Au-delà de l'image d'Épinal du bobo de 45 ans qui fume de temps en temps un joint le soir, en réalité consommateur marginal, les usagers du cannabis sont massivement les moins de 25 ans. De même, les vendeurs de cannabis dans la rue sont massivement les moins de 25 ans : ils ont même généralement moins de 18 ans…

Les élus avec lesquels on aborde le sujet sont formels : ces gamins sont payés 80 euros pour vendre du cannabis sept jours sur sept, de midi à minuit. Voilà la situation aujourd'hui en France ! Comment pouvons-nous tolérer que des jeunes Français vivent ainsi ? Dans mon livre Hasch, la honte de la République, je les désigne comme le nouveau lumpenprolétariat. Ils sont entre 150 000 et 200 000, mais s'ils étaient seulement 10 000, la question se poserait tout autant. Ces jeunes vivent souvent dans des quartiers très pauvres et dans des familles défavorisées. Quand les parents ont de l'argent, les enfants n'ont évidemment pas besoin d'en gagner ! La situation de ces jeunes, qui n'a fait que se dégrader depuis vingt ans, exige à elle seule que nous agissions et que nous changions le système. Les jeunes consomment de plus en plus et il y a de plus en plus de jeunes dans la rue !

Comment lutter contre les ravages du cannabis, notamment en matière de prévention ? De nombreux scientifiques et spécialistes ont proposé des solutions applicables à l'échelle européenne, mais le combat doit avant tout se mener au niveau culturel. Nous devons faire comprendre aux consommateurs qu'ils doivent réguler leur usage du cannabis. Quand on explique à un moins de 18 ans que cette substance est interdite, on ne fait qu'attiser son envie. Un discours permissif n'est évidemment pas recommandé, mais le discours de fermeté ne prend pas et se solde par un échec patent. Il faut donc trouver un juste milieu.

Quant aux jeunes qui dealent dans la rue, contrairement à ce que l'on entend souvent, il n'y a pas de fatalité. C'est avant tout la situation sociale et la pauvreté de ces jeunes qui les conduit à vendre du cannabis. Ils n'ont pas accès à la consommation et ne peuvent pas s'acheter les baskets vues sur Instagram et TikTok. La culture ambiante les pousse à s'adonner à ce trafic.

Je ne dis toutefois pas que la légalisation constitue la solution. Je préconise, en revanche, une « transition cannabis ». De mon point de vue, l'enjeu est avant tout culturel et politique, au sens noble du terme. Comment notre société peut-elle sortir de l'économie et de la culture du cannabis ? Il s'agit de prendre acte de l'importance de cette consommation et de fixer un double objectif politique : réduire la consommation des jeunes et les sortir de la rue. Il ne faut évidemment pas les sortir de la rue pour les mettre en prison, où l'usage du cannabis ne fait que se renforcer et mène même à d'autres drogues.

L'arrêté du 30 décembre 2021 qui interdit la vente du cannabidiol (CBD) en fleurs aura pour conséquence de relancer l'activité des trafiquants. Tous les jeunes de 16 à 18 ans qui avaient réussi à passer du tétrahydrocannabinol (THC) au CBD – un progrès sur le plan sanitaire – vont se tourner vers les trafiquants pour acheter leur CBD. Ces derniers leur vendront aussi du THC et parfois même de la cocaïne… Cet arrêté met en danger la santé des jeunes !

La « transition cannabis » est indispensable. La légalisation de cette substance n'est que l'un des aspects techniques de cette transition. Dès qu'un accord politique aura été trouvé sur la question du cannabis, il faudra déterminer les modalités de la transition et les structures qui la mettent en œuvre. La décision revient tout d'abord au législateur.

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