Intervention de Delphine Batho

Séance en hémicycle du jeudi 16 décembre 2021 à 15h00
Différenciation décentralisation déconcentration et simplification de l'action publique locale — Article 62

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho :

On prétend, dans l'étude d'impact du projet de loi, qu'il y aurait des incertitudes juridiques ou des difficultés d'application de l'article L. 350-3 du code de l'environnement, qui protège les alignements d'arbres. C'est inexact.

Les tribunaux ont donné raison aux défenseurs des arbres dans un certain nombre de cas : à Gien, à Rennes, pour le contournement ouest de Strasbourg, à Douai ou à Draveil. Des associations ou des collectifs ont obtenu l'application du code de l'environnement, donc la protection des arbres et l'interdiction de leur abattage pour des projets d'aménagements.

Or cet article prévoit précisément qu'en vue de projets d'aménagements, le représentant de l'État puisse autoriser à couper des arbres en parfaite santé, qui ne représentent pas une menace pour la sécurité des personnes. C'est un recul extrêmement grave qui rappelle à de nombreux défenseurs des arbres la lettre que Georges Pompidou avait adressée à Jacques Chaban-Delmas le 17 juillet 1970. Il est rare que je cite Georges Pompidou, mais je souhaite la lire dans cet hémicycle :

« Monsieur le Premier ministre,

« J'ai eu par le plus grand des hasards communication d'une circulaire du ministère de l'équipement, direction des routes et de la circulation routière […].

« Cette circulaire, présentée comme un projet, a en fait déjà été communiquée à de nombreux fonctionnaires chargés de son application puisque c'est par eux que j'en ai appris l'existence. […]

« […] bien que j'aie plusieurs fois exprimé en Conseil des ministres ma volonté de sauvegarder "partout" les arbres, cette circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l'égard des souhaits du Président de la République. Il en ressort, en effet, que l'abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité. Il est à noter que l'on n'envisage qu'avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques. C'est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n'ont, semble-t-il, d'autre défenseur que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas.

« La France n'est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et quelle que soit l'importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage. […]

« La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes – et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes – est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde du milieu humain.

« Je vous demande donc de faire rapporter la circulaire des ponts et chaussées, et de donner des instructions précises au ministère de l'équipement pour que, sous divers prétextes (vieillissement des arbres, demandes de municipalités circonvenues et fermées à tout souci d'esthétique, problèmes financiers que posent l'entretien des arbres et l'abattage des branches mortes), on ne poursuive pas dans la pratique ce qui n'aurait été abandonné que dans le principe et pour me donner une satisfaction d'apparence.

« La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de beauté.

« L'autoroute sera utilisée pour les transports qui n'ont d'autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l'automobiliste de la fin du XXe siècle ce qu'était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l'on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que l'on se garde de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté. »

Malheureusement, le Président de la République est aujourd'hui l'homme qui voulait couper des arbres.

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