Intervention de Hélène Vainqueur-Christophe

Séance en hémicycle du lundi 6 décembre 2021 à 16h00
Différenciation décentralisation déconcentration et simplification de l'action publique locale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHélène Vainqueur-Christophe :

Au cours des vingt années écoulées, le législateur et l'État ont engagé un profond bouleversement du paysage territorial et des institutions locales. Les différents changements intervenus ont eu un impact majeur dans nos outre-mer : création des intercommunalités, transferts de compétences, timides expérimentations et insuffisantes adaptations législatives. Ces réformes, déconcentrations et actes de décentralisation, entraînant des enchevêtrements de compétences, ont souvent été mal accompagnés et déconnectés de leurs conséquences directes sur le terrain.

Tout n'est pas à jeter, bien sûr. Je pense notamment au desserrement constitutionnel de 2003. Je pense aussi à ce qu'ont pu réaliser, çà et là, les exécutifs locaux de Martinique et de Guadeloupe, notamment grâce aux habilitations. La Guadeloupe a d'ailleurs été la première collectivité à s'en saisir en adoptant des lois « péyi » adaptant les normes. En dépit de tout cela – on le constate à la faveur de la terrible crise que traverse la Guadeloupe –, a émergé la question de la domiciliation du pouvoir en local.

Au-delà des débats institutionnels ou statutaires, j'affirme que le cadre constitutionnel nous offre d'ores et déjà les moyens de répondre au besoin de différenciation. Tout le reste relève d'autres processus constitutionnels et chacun connaît les propositions que nous faisons en la matière. Avant de parler d'autonomie, comme je l'ai entendu faire, je parlerais de démocratie, d'horizontalité, de relégitimation et de considération des élus, ainsi que de renforcement de l'adaptation des lois. Mais encore faut-il que chacun y soit prêt !

En tant qu'élue de terrain, longtemps responsable du devenir d'une collectivité, je sais combien toutes les réformes décidées à Paris sont sources de déstabilisation, ou constituent un frein, lorsqu'elles ne sont pas construites en concertation avec celles et ceux qui agissent au plus près des intérêts de la population. Mais encore faut-il avoir l'écoute de l'exécutif ! Vous connaissez l'ardeur des élus ultramarins au Parlement, madame la ministre, pour faire en sorte qu'aucune loi ne soit votée sans que ses conséquences sur le terrain n'aient été anticipées. Pourtant, sans un gouvernement et une majorité attentifs à nos remarques, il arrive bien trop souvent qu'un texte soit voté sans qu'aucune de nos propositions n'ait été acceptée. Tous les élus ultramarins constatent, hélas, y compris sur les bancs de votre propre majorité, que le prétendu « réflexe outre-mer » n'aura été qu'un slogan. Chacun voit ici que l'uniformité des politiques nationales demeure trop souvent la règle et que la différenciation reste un mirage. Il en résulte des politiques publiques parfois déconnectées de nos réalités et peu efficaces pour nos populations.

Rappelons ce que nous voyons depuis bientôt cinq ans : de la verticalité, de la centralité et de la surdité. Permettez-moi de citer quelques exemples concrets. En 2018, les élus ultramarins ne sont pas entendus lorsqu'ils demandent des dérogations à la suppression des emplois aidés outre-mer. Il faut que le chaos s'installe en Guadeloupe il y a une semaine pour que l'on décide de recréer 1 000 de ces emplois, pas moins de trois ans plus tard. En 2018 toujours, on décide, contre l'avis des parlementaires ultramarins, de supprimer l'aide personnalisée au logement (APL) accession. Pendant un an, les mises en chantier s'effondrent, puis le Gouvernement décide de faire volte-face. En 2019 nous présentons, avec plusieurs collègues de mon groupe, une proposition de loi tendant à la création d'un fonds d'indemnisation pour les victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique, qui n'a pas été adoptée ici. Nous lançons ensuite une commission d'enquête mais le Gouvernement refuse toujours d'engager un vrai travail de fond pour réparer le mal qui a été fait. Ni le nouveau plan chlordécone, ni l'ouverture du tableau des maladies professionnelles, ne changeront un iota au désastre alimentaire, sanitaire, économique et social que nous vivons. Cette défausse alimente encore aujourd'hui les contestations sur les barrages.

Cette année même, le Gouvernement a imposé une loi à la Guadeloupe, visant prétendument à y régler une bonne fois pour toutes le drame de l'eau en créant un syndicat mixte ouvert. Sur ces bancs, nous vous avons prévenus que le règlement des problèmes de gouvernance ne changerait rien au nœud des difficultés, c'est-à-dire le financement. Or, moins de trois mois après la création du SMO, nous revenons à la case départ : le syndicat est incapable de financer son fonctionnement et ses investissements.

Ainsi, en cinq ans, aucune loi spécifique à l'outre-mer n'a été présentée ; presque aucun amendement, qu'il vienne de la majorité ou des oppositions, n'a été adopté ; toutes les réformes concernant l'outre-mer ont été faites sans les élus, sans les socioprofessionnels de nos îles et sans la société civile. S'il est heureux, madame la ministre, de voir enfin arriver ce projet de loi, disons clairement qu'il est bien tardif et largement sous-dimensionné. Comme à notre habitude, nous ferons notre travail en portant des amendements spécifiques ; comme à chaque fois, nous en appellerons à votre bienveillance pour les considérer et les faire adopter mais, je dois le dire, sans nous faire trop d'illusions. La différenciation, les adaptations et la décentralisation ne peuvent pourtant se construire qu'avec les élus. À vous, madame la ministre, de nous entendre, de nous associer et de nous accompagner.

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