Intervention de Moetai Brotherson

Séance en hémicycle du jeudi 2 décembre 2021 à 21h30
Financement de la transition écologique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMoetai Brotherson :

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiendra bien entendu la proposition de résolution européenne défendue par nos collègues André Chassaigne et Hubert Wulfranc. L'urgence écologique – en reo tahiti, le mot « écologie » signifie littéralement « savoir couronner la vie » – nous oblige à une action rapide et d'envergure si nous voulons éviter un « aller simple vers le désastre », selon les mots d'António Guterres, le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies.

Élu de Polynésie, je suis solidaire de l'appel lancé en août dernier, au lendemain de la publication du dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), par les dizaines de petits États insulaires, alors que la montée des eaux menace directement l'existence de centaines de millions de personnes. Nous n'avons pas été entendus. L'accord très insuffisant adopté à l'issue de la COP26 nous alarme sur la nécessité de sortir des effets d'annonce, de la politique des petits pas, et de changer d'échelle dans la lutte contre le changement climatique. La proposition de résolution s'inscrit dans cette perspective. Elle a été conçue dans un esprit pragmatique et consensuel, dans un souci d'efficacité.

En premier lieu, elle ne remet pas en cause les traités européens que nous dénonçons pourtant régulièrement. Elle permettrait d'agir vite, en évitant des négociations longues et coûteuses pour l'environnement. En second lieu, elle s'inscrit dans le débat sur la révision des règles budgétaires européennes entamé avant la survenue de la crise sanitaire. Notre conviction est que la France doit se saisir de ce débat pour réussir le défi de la transition écologique et éviter de reproduire dans l'avenir les politiques d'austérité menées après la crise financière de 2008, qui ont stoppé la croissance et prolongé de dix ans la récession économique.

Nous ne pouvons revenir au statu quo mortifère des politiques d'austérité, synonymes d'inaction climatique, de recul des services publics, de détérioration de notre modèle social et de recrudescence des inégalités. Si nous souhaitons que les États membres puissent consacrer les moyens nécessaires à la transition écologique, le retour à l'orthodoxie maastrichtienne prévu pour 2023 est impraticable.

Les besoins en matière d'investissements publics sont en effet gigantesques. La Cour des comptes européenne a évoqué un montant de 1 000 milliards d'euros d'investissements par an, publics et privés, sur la période 2021-2050 pour atteindre la neutralité carbone dans l'Union européenne. La Commission a évalué récemment à 520 milliards d'euros par an les besoins d'investissements annuels supplémentaires, sans tenir compte des besoins futurs en matière d'adaptation au changement climatique.

Une partie de ces investissements sera réalisée par le secteur privé, mais nous ne pouvons compter uniquement sur les marchés et encore moins miser sur eux. L'absence de prise en compte des externalités environnementales par les marchés financiers, le manque d'information sur les activités durables, la pression des actionnaires pour la rentabilité à court terme et l'absence de rentabilité de certains investissements indispensables ne permettent pas de se reposer sur le seul investissement privé.

L'investissement public jouera un rôle essentiel. À très court terme, la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance et le plan de relance européen permettent d'augmenter les investissements publics, mais il faut préparer l'avenir, c'est-à-dire la fin de la clause dérogatoire générale et celle du plan de relance. Nous devons raisonner sur le temps long. Il est donc impératif que les États européens puissent continuer à investir après 2026. Nous n'avons pas le choix : ces investissements, il nous faudra les faire. Quel que soit leur coût, il sera, comme l'a souligné André Chassaigne, beaucoup moins élevé que celui de l'inaction.

Nous sommes conscients qu'une réforme du pacte de stabilité, aussi indispensable soit-elle, est dans le rapport de force actuel hors de portée. Huit ministres des finances européens ont déjà publié une lettre commune pour réclamer le rétablissement des règles budgétaires actuelles dès 2023, même en l'absence de réforme. C'est parce que nous sommes conscients de cette difficulté que nous nous sommes limités à la proposition la plus susceptible de faire consensus. La nécessité d'investissements lourds dans la transition écologique est reconnue par tous les États membres particulièrement attachés à la discipline budgétaire ; ils sont également ceux dont les opinions publiques sont les plus sensibles aux questions environnementales.

Notre proposition consiste à exclure du calcul du déficit public, pour l'application des règles budgétaires européennes, les dépenses d'investissement dans la transition écologique. Elle a été émise par de nombreux économistes et acteurs de la société civile, en France comme en Europe. Elle a été discutée par les ministres des finances, sur la base de la proposition émise par l'Institut Bruegel. Le vice-président de la Commission, Valdis Dombrovskis, a indiqué à des journalistes que cette proposition ferait partie des discussions sur le cadre budgétaire.

Convaincus que les exécutifs européens ne peuvent demeurer sourds aux attentes des peuples, et à celles d'une jeunesse qui réclame des décideurs politiques qu'ils fassent enfin preuve de courage et de volontarisme, nous estimons que la France doit se saisir de la présidence du Conseil de l'Union européenne pour défendre ce projet de réforme minimal, qui redonnera aux États les marges de manœuvre nécessaires pour investir dans les transports, dans la rénovation des logements, dans la formation et l'accompagnement des salariés, dans la transformation de notre modèle industriel et agricole.

Il n'est désormais plus possible de donner la priorité à la réduction de la dette et à l'équilibre budgétaire plutôt qu'aux objectifs sociaux, économiques et environnementaux essentiels pour notre avenir et celui de nos enfants. La droite brandit sans cesse la menace d'accumuler les dettes sur la tête de nos enfants. Mais, dans trente ou cinquante ans, ce n'est pas la dette accumulée sur leur tête qui préoccupera nos enfants, ce sont les désastres que nous leur aurons laissés en héritage.

Prendre conscience de l'urgence climatique, c'est accepter de tourner le dos à des dogmes économiques, à une politique de soutenabilité budgétaire fondée sur des critères comptables. Nous devons lui faire succéder un principe de soutenabilité économique et environnementale prenant appui sur une planification rigoureuse des investissements à la fois garante de créations d'emplois, d'amélioration du pouvoir d'achat des plus modestes, de réduction draconienne de nos émissions de gaz à effet de serre et d'une protection accrue des biens communs et de la biodiversité. En votant la présente proposition de résolution, nous vous invitons à cesser de dresser la couronne mortuaire de la planète et à enfin couronner la vie. Mauruuru !

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