Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du jeudi 4 novembre 2021 à 10h00
Projet de loi de finances pour 2022 — Travail et emploi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

La mission Travail et emploi aborde des sujets au premier rang des préoccupations des Français. Il y aurait beaucoup à dire, notamment sur la réforme de l'assurance chômage, la première adoptée contre l'avis des partenaires sociaux depuis quarante ans. Nous pourrions aussi parler du siphonnage méthodique des crédits de Pôle emploi depuis plusieurs années ou de la baisse continue des crédits de cette mission au cours de ce quinquennat.

Mais il n'y a qu'un seul élément véritablement nouveau qui mérite quelques commentaires : l'annonce par le Président de la République de la création du contrat d'engagement jeune. Nous attendions beaucoup de ces annonces, car la réalité est terrible. Un jeune sur dix est sans emploi ni formation et le taux de pauvreté à 25 ans est le triple de celui à 60 ans. À la suite de la crise de la covid, nous avons vu les files d'attente des banques alimentaires grossir de visages sans rides, mais sans sourire.

Nous attendions beaucoup car le groupe Socialistes et apparentés s'est beaucoup battu pour la proposition faite il y a plus de trois ans, qui visait à expérimenter le revenu de base, dans le sillage des dix-neuf départements socialistes. Au cœur de la crise, nous avons proposé un minimum jeunesse, et notre proposition d'élargir le bénéfice du RSA le temps de la crise a été plébiscitée par les Français. Chaque fois, nous nous sommes heurtés à votre indifférence et à votre refus.

Nous attendions beaucoup, mais notre voix va se joindre au concert de déception qui s'exprime depuis deux jours. Le compte n'y est pas. Les syndicats le disent, les associations de jeunesse le disent, les chercheurs le disent, les ONG caritatives le disent et nous sommes malheureusement dans l'obligation de le dire également.

En effet, quelle est la teneur de votre proposition ?

Constatons tout d'abord que la réponse est tardive. Votre dispositif entrera en vigueur le 2 mars prochain, presque deux ans après le début du confinement qui a coûté si cher, en particulier à notre jeunesse. Drôle de sens de l'urgence sociale !

Votre réponse est insuffisante. Le Premier ministre a annoncé hier 400 000 bénéficiaires du dispositif, mais 200 000 garanties jeunes étaient déjà annoncées, et 100 000 jeunes étaient pris en charge dans le cadre de l'accompagnement intensif par Pôle emploi. En réalité, vous avez annoncé 100 000 bénéficiaires supplémentaires, et cette garantie n'aura rien d'universel, tant s'en faut. La France compte entre 835 000 et 1 million de jeunes de 16 à 25 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation, ce qui signifie que près de 500 000 personnes resteront exclues du dispositif. Avec votre politique, vous ne leur proposez pas grand-chose.

Votre réponse, en outre, ignore la situation des étudiants et des jeunes précaires. À ceux-là non plus, vous ne proposez pas grand-chose. Que faut-il attendre, d'ailleurs, de ce contrat réservé aux jeunes « durablement sans emploi ni formation » ? Que signifie le terme « durablement » ? Nul ne le sait, en réalité – et je crains que vous ne le sachiez pas vous-mêmes.

Votre réponse est particulièrement inadaptée aux jeunes les plus fragiles. D'abord, parce que les conditions dont vous assortissez le dispositif portent en elles le risque de l'exclusion. Vous êtes dominés par le fantasme de l'assistanat, par ce mantra que l'on pensait réservé à la droite, mais que vous avez fait vôtre – vous appliquez du reste, à bien des égards, une politique de droite depuis cinq ans. Rien, pourtant, ne corrobore l'hypothèse selon laquelle le versement d'aides inconditionnelles constituerait une désincitation au travail. Une très bonne étude publiée par le Secours catholique le montre avec netteté. Ce que le Gouvernement propose aux jeunes, ce sont d'abord des devoirs et ensuite, éventuellement, des droits. Mesurez l'incongruité que nous avons souvent dénoncée : on est majeur à 18 ans sur le plan civique, mais à 25 ans seulement sur le plan social.

Vous proposez par ailleurs un contrat raccourci, dont la durée se limitera à six à douze mois, soit moins que la garantie jeunes. Du fait de sa courte durée et de sa conditionnalité, ce dispositif entraînera une ségrégation dans l'accès au logement, aux complémentaires santé ou encore aux tarifs adaptés dans les transports. Et puis, l'accompagnement que vous vantez – confié à Pôle emploi, dont ce n'est pas tout à fait le métier, ou à des associations, dont ce n'est pas forcément le rôle – ignore les jeunes les plus fragiles et les plus éloignés de l'emploi, notamment ceux qui sortent de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et qui ont besoin d'un accompagnement incluant une dimension médico-sociale. Vous n'avez pas pris cette nécessité en considération.

Au total, le compte n'y est pas : on peut faire beaucoup mieux. Nous proposerons des amendements – même si quelques-uns ont été jugés irrecevables – pour rendre ce dispositif véritablement universel, plus juste et plus ambitieux dans l'accompagnement proposé.

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