Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 4 novembre 2021 à 10h00
Projet de loi de finances pour 2022 — Travail et emploi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

L'avez-vous lu, madame la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ? L'avez-vous bien lu, ce rapport produit par vos services et commandé par vos soins ? Camionneurs, agents d'entretien, caissiers, manutentionnaires, caristes, travailleurs du bâtiment, aides à domicile, agents de sécurité, vendeuses, bouchers, charcutiers, boulangers, maraîchers, bûcherons, ouvriers du secteur agroalimentaire : quel est le point commun de ces dix-sept métiers ? Ils forment cette « deuxième ligne » célébrée par Emmanuel Macron au cœur de la crise du covid-19, cette deuxième ligne qui a tenu bon pour que, même confinés, même à l'arrêt, nous soyons nourris, logés, chauffés. Ces dix-sept métiers, un rapport commandé par votre ministère à plusieurs chercheurs, parmi lesquels Mme Christine Erhel – rapport intitulé « Les métiers "de deuxième ligne" de la crise Covid-19 : quelles conditions de travail et d'emploi dans le secteur privé ? » –, s'est chargé de les recenser.

Or que notent les auteurs du rapport à propos de ces 4,6 millions de salariés ? Je les cite : « En moyenne, ces travailleurs sont deux fois plus souvent en contrat court que l'ensemble des salariés du privé, perçoivent des salaires inférieurs de 30 % environ, ont de faibles durées de travail hebdomadaires (sauf les conducteurs), connaissent plus souvent le chômage et ont peu d'opportunités de carrière. » Sans envolée, sans lyrisme, ces phrases dressent un constat accablant, celui d'une injustice qui peut s'énoncer simplement : dans notre société, les plus utiles sont les plus maltraités et sont sous-payés. Ils touchent des salaires de 890 euros par mois, 798 euros, 814 euros, 682 euros, 767 euros, 1 200 ou 1 400 euros dans le meilleur des cas.

Et ce n'est pas tout, puisqu'il est dit que ces salariés « travaillent dans des conditions difficiles, sont exposés plus fréquemment à des risques professionnels et ont deux fois plus de risque d'accident ». Bref, pour de médiocres salaires, ils mettent en danger leur santé. Une chose les fait néanmoins tenir : « un fort sentiment d'utilité de leur travail, même avant la crise sanitaire. »

Ce diagnostic sombre, sans fioritures, s'étale sur quarante-huit pages mais, dans leur conclusion, les auteurs ouvrent des perspectives d'action et proposent des solutions : il faudrait, recommandent-ils, relever le niveau de salaire horaire, réduire le sous-emploi avec les temps partiels et rendre les horaires plus prévisibles.

Quant à vous, madame la ministre, quelles conclusions en tirez-vous ? Aucune, néant. « Nous faisons le pari, avec confiance, que le dialogue social aboutira sur quelque chose d'intéressant », dit-on au ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion. Alors, quelles actions et quelles solutions allez-vous mettre en œuvre ? Aucune. Qu'allez-vous faire pour relever le niveau de salaire horaire, pour limiter les temps partiels, pour rendre les horaires plus prévisibles ? Rien. Vous attendez avec confiance que le dialogue social aboutisse à quelque chose d'intéressant. Les professions populaires, indispensables, se précarisent et se « sous-smicardisent » pendant qu'à l'autre bout de la chaîne les grandes fortunes explosent…

Jouons au Juste Prix ! À votre avis, madame la ministre, pendant les douze mois de crise sanitaire, de combien les milliardaires français ont-ils vu leur patrimoine augmenter ? De plus 68 % en un an ! Ils n'étaient pas en première ligne pourtant, ni en deuxième, ni en troisième – ils étaient plutôt dans leurs résidences secondaires.

Lors de la Libération, le général de Gaulle avait dit aux patrons : « Je n'ai vu aucun de vous, messieurs, à Londres. » On pourrait, en le parodiant, leur dire aujourd'hui : « On ne vous a pas beaucoup vus pendant la crise du covid-19. » Les voilà, les grands gagnants permanents !

Et vous, madame la ministre, vous gagnez 11 000 euros par mois aujourd'hui, près de 30 000 euros hier à la RATP – 29 700 euros exactement ! –, c'est-à-dire quinze fois plus qu'un conducteur de métro. Est-ce le juste reflet de votre utilité ? N'est-il pas légitime, face à un tel déséquilibre, d'éprouver un sentiment de honte ?

À ce jeu, ce sont toujours les mêmes vainqueurs qui portent des costumes et des tailleurs, tandis que les autres, les blouses blanches et bleues, les gilets jaunes et orange, rament dans la galère.

Alors comment réussirons-nous à rééquilibrer les plateaux de la balance ? Naturellement, spontanément, par la grâce du dialogue social ! Par l'effet d'une mystérieuse providence, la justice sera rétablie sur terre. Et pour eux, pour elles, pour leurs salaires et leurs horaires, on va magiquement « aboutir à quelque chose d'intéressant ».

La vérité, avec ce charabia – « dialogue social » – et ce blabla – « nous avons confiance » –, c'est que vous refusez de faire des lois sur les salaires et les horaires, et de protéger les travailleurs pauvres contre vos amis, les riches et les puissants.

La vérité, c'est que les camionneurs, les agents d'entretien, les caissières, les manutentionnaires, les ouvriers du secteur agroalimentaire, les caristes, les travailleurs du bâtiment, les aides à domicile, les agents de sécurité, les vendeuses, les bouchers, les charcutiers et les boulangers, vous vous en lavez les mains.

La vérité, c'est que Ponce Pilate est assis sur ce banc. La vérité, c'est que nous laissons faire leur écrasement.

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