Intervention de Bernard Perrut

Séance en hémicycle du jeudi 4 novembre 2021 à 10h00
Projet de loi de finances pour 2022 — Travail et emploi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Perrut, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales :

L'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2022 intervient dans un contexte différent de celui de l'année dernière : il est bâti sur une prévision de croissance de 6,25 %, tandis que celui que nous avions voté en 2020 reposait sur une contraction de 9 % du PIB. Les chiffres de l'emploi sont encourageants : plus de 400 000 emplois ont été créés au cours du premier semestre 2021 et 75 000 emplois devraient l'être au second, ce qui représente près de 220 000 créations nettes d'emplois salariés en deux ans.

Cela ne doit bien évidemment pas conduire le Gouvernement à relâcher l'effort ; le budget pour 2022, en ce qui concerne la mission "Travail et emploi" , s'inscrit dans une certaine forme de continuité par rapport au budget pour 2021. Mais cela est-il suffisant ?

Les crédits du programme Accès et retour à l'emploi sont en hausse : ils augmentent de 11 % en autorisations d'engagement et de 8 % en crédits de paiement. Ceux du programme Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi diminuent globalement, mais la priorité est accordée aux très petites entreprises (TPE) et aux petites et moyennes entreprises (PME), qui voient augmenter les crédits qui leur sont accordés ; quant aux crédits du programme Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations du travail, ils diminuent de plus de 60 % en autorisations d'engagement et augmentent de 4,2 % en crédits de paiement, mais cela n'est dû qu'à la création d'une nouvelle action Renforcement de la prévention en santé au travail. Enfin, s'agissant des crédits du programme Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail, les dépenses de personnel augmentent de 11 millions d'euros pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire dans les services déconcentrés.

Comme l'an dernier, les crédits de la mission "Travail et emploi " ne reflètent pas l'intégralité des dépenses prévues pour l'emploi puisque le programme Cohésion de la mission "Plan de relance " participe à l'effort à hauteur de 3,5 milliards d'euros – c'est moins que l'an dernier, mais le contexte économique a bien évidemment changé. Toujours est-il que l'extinction des mesures décidées pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire posera sans doute, madame la ministre, un certain nombre de défis à l'économie et au marché du travail ; serez-vous prêts – et serons-nous prêts – à y répondre ?

En attendant, si la reprise économique devrait se traduire par une amélioration de la situation des jeunes sur le marché du travail, il faut rappeler que leur taux de chômage est structurellement plus élevé en France que chez nos voisins. Il faut donc s'interroger sur la pertinence des dispositifs dont nous disposons pour favoriser leur insertion professionnelle. J'ai choisi dans mon rapport d'en évoquer deux : l'apprentissage et la garantie jeunes.

S'agissant de l'apprentissage, des efforts ont été engagés, notamment dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » ; ils ont permis à l'apprentissage de devenir une voie privilégiée pour l'insertion professionnelle. Il attire désormais un nombre croissant de diplômés du supérieur, mais cela ne doit pas nous détourner de son objectif premier : l'insertion des jeunes les plus en difficulté. Je m'inquiète par ailleurs de la soutenabilité du dispositif : le déficit de France compétences s'élève à 3 milliards en 2021, dont 1 milliard provient des dépenses liées à l'apprentissage. Sans occulter les effets conjoncturels liés à la réduction de la masse salariale, nous savons que la logique de guichet ouvert du « coût-contrat » rend ce déficit en grande partie structurel.

Alors que les entreprises peuvent, grâce à l'aide spécifique de 5 000 voire 8 000 euros accordée par l'État, embaucher un apprenti, le succès et l'avenir de cette aide doivent nous interroger : qu'adviendra-t-il quand elle s'éteindra, le 30 juin 2022 ? Nous n'avons aucune garantie quant au fait que l'apprentissage demeure une filière de prédilection pour les jeunes les plus en difficulté. J'aimerais vous entendre, madame la ministre, sur ce sujet.

En commission, je vous ai interrogée sur l'avenir de la garantie jeunes et sur l'absence d'information concernant le futur dispositif destiné à l'accompagnement des jeunes. Un message apparu sur les réseaux sociaux nous renseigne désormais sur ses contours ; il est moins ambitieux que nous l'espérions. Le contrat d'engagement jeune vient-il s'ajouter aux dispositifs existants ou a-t-il vocation à s'y substituer, pour créer un cadre d'accompagnement unique au bénéfice de ce public encore fragilisé par la crise économique ? En plus des missions locales et de Pôle emploi, vous prévoyez que des organismes publics et privés participent à sa mise en œuvre ; quels sont-ils ? Pouvez-vous nous éclairer, madame la ministre ? Il est indispensable que ce contrat soit fondé sur une logique de droits et de devoirs et que son bénéfice soit subordonné au respect d'un certain nombre d'engagements par les jeunes ; c'est la condition de sa réussite.

J'observe que le futur contrat d'engagement jeune s'inspire de la garantie jeunes – durée identique, allocation similaire, mêmes sanctions en cas de non-respect des engagements – et je m'interroge sur la plus-value réelle de ce nouveau dispositif comme sur sa capacité à transformer significativement l'accompagnement des jeunes en difficulté. Nous connaissons les insuffisances de la garantie jeunes, en particulier le fait qu'elle laisse de côté les jeunes occupant des emplois précaires et qui demeurent dans une situation instable, situation qui justifierait un accompagnement de la part des missions locales. Or le nouveau dispositif ne semble pas régler cette question.

Je m'interroge aussi sur les modalités qui seront choisies pour améliorer les démarches consistant à « aller vers », aller vers les jeunes « invisibles » qui, malgré les initiatives engagées, demeurent trop nombreux.

Je m'interroge enfin sur le caractère réaliste de l'objectif chiffré annoncé par le Gouvernement, s'agissant des 400 000 contrats d'engagement jeune qui pourraient être conclus en 2022, à partir du mois de mars : comment ce chiffre a-t-il été déterminé et comment ces contrats seront-ils financés ?

En conclusion, je serai, madame la ministre, très attentif aux réponses que vous apporterez lors des débats qui vont suivre. Nous ne voulons ni promouvoir l'assistanat au moyen d'un RSA jeune, ni – encore moins – soutenir des promesses qui ne respecteraient pas les jeunes, car ceux-ci doivent avoir confiance en l'avenir. « L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare », disait le philosophe Maurice Blondel. Cette maxime doit nous rassembler.

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