Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 21 octobre 2021 à 9h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

J'allais vous parler de leur amour du métier, de leur fierté d'être, pour les personnes âgées, un rayon de soleil, un lien avec la vie jusque dans les derniers instants. J'allais vous parler, aussi, de leur frustration de parfois mal faire leur métier, de leur sentiment de maltraiter, l'œil rivé au chronomètre. Je pense à ce pépé qu'Annie nourrissait à la cuillère, et qui voulait lui parler entre deux bouchées ; mais le temps pressait et Annie regardait sa montre, jusqu'à la fausse route qui a fait partir une gorgée dans les poumons plutôt que dans l'estomac : « Mais qu'est-ce que je fais, qu'est-ce que je fais ? », s'est demandé Annie.

J'allais vous parler des horaires à rallonge de ces auxiliaires de vie, depuis tôt le matin, pour ouvrir les volets de Daniel, le sortir du lit, le laver et lui servir le petit-déjeuner, jusqu'à tard le soir, pour revenir chez le même Daniel, fermer ses volets et le mettre au lit. J'allais vous parler de faux temps partiels, mais de vrais salaires partiels : 682 euros en moyenne, d'après le ministère chargé du travail. Ces auxiliaires de vie sont des travailleuses pauvres : la plupart – presque toutes – sont sous le SMIC et sous le seuil de pauvreté.

J'allais vous parler de notre volonté, avec Bruno Bonnell et d'autres députés de tous bords, de les faire accéder à une organisation en tournée, comme le pratiquent les aides-soignantes à domicile, avec une équipe le matin, de 7 heures à 14 heures, une équipe l'après-midi, de 14 heures à 21 heures, et, si nécessaire, une équipe de nuit. Ainsi, elles passeraient de faux temps partiels – mais avec des vrais salaires partiels – à des temps pleins avec salaires pleins, rémunérés au moins au salaire minimum.

J'allais vous parler, bien sûr, des déclarations d'Emmanuel Macron au cœur de la crise du covid : « Il faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd'hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. »

J'allais vous parler de l'enjeu politique : répondre à la crise du covid, bien sûr, récompenser celles et ceux qui ont tenu le pays debout, mais répondre aussi à la crise des gilets jaunes : qui trouvait-on, au féminin, sur les ronds-points ? Des assistantes maternelles, des agents d'entretien, des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), mais aussi un très grand nombre d'auxiliaires de vie.

J'allais vous parler de l'enjeu démographique évident : des millions de baby-boomers deviennent des papy-boomers. Si vous voulez assurer le maintien à domicile des personnes âgées, comme vous le clamez, il faudra des centaines de milliers d'Annie, de Sylvie et de Martine, partout, dans nos villages et dans nos villes.

J'allais vous parler d'un projet de société : demain, d'où viendra le progrès ? Viendra-t-il encore de la technologie, des grandes infrastructures et du téléphone 5G connecté au frigo intelligent, qui prévient Carrefour Market quand il n'y a plus d'olives ? Le progrès ne passe-t-il pas, désormais, par la qualité des liens, des relations et des soins que nous consacrons à nos enfants, à nos malades et nos aînés ?

J'allais vous parler de tout cela, mais ce discours, je l'ai effacé quand j'ai vu que vous arriviez à cette tribune avec 240 millions d'euros et vos airs satisfaits.

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