Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du jeudi 21 octobre 2021 à 9h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

« Prends soin de toi ! » est une expression en vogue, une marque d'attention et d'affection qui conclut bien des rencontres et bien des échanges depuis deux ans. Mais le soin n'est pas qu'une affaire individuelle, pour laquelle il suffirait de renvoyer chacune et chacun à sa propre responsabilité : le soin est un choix politique.

Nul ne peut se passer du soin. Le soin, dès la naissance, nous est vital. « Le soin, écrit la psychanalyste Marie-José Del Volgo, est l'affaire de tous, il appartient à notre culture démocratique, celle du vivre-ensemble, des solidarités, de l'attention portée aux plus vulnérables d'entre nous. » Le soin, c'est aussi tout ce qui vient avant, toute l'attention, le respect, le bon environnement créant les meilleures conditions du bien-être physique, mental et social.

Mais à défaut d'être au cœur de la vie sociale, le soin est-il vraiment au cœur de notre système de santé ? Notre système est organisé pour produire des actes, non pour prodiguer des soins. C'est la production d'actes que l'on valorise et que l'on recherche. Le soin, difficilement quantifiable, en vient trop souvent à passer à l'arrière-plan et cela contribue grandement à la perte de sens que ressentent les professionnels de la santé et de l'accompagnement.

À l'occasion de l'inauguration du cinéma associatif de ma ville de Martigues, j'ai pu voir en avant-première le film La Fracture, de Catherine Corsini, qui sortira en salle dans quelques jours. Il nous permet de passer une heure et demie aux urgences, dans une situation de tension qui, par-delà les ressorts de la comédie dramatique, fait toucher du doigt cette réalité. On y découvre Kim, une infirmière mobilisée pour sa sixième nuit de garde, laissant de côté ses propres problèmes pour courir d'un patient à l'autre, essuyer leur colère, prendre le temps de quelques gestes d'attention au milieu d'un grand tourbillon. L'histoire ne dit pas ce qu'elle en fera, mais il y a des chances que ce soit sa dernière nuit aux urgences, parce qu'elle ne s'est pas engagée pour ça et que l'héroïsme n'est pas un métier qu'on peut accepter d'exercer tous les jours.

Entendez-vous les récits de ces infirmières, de ces aides-soignants, de ces auxiliaires de vie sociale qui racontent l'obsession du minutage des gestes à accomplir, de la codification des actes, de la protocolisation de la prise en charge des patients, de l'évaluation de l'efficience, laissant si peu de place à la relation humaine, sans laquelle le soin s'évanouit ? « Parler du soin invisible, refoulé, et de ceux qui le pratiquent, c'est faire entendre ce que la société perd de ne pas les reconnaître à leur juste valeur », écrit encore Marie-José Del Volgo. Comment ne pas s'interroger sur le monde du soin tel qu'il résulte de l'injonction technique et du traçage numérique, où la dépersonnalisation gagne du terrain à mesure que le personnel fait défaut et que son temps est compté et décompté ?

Vous avez demandé plus de 4 milliards d'euros d'économies à l'hôpital depuis 2017. Après l'avoir nié, vous l'avouez vous-même, quand vous reconnaissez que l'année prochaine sera la première année sans économies. Mais ce n'est pas en relâchant un peu la pression en cette année électorale que vous aurez réparé les dégâts. L'hôpital est en crise, une crise profonde, et la pandémie est venue encore élargir les brèches, pomper les énergies, éreinter les équipes. Vous avez ajouté à cela une forme de maltraitance à l'égard des personnels, envoyés au charbon sans moyens aux moments critiques, avant d'être finalement pointés d'un doigt comminatoire pour les pousser à la vaccination, contrôlés jusque dans leurs arrêts maladie et, pour certains, suspendus, laissant entendre qu'on pouvait très bien se passer de leur travail sans dommages. Pour avoir visité un certain nombre d'hôpitaux du pays ces derniers temps, je peux vous dire que cela a constitué un motif de colère supplémentaire, quels que soient les avis sur la vaccination.

Il me souvient que l'an dernier déjà, vous aviez vanté des efforts inédits, amalgamant les surcoûts de la gestion pandémique et les mesures du Ségur, tandis que la tendance à la compression demeurait la règle. Vous nous vanterez encore cette année un effort historique, le plus gros de tous les temps, du monde entier, de tout l'univers, visible et invisible ! La vérité, c'est que vous n'avez pas le choix, parce que nous avons dépassé le point de rupture, parce que la colère est présente au quotidien. Il faudrait bien plus que cela pour donner à l'hôpital un nouvel élan, par exemple pour lui permettre de faire face au droit aux soins palliatifs.

Au stade où nous en sommes, il ne s'agit plus de sauver les apparences : il faut redonner envie de l'hôpital, redonner envie au personnel, et au personnel en puissance, aux jeunes qui sont attirés par ces métiers. Cela commence par l'arrêt des fermetures de lits, de services, voire d'hôpitaux. Ce sont encore 5 700 lits qui ont été fermés en 2020, portant le total de la majorité à 13 300 fermetures de lit depuis 2017. Cela s'ajoute à la dégradation de l'offre territoriale des hôpitaux de proximité.

Il faut arrêter ça. Il faut engager dans les années qui viennent la formation et le recrutement de centaines de milliers de personnes pour les métiers du soin et de l'accompagnement ; il faut ouvrir massivement des places à l'université. L'abandon du numerus clausus, s'il est remplacé par la gestion épicière de Parcoursup, ne règle pas les problèmes, faisant du numerus apertus un numerus pertus.

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