Intervention de Caroline Fiat

Séance en hémicycle du jeudi 21 octobre 2021 à 9h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat :

Nous voilà enfin arrivés à votre dernier projet de loi de casse, pardon, de financement de la sécurité sociale ! Chers élèves de La République en marche, le temps est venu de vous rendre votre copie et de vous donner votre note ! Il a fallu trouver une base de notation que vous ne puissiez pas contester, car vous faire noter par La France Insoumise dans une motion de rejet ne vous plaira sûrement pas. Si on ajoute le fait que l'évaluatrice est la « bac moins deux » de la bande, vous pourriez avoir envie de hurler à la démagogie. Alors voici la base de notation choisie : en juillet 2017, je m'étais présentée devant vous et j'avais repris les quatorze besoins fondamentaux édictés par Virginia Henderson pour vous décrire la situation dans laquelle se trouvaient nos établissements de santé au début de notre mandat en 2017.

Reprenons donc mon discours de l'époque et voyons où nous en sommes à votre cinquième et dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale. Pour rappel, en 2017, les quatre derniers besoins étaient satisfaits et la note était donc de quatre sur quatorze.

Le premier besoin est de respirer, dont je disais en 2017 que c'était une chose assez simple en soi mais qui devenait compliquée quand il faisait plus de 30 degrés dans une chambre d'hôpital. Nous vous avons proposé chaque année d'arrêter les économies et de supprimer l'ONDAM qui asphyxie nos hôpitaux, mais vous avez systématiquement qualifié ces idées de mensonges et de démagogie. Êtes-vous sûrs que l'installation de purificateurs d'air n'aurait pas été un bon investissement si les hôpitaux n'avaient pas été asphyxiés financièrement ? Vous ferai-je l'outrage de vous reparler de l'absence de réanimateurs lors de la pandémie de covid-19 ? Votre note sur le premier besoin : zéro !

Le deuxième besoin est de boire et de manger. Je cite mes propos de l'époque : « Pourriez-vous, pourrions-nous, s'il vous plaît, avancer sur le projet de loi interdisant le gavage des oies et des canards en France pour que nous puissions très rapidement interdire ce même gavage sur des êtres humains ? ». Après la remise du rapport que Monique Iborra et moi-même avons remis, vous n'avez eu de cesse de vous agiter mais pour quel résultat ? Vous avez commandé deux rapports supplémentaires et fait semblant de créer une cinquième branche de la sécurité sociale, en réalité morte car non financée ; en outre, vous n'avez cessé de communiquer sur l'élaboration d'un texte de loi sur le grand âge et l'autonomie devant mettre fin à la maltraitance institutionnelle dans notre pays. Résultat : rien ! Les résidents continueront d'être gavés ! Votre note sur le deuxième besoin : zéro !

Le troisième besoin est d'éliminer. Éliminer sels et urine et assurer son hygiène intime sont des actes indispensables à l'autonomie. Ce besoin est évident, mais, par manque de temps pour accompagner les patients aux toilettes, la pose d'une protection est devenue systématique. Il n'y a sans surprise eu aucun changement dans ce domaine ; pire, à coups d'économies demandées aux établissements de santé, ceux-ci sont contraints de privilégier les protections moins chères, donc de moindre qualité. Heureusement que je fais partie de ces personnes qui refusent les notes négatives, parce que nous serions à moins un point ! Vous êtes d'accord que, là, c'est fort tout de même ! Votre note sur le troisième besoin est donc de zéro.

Le quatrième besoin est de se mouvoir et de maintenir une bonne posture, qui renvoie à la capacité d'une personne à se déplacer seule ou avec des moyens mécaniques. Les personnels n'ont pas le temps, donc ce sera fauteuil roulant ou maintien au lit pour tout le monde, vous disais-je à l'époque. Parlons un peu de votre Ségur de la santé. Je vous vois déjà imaginer gagner un point, mais n'allons pas trop vite et jugeons la situation. Y a-t-il plus de soignants aujourd'hui qu'à votre arrivée au pouvoir ? Les instituts de formation des aides-soignants (IFAS) font-ils le plein, par exemple ? Avons-nous plus de kinésithérapeutes dans les établissements de santé pour aider à la mobilisation ? Si les 183 euros de revalorisation étaient salutaires, ils n'étaient, hélas, pas suffisants, ce que nous n'avons eu de cesse de vous répéter. Il fallait au moins 300 euros minimum : ce chiffre ne tombe pas du ciel, il correspond à un calcul de revalorisation juste des salaires. Les 183 euros ne rattrapent même pas les dix ans de gel du point d'indice, que vous n'avez toujours pas dégelé d'ailleurs. Les soignants français comptent toujours parmi les moins rémunérés des pays de l'OCDE.

Alors oui, cela paraît énorme, le montant du chèque est élevé, mais ce n'est qu'un dû, d'ailleurs largement insuffisant. Preuve en est, les démissions continuent. En février dernier, le ministre Olivier Véran, après m'avoir accusée de mauvaise foi lors des questions au Gouvernement, avait promis à la représentation nationale de publier régulièrement des chiffres prouvant que les soignants ne fuyaient plus et ne démissionnaient plus grâce au Ségur ! Bizarrement, ces chiffres n'ont jamais été donnés. Bizarrement, vraiment ? Sans doute que non, car les chiffres montreraient que nous n'étions ni de mauvaise foi ni démagogiques mais cohérents et au fait des réalités de terrain. Votre note sur le quatrième besoin est, vous l'aurez facilement deviné, zéro.

Le cinquième besoin est de dormir et de se reposer. Heureusement, les somnifères existent, à la grande joie des laboratoires pharmaceutiques ! Je vais sortir un tout petit peu du sujet, mais à peine : vous allez vite admettre que mon analyse est pertinente. En 2017, nous dénoncions le manque d'activités durant la journée pour que les patients et les résidents soient fatigués le soir : il n'y en a pas plus aujourd'hui, et vous avez en outre réussi à dégrader la gestion des médicaments. Pourtant, élèves de La République en marche, vous avez des camarades de classe sympathiques, notamment sur les bancs de La France insoumise, qui vous ont soufflé, par voie d'amendements, les bonnes réponses comme la création d'un pôle public du médicament, l'accroissement de la transparence sur les médicaments ou l'amélioration de la gestion des stocks de certains médicaments se trouvant régulièrement en pénurie ! Mais non, vous n'avez rien voulu entendre et, en pleine crise sanitaire, nous avons craint à plusieurs reprises, dans les services de réanimation saturés, de voir les patients sous sédatif et curare se réveiller car le curare se faisait rare. Une honte ! Votre note sur le cinquième besoin sera également zéro.

Le sixième besoin est de se vêtir et de se dévêtir. En 2017, je vous racontais déjà que, pour gagner du temps, les personnels coupaient les vêtements dans le dos pour habiller les résidents plus facilement et plus rapidement. Évidemment, ces pratiques continuent, et, pour éviter ces déboires, vous misez tout sur le maintien à domicile. Laissez-moi vous démontrer pourquoi le « tout domicile » est une erreur. Si je vous propose de vous faciliter la vie et de vous retirer la tâche de faire les courses et de préparer les repas pour que vous vous reposiez parce que vous êtes fatigués, mais que les repas ont lieu dans un boui-boui infâme et sale où la nourriture est écœurante, la vaisselle crasseuse, le service exécrable, qu'on ne vous laisse que trois minutes pour manger et que le coût du repas est de 50 euros, vous choisirez sûrement de refaire les courses et de préparer votre nourriture ! Eh bien, là, c'est pareil : les sondages concluant à une préférence pour le maintien à domicile sont faussés par l'offre d'EHPAD. Avec une proposition humaine de maison de vie et d'accueil collectif, les résultats seraient totalement inversés. Vous vous arrêtez comme toujours sur la conséquence sans jamais vous soucier de la cause. Votre note sur le sixième besoin : zéro.

Le septième besoin est de maintenir sa température corporelle dans la limite de la normale. Pourrions-nous avoir, comme dans la plupart des foyers français, suffisamment de thermomètres ? Voilà ce que je vous demandais en juillet 2017. Là, c'est fort et nous allons nous y arrêter quelques instants. Comment, lors de la première vague de covid-19, avez-vous pu dire sans sourciller de plateau en plateau, de micro en micro, de caméra en caméra que l'on ne pouvait pas deviner ? Vous étiez pourtant alertés dès juillet 2017 des pénuries de matériel. « On ne pouvait pas deviner » : en êtes-vous bien sûrs ? N'êtes-vous pas en train de vous dire qu'il aurait peut-être été judicieux d'écouter plus attentivement La France insoumise ? Cela vous aurait évité bien des déboires au moment de la notation. Surtout, nous n'aurions peut-être pas subi cette gestion chaotique pour ne pas dire cauchemardesque à l'arrivée de la crise sanitaire par pénurie de matériels. Votre note sur le septième besoin : zéro pointé et carton rouge.

Le huitième besoin est d'être propre et de protéger ses téguments – je ne vous cache pas que c'est mon préféré. En 2017, je vous propose un petit test : alors que vous ne souffrez d'aucune pathologie, chronométrez-vous lors de votre prochain passage dans la salle de bain – déshabillage, douche, séchage et habillage ; on oublie le coup de peigne et le brossage de dents, pas le temps. Si vous dépassez les six minutes, ce qui sera certainement le cas, interrogez-vous ! Demandez-vous comment ou par quel miracle nous arrivons à faire une toilette sur un corps souvent meurtri en seulement six minutes, vous disais-je en 2017.

À votre avis, disposons-nous de plus de temps aujourd'hui ? À votre avis, les 10 000 soignants que vous prévoyez d'embaucher d'ici à cinq ans – c'est-à-dire 2 000 par an –, suffiront-ils pour augmenter ce temps de toilette, quand on sait que, dans le rapport d'information sur les EHPAD, Mme Iborra et moi-même préconisions l'embauche de 210 000 soignants, pour atteindre le ratio minimal – minimal ! – recommandé entre soignants et patients ? Il en manque juste 200 000 ! Une toilette qui respecte le protocole demande vingt ou vingt-cinq minutes, pas cinq. En outre, il faut parfois deux soignants pour la toilette d'un résident. Et vous venez fanfaronner devant nous en annonçant l'embauche de 10 000 soignants d'ici à cinq ans, et même pas en une fois ! Il fallait recruter en urgence 210 000 soignants en 2018 ! Comment pouvez-vous faire une telle proposition ? La maltraitance institutionnelle n'est-elle pas une préoccupation assez importante pour que vous la preniez au sérieux ?

Il n'y a pas que les résidents que vous maltraitez par votre absence de décision, mais aussi les personnels, les familles, les aidants. Comment voulez-vous donner envie aux gens d'exercer notre beau métier ? Là est l'incohérence : tout ne se règle pas avec 183 euros et gagner plus pour maltraiter plus n'a jamais fait rêver personne ! Il faut non seulement une revalorisation salariale, mais surtout des moyens humains, financiers et techniques. Sans tous ces éléments, vous ne réveillerez jamais l'envie d'exercer notre métier, pourtant si beau quand on nous donne les moyens de l'exercer. Pour le huitième besoin, vous avez donc zéro.

Le neuvième besoin est d'éviter les dangers. Dorénavant, les pratiques se résument à attacher le patient à son lit. Parlons un peu de la psychiatrie, le parent pauvre de la santé – quoiqu'avec vous, toutes les spécialités subissent le même sort. En vingt ans, la file active nationale en psychiatrie a plus que doublé sans que les budgets suivent. Résultat : 1 200 postes sont vacants, les patients sont négligés, voire abandonnés et le recours aux mesures de soins sans consentement ainsi qu'à l'isolement et à la contention augmente. Au lieu de régler la cause – le manque de personnels – vous ne faites que soigner le symptôme en judiciarisant les atteintes aux libertés. C'est ce que j'appelle maquiller la réalité, autrement dit, tricher. Zéro !

Le dixième besoin est de communiquer avec ses semblables. À l'époque où Mme Buzyn était ministre, je lui avais demandé si, selon elle, répondre aux patients : « Désolé, je n'ai pas le temps », comptait comme une forme de communication sociale. Finalement, vous avez réussi l'impossible, en supprimant tout bonnement ce besoin fondamental. Grâce à vous – ou plutôt à cause de vous –, nous avons ainsi découvert le syndrome de glissement, quand des patients, des résidents, se sont laissés mourir de solitude. Comprenez-vous maintenant que la communication est un besoin fondamental ? Des personnes se sont laissées mourir, car, des semaines durant, vous avez fermé les établissements à toute vie sociale et familiale ! Si ce choix était tout à fait compréhensible lors du premier confinement, celui de maintenir la fermeture aux visites des établissements pendant plusieurs mois était inhumain. Pour le coup, vous pouvez parler de mesure « historique » – personne avant vous n'avait jamais eu une telle idée et heureusement ! Pour le dixième besoin, ce sera donc zéro.

En juillet 2017, j'ai terminé mon discours ainsi : « Quant aux quatre derniers besoins fondamentaux – agir selon ses croyances et ses valeurs, s'occuper en vue de se réaliser, se récréer, apprendre –, un très grand merci et tout mon respect à l'ensemble des bénévoles qui, par leurs actions, permettent qu'ils soient assouvis. » C'étaient les quatre seuls points positifs sur les quatorze du bilan de la situation d'alors. Eh bien, même cela, vous les avez détruits. Entre le passe sanitaire et la fermeture des établissements, vous avez privé nos établissements de leur plus belle richesse, qui permettait de satisfaire à ces quatre besoins, les bénévoles.

Je ne m'étendrai pas sur l'exigence de laisser l'être humain « agir selon ses croyances et ses valeurs », au vu de votre gestion catastrophique des décès pendant la pandémie : je le rappelle, les familles ne pouvaient même pas enterrer leurs morts. Vous avez donc même réussi à perdre vos quatre points pour les quatre derniers besoins. Il fallait le faire : La République en marche accomplit l'impossible en obtenant un zéro.

Le résultat des comptes est facile à calculer : zéro pointé sur toute la ligne ! Après ce bilan catastrophique, vous continuez à nous faire des promesses. Vous nous promettez que, contrairement aux années précédentes, durant lesquelles vous avez réalisé des économies cachées – vous l'admettez, enfin ! –, cette fois-ci, vous vous y mettez, vous vous retroussez les manches et vous réparez tout ce qui a été détruit. Mais vous nous promettiez la même chose l'an dernier : pourquoi vous croire cette année ?

M. Véran affirmait la semaine dernière que la fermeture des lits et des hôpitaux était une pratique révolue. Pas de chance, nous ne sommes pas des perdreaux de l'année et nous savons qu'avec un taux d'inflation de 1,5 % prévu pour l'an prochain, tous vos chiffres sont gonflés artificiellement et restent bien en deçà des besoins, dont l'accroissement, lui, est réel, du fait de l'augmentation et du vieillissement de la population. Les hôpitaux, déjà à genoux, devront continuer à se serrer la ceinture si nous votons ce budget. Pour nous, c'est non, pas question !

Si vous êtes honnêtes avec vous-mêmes, au vu de votre bilan, du zéro pointé de votre copie, et à la lecture de vos promesses, vous ne pouvez que voter pour cette motion de rejet. Et si vous manquez de lucidité, nous attendrons 2022. Après que Jean-Luc Mélenchon, notre candidat – il ne se cache pas, lui, car nous, nous avons fait nos devoirs, nous avons un programme –, aura gagné l'élection présidentielle,…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.