Intervention de Camille Galliard-Minier

Séance en hémicycle du jeudi 17 juin 2021 à 15h00
Prévention des risques technologiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCamille Galliard-Minier :

Lundi dernier, un nouvel incident s'est déclaré dans l'usine Lubrizol de Rockton, aux États-Unis. Un peu moins de deux ans après celui de Rouen, les images rappellent l'absolue nécessité de protéger les populations des risques technologiques et industriels. Dans La société du risque, ouvrage écrit peu après la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, Ulrich Beck alertait nos sociétés sur le fait que la production sociale de richesse est systématiquement corrélée à la production sociale de risque. Ce constat posé, il convient de tout faire pour bâtir une législation forte et protectrice : c'est tout l'objet des grandes avancées législatives obtenues au cours des vingt dernières années avec le concours des différents gouvernements qui se sont succédé. Si la proposition de loi mérite un débat à la hauteur des enjeux, un débat qui place l'humain et les risques auxquels il est exposé au cœur de nos échanges, elle suscite aussi des interrogations sur plusieurs points. Notre principale critique porte sur la méthode proposée au regard de la cohérence d'ensemble de notre politique de risque.

En premier lieu, l'article unique de la proposition de loi propose d'étendre les PPRT, lesquels sont réservés aux seuls sites Seveso seuil haut, aux sites de transit des matières dangereuses en cours de transport ; pourtant, le statut des matières en cours de transport ne peut être assimilé à celui des matières dangereuses en cours de fabrication. D'ailleurs, comme l'a rappelé Mme la secrétaire d'État, l'article 2 de la directive Seveso du 4 juillet 2012, qui établit les règles applicables aux sites Seveso, est très clair : sont exclus expressément de son champ d'application le transport des substances dangereuses et – faut-il le rappeler ? – le stockage temporaire ou intermédiaire qui y est directement lié, lesquels font l'objet de la proposition de loi. Pourquoi ? Parce que le transport de marchandises dangereuses est soumis à une réglementation européenne et internationale exigeante, propre au déplacement de ces substances qui, par principe, traversent des frontières ; celle-ci assure des conditions de déplacement sécurisées, que le transport s'effectue par route, par rail, par voie navigable intérieure ou maritime ou par air. C'est le cas, par exemple, de la COTIF, qui a été transposée dans une directive européenne de 2008, en vertu de laquelle les matières dangereuses doivent être dûment identifiées et conditionnées dans des emballages adaptés et résistants afin de limiter les risques. Nous ne pouvons nous affranchir unilatéralement de règles communes. D'autres États membres pourraient être tentés de faire de même, et c'est alors le socle de notre législation partagée qui serait ainsi fragilisé.

En deuxième lieu, il existe déjà des outils en droit interne pour prévenir les risques technologiques à proximité des infrastructures de transport de matières dangereuses ; elles font l'objet d'études de danger régulièrement actualisées pouvant déboucher sur une procédure de porter à connaissance. C'est ici le couple maire-préfet qui est à la manœuvre ; nous pouvons compter sur les acteurs du territoire, qui connaissent la réalité des zones à risque. L'on peut ajouter à ce dispositif les documents d'information communaux sur les risques majeurs (DICRIM), les inspections des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou encore l'instance de concertation qu'est le CODERST, le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques. Les opérateurs nationaux agissent en complément du cadre légal : la SNCF établit ainsi des plans de marchandises dangereuses dans chacune de ses gares de triage pour faciliter la décision et l'action des services de secours en cas d'accident ; le port du Havre, que connaît bien M. le rapporteur, ainsi que les ports de Paris et de Rouen, utilisent, eux, un système spécifique de contrôle, le traitement informatisé des marchandises dangereuses (TIMAD), première plateforme en Europe de gestion et de suivi des marchandises dangereuses.

En troisième lieu, le Gouvernement et la majorité présidentielle ont agi pour renforcer le niveau d'exigence en matière de prévention des risques technologiques. À la suite de l'incident de Lubrizol, un plan d'action comportant des mesures fortes a été instauré en février 2020 : amélioration des conditions de stockage des produits dangereux, création d'un outil d'alerte, augmentation de 50 % du nombre d'inspections annuelles d'ici à la fin du quinquennat, réexamen des études de danger et renforcement des plans d'opérations internes des industriels. La représentation nationale a également constitué une mission d'information à l'issue de laquelle le rapporteur, notre collègue Damien Adam, a formulé des propositions ; la reprise de l'une des mesures les plus opérationnelles – la création d'un bureau d'enquête et d'analyse sur le risque industriel – est prévue dans le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets que nous examinons ces jours-ci.

En conclusion, des outils existent ; certains sont perfectibles, d'autres insuffisamment mobilisés par les collectivités et les acteurs concernés. C'est pourquoi, en tant que parlementaires, nous serons attentifs aux conclusions de la mission sur la transparence, l'information et la participation de tous à la gestion des risques majeurs, technologiques ou naturels. En attendant, la proposition de loi semble manquer sa cible : en se concentrant sur les seules infrastructures de matières dangereuses, elle est trop spécifique et inopérante eu égard au droit interne et international existant. C'est pourquoi les députés du groupe de La République en marche voteront contre le texte.

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