Intervention de Nicolas Turquois

Séance en hémicycle du jeudi 17 juin 2021 à 15h00
Revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Turquois :

En tant qu'ancien corapporteur du projet de loi instituant un système universel de retraite, je porte une attention particulière aux petites retraites, notamment à celles du secteur agricole, qui m'est cher. La faiblesse des retraites agricoles n'est pas un phénomène récent. Rappelons qu'après la guerre, les pouvoirs publics et les représentants de la profession n'ont pas voulu faire peser des charges sociales trop lourdes sur les agriculteurs, qui participaient alors activement à la reconstruction du pays.

Dans ce contexte, aucune cotisation – donc aucun droit – n'était prévue pour le conjoint ou les enfants, même si ceux-ci participaient aux travaux de l'exploitation. L'épouse du chef d'exploitation a longtemps été considérée comme n'exerçant aucune profession : son travail dans la ferme – généralement celle de sa belle-famille – prolongeait le travail accompli dans la maison, sans qu'il soit besoin de lui associer la moindre reconnaissance d'ordre professionnel.

Jusqu'aux années 1990, la faiblesse des pensions agricoles est réelle, mais n'est pas perçue comme très différente de celles perçues par les ouvriers, par exemple. Il fallut attendre 1999 pour que les conjoints participant aux travaux de l'exploitation agricole se voient attribuer un statut légal et puissent finalement, en 2011, bénéficier d'une retraite complémentaire.

La conjoncture a changé : l'écart de niveau de vie entre le monde agricole et le reste de la société s'accroît et, pour ce qui est des pensions, devient très significatif.

Les conjoints d'exploitant sont particulièrement concernés par cette situation qui peut être critique en cas de veuvage ou de séparation.

Certes, année après année, ils sont de moins en moins nombreux : environ 25 000 actifs et 122 000 retraités dont 97 % de femmes. En dix ans, l'effectif des collaboratrices d'exploitation a été divisé par deux, ce qui traduit un désintérêt croissant. Aujourd'hui, lorsqu'elles choisissent de rester sur l'exploitation pour y travailler, les femmes préfèrent opter pour un statut de coexploitant, plus valorisant du point de vue de la reconnaissance mais aussi de la constitution de droits à la retraite.

En effet, avec le statut de conjoint, les femmes d'agriculteurs – car, finalement, c'est bien d'elles que l'on parle à travers l'expression « conjoint collaborateur » – acquièrent des droits à la retraite qui ont été, et sont encore, très faibles, sans vraiment le savoir : 650 euros brut par mois en moyenne contre 950 pour les hommes et 750 euros par mois pour une carrière complète alors que la pension moyenne des salariés au régime général est de 1 310 euros brut par mois.

Cette injustice, je l'ai mise en lumière et dénoncée dans le rapport sur les petites retraites que mon collègue Lionel Causse et moi-même avons remis au Gouvernement le mois dernier.

Parmi les pistes évoquées pour mettre fin à la précarité des femmes retraitées agricoles, nous avons formulé une proposition consistant à limiter dans le temps le statut de conjoint collaborateur, comme c'est le cas aujourd'hui pour les aidants familiaux.

C'est une idée que vous reprenez, monsieur le rapporteur, et nous souscrivons donc pleinement à votre démarche. Il n'est plus acceptable, dans une société qui prône l'égalité des droits, de maintenir indéfiniment un statut corrélé à une dynamique de couple, avec tous les risques qui en découlent. Le statut de conjoint collaborateur, qui visait initialement à inclure l'épouse dans la protection sociale agricole, est aujourd'hui une véritable trappe à petites retraites et parfois même le vecteur d'une précarité insoupçonnée en cas de rupture ou de divorce après plusieurs années de vie commune.

Nous approuvons également la disparition de la distinction, dans la pension de base, entre les montants de la PMR 1 et de la PMR 2, selon que vous êtes chef d'exploitation, conjoint ou aidant familial. La PMR est l'équivalent du MICO, le minimum contributif, appliqué dans le régime général et qui, lui, ne distingue pas entre les statuts.

Au-delà de la complexité occasionnée dans les calculs, je crois qu'il nous faut désormais raisonner en parcours de vie et, dans cette hypothèse, le rapprochement voire l'harmonisation des différents minima de retraite semble une évidence. Aujourd'hui, vous pouvez avoir été salarié puis conjoint puis chef d'exploitation et, même si vous avez suivi ce parcours dans un autre ordre, ou dans des proportions différentes, rien ne justifie l'écart entre votre minimum de pension et les autres. Une harmonisation par le haut est donc une avancée à saluer.

En revanche, nous ne sommes pas favorables à votre proposition d'ouvrir aux conjoints et aux aidants le bénéfice de la majoration de pension complémentaire sans qu'un effort de cotisation supplémentaire soit consenti en parallèle. Si je comprends votre ambition, les moyens pour y parvenir ne sont pas évoqués. Notre système de retraite, que votre parti a largement contribué à bâtir au sortir de la guerre, s'appuie sur des principes forts de contributivité et d'universalité.

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