Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 15 juillet 2021 à 9h00
Débat d'orientation des finances publiques pour 2022

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

À vous entendre, vous avez eu tout bon avant et pendant la crise et vous aurez encore tout bon par la suite, puisque vous envisagez de tracer le même chemin. Cette autosatisfaction permanente en devient effrayante tant elle me semble décalée par rapport à la réalité des conséquences de vos actes.

Quand vous vous vantez d'avoir maîtrisé les dépenses publiques pendant des années, prétendant que cela nous aurait permis de mieux faire face à la crise, on atteint des sommets ! C'est bien au contraire à cause de cette politique-là que nous avons abordé la crise en si mauvaise posture, non pas du point de vue du niveau des dividendes ou des profits du CAC40 – ce qui correspond pour vous au juge de paix ultime – mais du point de vue des moyens de l'État et des mécanismes de solidarité.

Cette politique a conduit en quelques années à une baisse des dépenses de l'État et des collectivités de près de 78 milliards d'euros – un montant trop élevé au regard du niveau du PIB –, nous laissant totalement impréparés face à la crise du covid-19.

Lorsque vous vous autocongratulez d'avoir maîtrisé les dépenses publiques, vous vous vantez en fait de nous avoir conduits à aborder cette crise sans masques, sans lits et sans soignants en nombre suffisant. Car telle est bien la réalité concrète de votre politique. De surcroît, vous osez en être fiers alors que les seuls bénéficiaires de tous ces sacrifices ont été les plus riches du pays, c'est-à-dire les seuls qui n'avaient pas besoin de vos cadeaux.

Eh oui, quels que soient les chiffres auxquels on se réfère, les plus riches se sont gavés de recettes supplémentaires pendant que le taux de pauvreté augmentait en France. Par exemple, les 0,01 % les plus riches du pays ont vu grâce à vous leurs revenus augmenter de 192 000 euros en quelques années.

Malgré tous ces constats, votre capacité d'autosatisfaction est sans limites, y compris lorsque vous évoquez votre gestion de la crise. Bien sûr, des dépenses massives ont été consenties lorsque l'économie était à l'arrêt. Je pense notamment au dispositif du chômage partiel, en notant au passage que les entreprises ont été exonérées de ce que l'orateur précédent a appelé des « charges sociales » et qui sont pour moi des cotisations sociales. On a donc transféré une partie importante de la dette liée au covid-19 sur la dette sociale.

Une telle mesure était indispensable, mais était-elle pour autant suffisante et satisfaisante ? Nous répondons que non, parce que les taux d'intérêt très faibles du moment permettent d'emprunter sans crainte. Or vous avez préféré ne pas faire les bons choix en matière de finances.

Dans ce contexte, il aurait fallu en effet dépenser, d'une part en aidant beaucoup plus les personnes démunies, celles qui en avaient – et en ont toujours – le plus besoin, d'autre part en investissant durablement, de façon à financer la transition écologique et les emplois qu'elle suscitera.

Vous avez au contraire préféré dépenser trop peu si l'on considère la quantité, et trop mal si l'on considère la qualité des choix opérés. Si les montants que vous savez isoler à votre avantage peuvent paraître impressionnants, il suffit de faire un pas de côté, de prendre du recul et de regarder ce qui se fait ailleurs pour constater qu'ils sont loin d'avoir été à la hauteur.

Comparons par exemple ces chiffres à ceux des États-Unis. Eux ont dépensé l'équivalent de 25 % de leur PIB pour répondre à la crise alors que nous avons dépensé à peine l'équivalent de 6 % du nôtre. Il ne s'agit toutefois pas seulement d'un problème de montant puisque, aux États-Unis, les dépenses, principalement destinées aux ménages les plus précaires, ont permis de faire reculer la pauvreté, dont le taux passera de 14 % à 8 %, sans gain particulier pour les plus riches.

Chez nous, c'est tout l'inverse. À cet égard, les belles tirades que nous entendons ne changeront rien aux faits. En France, rien – ou si peu – n'a été fait pour les plus pauvres, pour la consommation populaire, à tel point que certaines associations ont estimé que plus d'un million de personnes supplémentaires sont passées en dessous du seuil de pauvreté en 2020 tandis que, cette même année, les milliardaires se sont encore plus enrichis. Je vous citerai quelques chiffres que vous connaissez déjà : les milliardaires ont vu leur patrimoine augmenter de plus de 55 % entre 2020 et 2021 tandis que, d'après Challenges, les 500 plus grandes fortunes de France ont vu leur fortune augmenter de 300 milliards en 2020.

Le creusement des inégalités reflète le caractère intrinsèquement injuste de votre politique. Même lorsqu'il s'est agi d'aider les entreprises à faire face à la crise, vous ne vous êtes préoccupés que du sort des plus grosses d'entre elles.

Pour l'avenir, vous prévoyez une réforme de l'assurance chômage et une réforme des retraites. Cela signifie que vous considérez que, face à la perte de production de richesses qui va malheureusement sévir, c'est le monde du travail qui doit payer.

En outre, vous prétendez encore maîtriser le budget en mettant en place une politique d'austérité inédite jusqu'ici, marquée par une hausse des dépenses publiques de 0,7 % pour les cinq prochaines années. C'est pire que les politiques menées jusqu'à présent et qui nous ont entraînés là où nous sommes.

À cela s'ajoute la norme de dépenses publiques pluriannuelle, soit en quelque sorte une règle d'or nationale fixée par un organisme indépendant, le HCFP, ce qui pose évidemment un problème démocratique puisqu'il représenterait un carcan supplémentaire imposé au Parlement.

En résumé, fidèles à vous-mêmes, vous nous préparez votre monde d'après, c'est-à-dire un monde encore plus injuste, cruel et inégalitaire qu'avant – et, par ailleurs, de plus en plus autoritaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.