Intervention de Valérie Rabault

Séance en hémicycle du jeudi 15 juillet 2021 à 9h00
Débat d'orientation des finances publiques pour 2022

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Rabault :

Ce débat d'orientation budgétaire devrait, selon moi, répondre à cinq questions structurantes pour notre économie et, monsieur le ministre délégué, je ne crois pas avoir entendu ces cinq questions dans vos propos ni dans ceux de M. Le Maire – ni, par conséquent, les réponses à ces questions. Je souhaite donc profiter de cette intervention pour vous les adresser.

La première est celle des scénarios macro-économiques. Comme cela a été dit avant moi, vous nous avez adressé cette nuit, à cinq heures du matin, une révision du scénario pour 2021 : au lieu de 5 % de croissance économique, vous tablez sur 6 %. Pour 2022, en revanche, vous maintenez un scénario de croissance économique de 4 %. Ces données sont en ligne avec celles de la plupart des instituts économiques, ce qui me semble constituer une base de travail raisonnable. Néanmoins, le contexte sanitaire crée un niveau d'incertitude qu'il serait tout de même important d'appréhender, ou du moins de mentionner, ce qui n'est absolument pas le cas dans les documents que vous nous avez remis.

Si les projections sur lesquelles vous vous fondez devaient ne pas se réaliser, cela induirait une nouvelle dégradation des finances publiques, simplement parce qu'il faudrait réabonder les mécanismes d'urgence que, comme cela a été rappelé, vous avez fermés – vous avez en effet supprimé la mission "Plan d'urgence face à la crise sanitaire" – et l'État subirait une diminution de ses recettes du fait de la crise. Cela nécessiterait donc que nous puissions continuer à nous financer par l'intermédiaire de la Banque centrale européenne, puisque c'est elle, et elle seule, qui nous permet de ne pas être aujourd'hui en cessation de paiement. C'est donc ce circuit de sécurisation du financement qu'il serait important d'aborder, d'autant qu'il ne vous aura pas échappé qu'en Allemagne, pays qui contribue le plus à ce mécanisme de financement, auront lieu en septembre prochain des élections législatives dont le résultat pourrait se traduire par un changement de philosophie.

Aujourd'hui, la Banque centrale européenne a une taille de bilan – c'est à dire le montant de ce qu'elle finance – de près de 8 000 milliards d'euros, ce qui représente les trois quarts du PIB de la zone euro. Cette proportion est, par exemple, le double de ce qu'on observe aux États-Unis en rapportant le PIB américain à la taille de la Fed, la Réserve fédérale.

Je souhaiterais donc que vous puissiez nous éclairer sur le mécanisme de financement. Je n'ignore pas que la Banque centrale européenne est indépendante, mais je n'ignore pas non plus que, compte tenu des sommes en jeu, seule la décision politique s'impose en la matière.

La deuxième question est celle de la sanctuarisation de la croissance potentielle. Ce concept, qui peut paraître un peu technocratique, est très important, car c'est celui qui assure notre avenir. Les prévisions de croissance économique de 6 % en 2021 et de 4 % pour 2022 peuvent rassurer – du moins illustrent-ils le fait que notre économie repartirait sur de bons rails. En réalité, il ne s'agit que de rattrapage car – l'INSEE l'a publié fin mai – le PIB de la France a chuté de 8 % en 2020 par rapport à 2019 : autrement dit, la crise a détruit plus de 122 milliards d'euros de valeur ajoutée dans notre pays, ce qui est inédit. Dès lors, avoir une croissance économique de 6 % en 2021 et 4 % en 2022 permettra à peine, fin 2022, de dépasser notre niveau de richesse de 2019, quand d'autres pays d'Europe seront bien au-dessus, comme l'a indiqué la Commission européenne.

La croissance potentielle mesure, quant à elle, notre capacité à créer durablement de la valeur et de l'activité, puisqu'elle mesure la richesse créée si tous les facteurs de production sont utilisés, ce qui suppose que ces facteurs de production existent et qu'ils soient utilisés à 100 %. Dans les documents que vous nous avez remis, vous projetez cette croissance potentielle à 1,35 % par an à compter de 2022. Cette hypothèse paraît très optimiste, car la plupart des instituts économiques, notamment le Fonds monétaire international, nous prédisent une croissance potentielle qui serait, au mieux, de 1,2 % à partir de 2025 et, entre 2022 et 2025, un ralentissement.

Même si les conséquences de tels scénarios ne doivent se faire ressentir que dans deux ou trois ans – la difficulté liée à la croissance potentielle est en effet qu'on n'en voit pas immédiatement les conséquences –, il est de votre responsabilité, monsieur le ministre délégué, de vous en occuper dès maintenant. Ne pas s'en occuper, c'est nous condamner, d'ici trois ou quatre ans, à un nouveau déclassement économique.

Concrètement, cela signifie que si vous ne faites rien, ce qu'il s'est passé avec les vaccins – je rappelle qu'à ce stade, nous sommes le seul membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU à ne pas avoir créé de vaccin – se produira dans d'autres domaines – je pense en particulier à la transition énergétique. Or, dans les documents que vous nous avez remis – même dans ceux qui nous sont parvenus à cinq heures ce matin ! –, il n'y a rien.

Dès lors, je répète ce que j'ai déjà eu l'occasion de vous dire à plusieurs reprises : il faut un vrai plan d'investissement, lisible, orienté autour de quelques secteurs qui créent un véritable effet d'entraînement. Il faut définir une stratégie ciblée autour de cinq secteurs, ce qui revient à adopter la méthode inverse de celle retenue par le Gouvernement, qui a conçu son plan de relance comme une sorte de fourre-tout sans ligne directrice, avec quelques millions d'euros ici ou là. Par exemple, 11 millions d'euros ont été dédiés à la plantation des haies : c'est sans doute très bien, mais cela ne crée aucun effet d'entraînement. Il faut un plan d'investissements qui permette de réaliser une action de A à Z. Ainsi, s'agissant des bornes de recharge des véhicules électriques, vous proposez une simple subvention quand l'Allemagne soutient l'intégralité de l'investissement. Voilà ce que nous attendons d'un État stratège en matière économique.

Il est encore temps de corriger le tir et de bâtir un vrai plan industriel. Plutôt que de travailler seul, le Gouvernement aurait intérêt à réunir les industriels de notre pays et à définir en concertation avec eux les projets clés qui, sur la base des cinq secteurs stratégiques que sont l'énergie, les transports, l'agriculture, la santé et le numérique, permettraient un réel effet d'entraînement pour toute l'économie : création de puits de carbone, réouverture d'usines de médicaments – je pense ici à ma collègue Christine Pires Beaune –, maillage des territoires en bornes de recharge pour voitures électriques, développement d'une filière de biométhane, indispensable pour les territoires ruraux ou encore création de débouchés pour la filière hydrogène.

Voilà, monsieur le ministre, ce qu'est une vraie cordée, organisée autour d'objectifs clairs. Tout ceci porte un nom : réindustrialisation. En la matière, je ne peux que vous inviter à adopter la méthode Biden, qui repose sur trois piliers : faire prendre un virage à l'économie, le soutenir avec des investissements publics massifs, veiller à le faire sans détruire de valeur.

Troisième question : le pilotage des finances publiques. Dans le scénario que vous avez retenu, vous présentez une trajectoire de baisse des dépenses publiques, mais vous vous gardez bien de dire lesquelles ! Je trouve cette méthode peu honnête, et je vous pose donc la question : pour tenir la trajectoire que vous proposez, quelles dépenses publiques envisagez-vous de couper ? Le document reçu ce matin à l'aube fait état, pour 2022, de quelques coupes ici ou là : 100 millions d'euros en moins pour les anciens combattants, 700 millions d'euros de moins pour le service public de l'énergie – un comble, à l'heure où nous parlons de transition énergétique ! –, 100 millions d'euros de moins également pour les régimes sociaux et de retraite – ce ne sont là que quelques exemples.

Quatrième question : au printemps et à l'été, le Gouvernement a fait beaucoup de nouvelles annonces, mais aucune n'a trouvé de traduction budgétaire dans le projet de loi de finances rectificative pour 2021. Puisqu'elles ne sont pas budgétisées, ces annonces n'auront donc aucune réalité en 2021. Elles seront concrétisées au mieux en 2022, à condition que vous les budgétisiez – et encore, vous avouerez que même si c'est le cas, elles ne seront effectives qu'avec un an de retard par rapport à vos annonces. Parmi les mesures annoncées, il y a donc les primes pour les professeurs, le plan Avenir montagnes, le chèque d'accompagnement psychologique, 1 milliard d'euros pour le logement et l'extension de la garantie jeunes. Mais, à mes yeux, il manque surtout les 2 millions d'euros que vous aviez promis pour que les équipes du 3919, numéro d'urgence pour les violences conjugales, soient enfin assez nombreuses pour prendre tous les appels, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et ne laissent plus 40 % des appels sans réponse. Deux millions d'euros, monsieur le ministre, ce n'est pas grand-chose, mais ça ne figure pourtant pas dans le PLFR.

Cinquième question : l'avenir des jeunes. Depuis juillet 2020, avec les députés de mon groupe, nous vous alertons sur la situation des jeunes – je l'avais d'ailleurs déjà fait dans le cadre de ma réponse au Premier ministre lors de son discours de politique générale. Dans une note du 12 mai 2021, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) observe une dégradation de la situation des jeunes plus importante que pour le reste de la population. Elle écrit ainsi : « En 2020, suite à la crise du covid-19, la situation sur le marché du travail se dégrade, notamment chez les jeunes. Le taux d'emploi des 15 à 24 ans recule de 1,2 point, alors qu'il diminue seulement de 0,4 point pour les personnes âgées de 25 à 49 ans. » Ainsi, selon Eurostat, l'institut européen de la statistique, un jeune de 15 à 24 ans sur quatre est au chômage. Face à cette situation, nous avons formulé de nombreuses propositions, toutes chiffrées. Nous avions notamment proposé la création d'un « minimum jeunesse », à l'image du minimum vieillesse existant dans notre pays. Monsieur le ministre, il faut que la France cesse de figurer parmi les quatre pays de l'Union européenne, qui en compte tout de même vingt-sept, n'ouvrant pas de droits sociaux aux jeunes. Ce devra être une priorité, et nous l'aborderons dans le cadre du débat de l'élection présidentielle. Le minimum jeunesse doit trouver sa concrétisation dans notre pays, et la France ne doit plus faire figure d'exception au sein de l'Union européenne.

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