Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du jeudi 15 juillet 2021 à 9h00
Débat d'orientation des finances publiques pour 2022

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Ce débat d'orientation des finances publiques intervient – cela n'a échappé à personne – à l'aube d'une année charnière : une année qui devrait marquer la sortie définitive de la crise sanitaire, nous l'espérons tous, et, avec elle, la fin des aides de soutien, mais aussi une année ponctuée de deux échéances électorales majeures. Nous sommes donc en droit d'attendre du Gouvernement un engagement « fort et clair », comme diraient les militaires, de redressement des finances publiques, c'est-à-dire des objectifs, une méthode et des perspectives.

J'ai été surpris, à la lecture du rapport préparatoire à ce débat d'orientation des finances publiques, de trouver dans les premières pages un étrange satisfecit : « entre 2017 et 2019, la stratégie gouvernementale de maîtrise de la dépense de l'ensemble des administrations publiques a permis un redressement net de la situation des finances publiques. » Visiblement, si nous partageons la même météo, nous n'en avons pas le même ressenti ! Comment peut-on se satisfaire que la France soit l'un des pays de la zone euro qui a le moins bien rétabli ses comptes depuis la crise de 2008 ? Un diagnostic erroné constitue, par principe, une mauvaise base de décision. Ce gouvernement en porte la responsabilité, comme les gouvernements antérieurs. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à dresser ce constat, puisque la Cour des comptes, dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, n'hésite pas à parler d'un redressement des finances publiques « inachevé » avant la crise.

Comment peut-on se satisfaire du fait que la France était en 2019, avec l'Espagne, l'un des deux seuls membres de la zone euro à se trouver en déficit primaire ? Il est clair qu'en ne se comparant jamais aux autres pays, la France apparaît toujours gagnante ! Ce que vous appelez « maîtrise de la dépense » s'avère une augmentation de 1,4 % de la dépense publique en volume en 2019, dernière année prospère avant la crise. Avec 55,6 %, la France avait en 2019 un taux de dépenses publiques rapportées au PIB supérieur de près de 9 points à la moyenne de la zone euro et, comme le précise la Cour des comptes, sans que cette évolution résulte d'un accroissement à due concurrence de la qualité des services publics ! Nous naviguions alors à vitesse de croisière, sans donner le coup de reins nécessaire qui nous aurait permis de résister davantage à la violence de la crise économique.

Ce matin, très tôt, nous avons enfin reçu le tiré à part – vous travaillez tard puisqu'il était cinq heures du matin ! Nous y apprenons que la prévision de croissance, conformément d'ailleurs aux propos de Bruno Le Maire, passerait de 5 % à 6 % – ce dont nous nous réjouissons. Mais nous apprenons surtout que si les objectifs de dépenses sont clairs et omniprésents, les objectifs d'économie, eux, sont totalement absents. Les dépenses pilotables augmentent ainsi de 10,8 milliards d'euros, c'est-à-dire de 3,7 %, entre la loi de finances initiale pour 2021 et le projet de loi de finances pour 2022 ! La vitesse d'augmentation de ces dépenses est également très importante, puisqu'elles passent de 6,8 milliards à 10,8 milliards, soit une augmentation de 60 à 65 %. C'est évidemment considérable, d'autant que ces dépenses pilotables ne semblent inclure ni le dispositif de garantie jeunes, ni le deuxième plan de relance ni, probablement, toutes les dépenses de relance – même si ce point n'est pas tout à fait clair.

Si le rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques se veut rassurant sur la trajectoire de redressement des finances publiques dans les années à venir, il illustre surtout deux renoncements majeurs. D'abord, le renoncement à maintenir la dépense publique au niveau prévu dans le programme de stabilité présenté en avril dernier – je dis bien en avril dernier, et non il y a deux ou trois ans. En effet, alors que vous vous êtes engagés à augmenter la dépense publique en volume de 1,1 % en 2022, hors mesures d'urgence et de relance, le rapport préparatoire prévoit déjà un dérapage avec une augmentation de 1,5 % de la dépense toutes administrations publiques confondues l'année prochaine – estimation sans doute sous-évaluée compte tenu des chiffres communiqués ce matin dans le tiré à part. Cet écart risque d'entraîner d'importantes conséquences, ne serait-ce que parce que cette augmentation de 1,5 % en 2022 représente le double de l'objectif de 0,7 % d'augmentation moyenne de la dépense en volume entre 2022 et 2027 qui a été transmis à l'Union européenne. Messieurs les ministres, comment entendez-vous tenir cet objectif alors que l'année 2022 sera déjà dégradée ?

Le deuxième renoncement concerne les effectifs de fonctionnaires de l'État. Certes, il ne faut pas avoir pour seul but de diminuer les effectifs, ce serait une approche trop comptable, mais comment maîtriserez-vous la dépense publique sans réduire le coût de la fonction publique ? Tout le monde se souvient que le Président de la République s'était engagé à réduire de 50 000 le nombre d'agents dans la sphère de l'État. Vous mettez fin, assez discrètement, à cet objectif – presque en le valorisant, d'ailleurs : bel exercice de communication !– en expliquant vouloir « atteindre la stabilité de l'emploi public au sein des administrations et des opérateurs ». C'est vraiment magnifique, je suis très ému de lire cela ! Alors que, compte tenu du nombre de fonctionnaires en France, la réduction de la masse salariale est un levier incontournable pour réduire les déficits publics, on a bien du mal à comprendre comment vous atteindrez vos objectifs de dépenses sans y avoir recours et en annonçant même une augmentation de la rémunération des catégories C – encore une fois, c'est assez magique !

Par ailleurs, les documents nous apprennent que vous avez décidé de supprimer la mission "Plan d'urgence" de la maquette du prochain projet de loi de finances, alors que le PLF pour 2021 l'avait maintenue sans la doter de crédits et qu'elle avait été très rapidement abondée par des amendements en fin d'année. J'espère que l'avenir vous donnera raison et que nous n'aurons pas besoin de crédits d'urgence. Je note que le Président de la République a pris de bonnes décisions en disant aux Français, avec autorité, qu'ils doivent se faire vacciner, mais ces décisions nécessiteront sans doute des mesures de soutien. J'espère donc que le contexte sanitaire ne viendra pas contredire la suppression de cette mission.

J'ai bien conscience que la crise économique et la crise sanitaire qui en est à l'origine brident énormément la prise de décisions et contraignent les ambitions. Nous l'avons vécu sous des gouvernements précédents, dans des conditions certes différentes. Bien sûr, la fragilité de nos finances publiques, c'est-à-dire des finances de tous les Français, ne date pas d'aujourd'hui.

Pour tenter de répondre à cette question lancinante et dangereuse, permettez-moi de suggérer quatre principes que vous devriez appliquer. Premièrement, nous devons respecter nos engagements – programme de stabilité, loi de programmation des finances publiques – aussi bien auprès des instances européennes que de nos partenaires financiers. Il faut tout faire pour maintenir la confiance qu'ils nous accordent, avant que celle-ci ne s'effrite. Comment allez-vous leur donner des gages de confiance suffisants pour restaurer la crédibilité de la France sur la scène européenne et internationale ?

Deuxième principe, il faut clairement dire ce qui se passera après 2022 et comment nous financerons la phase de transition économique, sociale et écologique qui, évidemment, se prolongera bien au-delà de cette date. Nous sommes entrés dans une phase où les aides à destination de notre économie doivent peu à peu se retirer au profit de la relance économique. Afin de permettre au mieux le rebond de la croissance, nous devons continuer à apporter le soutien nécessaire aux entreprises qui en ont encore besoin. C'est une politique de cas par cas qui doit peu à peu se généraliser, et c'est ce que vous êtes en train de faire. Mais, au-delà de cette période, il faut favoriser la croissance potentielle de la France. Qui peut croire aujourd'hui que le plan de relance épuise la relance ? Le manque d'investissements dans les secteurs clés que sont notamment la transition énergétique, l'économie digitale et bien d'autres, rappelés par le ministre de l'économie, risque de compromettre notre objectif de relance. Comment comptez-vous financer durablement ces secteurs stratégiques afin de donner de l'élan à la croissance tout en maîtrisant la dépense publique ? La croissance serait évidemment moins compliquée à obtenir en l'absence de toute maîtrise de la dépense publique…

Troisième principe, il faut urgemment maîtriser la dépense publique et, comme en amour, donner des preuves et non se contenter de déclarations et de vertueuses intentions. En ces temps exceptionnels, la croissance des dépenses n'est pas exclusivement imputable à la crise. Si l'on suit les hypothèses du rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques, les dépenses publiques hors mesures de soutien et hors crédits d'impôts pour l'année 2022 devraient augmenter d'environ 21,8 milliards. Comment comptez-vous donner plus de perspectives – aucune n'est ici dessinée – pour démontrer que le Gouvernement s'engage dans une réelle maîtrise de la dépense publique ? Je l'ai déjà dit, mais les débats en matière de finances publiques s'apparentent à un large exercice de répétition.

Dans le même temps, le Président de la République a repoussé aux calendes grecques – ou plutôt aux « calendes françaises », c'est-à-dire après les élections – la réforme des retraites qui devait repousser l'âge de départ. Comment comptez-vous respecter l'ensemble des trajectoires présentées dans cette ambiance très dépensière, illustrée encore récemment par l'extension de la garantie jeunes ? Comment réussirez-vous à hiérarchiser les dépenses ?

Quatrième principe, enfin, nous devons mettre fin à la spirale infernale de la dette publique. Tant que le taux de chômage restera à un niveau élevé, à savoir 8,1 % en 2021, nous ne disposerons de marges de manœuvre ni sur le plan de la productivité, ni sur le plan de la production de richesses.

Pour conclure, nous sommes à une période charnière économiquement, financièrement, politiquement et socialement. Derrière l'austérité des chiffres et des sujets budgétaires, il s'agit en réalité de notre cohésion nationale et du contrôle de notre indépendance. L'approche de l'élection présidentielle ne doit pas nous faire renoncer à réaliser les réformes nécessaires. Chaque recul nous fait perdre un temps précieux et nous expose davantage aux prochaines crises.

Mon discours n'est ni pessimiste, ni défaitiste, ni moralisateur. Au contraire, et vous le savez, l'économie française a montré sa robustesse. Mais je suis convaincu que la France n'est pas abonnée à une double fatalité : celle du chômage et celle des déficits financiers incontrôlés. Les perspectives pour 2022 que vous nous présentez ne démontrent pas tout à fait cela.

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