Intervention de Bruno le Maire

Séance en hémicycle du jeudi 15 juillet 2021 à 9h00
Débat d'orientation des finances publiques pour 2022

Bruno le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance :

Je suis heureux de vous retrouver ce matin pour le débat d'orientation des finances publiques pour 2022.

Quelle est la situation économique de la France ? Notre économie se redresse rapidement et puissamment. C'est le résultat des mesures de protection inédites que nous avons adoptées. Elles ont permis d'éviter des faillites massives et de protéger les emplois et les qualifications des Français. C'est aussi le résultat du déploiement très rapide du plan de relance de 100 milliards d'euros que vous avez adopté il y a près d'un an, qui permet de soutenir l'activité et l'emploi. À la fin du mois de juin, 40 milliards d'euros de France relance ont déjà été mobilisés, et nous visons 70 milliards d'euros d'ici à la fin de l'année.

Ces mesures ont été efficaces – les chiffres sont clairs : le pouvoir d'achat des Français a été protégé, il a même progressé malgré la crise la plus grave depuis 1929 ; les faillites d'entreprises ont été évitées : 29 000 défaillances ont été enregistrées en un an, à la fin du mois de mai, contre 50 000 en temps normal ; l'explosion du chômage prédite par de nombreux prévisionnistes n'a pas eu lieu : il s'établit à 8,1 % au premier trimestre 2021, soit le même niveau qu'à la fin de l'année 2019 – c'est toujours trop, mais ce n'est pas la vague annoncée ; la consommation a rebondi vite et fort : dans la semaine du début des soldes, les dépenses par carte bancaire dans l'habillement et le textile ont dépassé de 50 % leur niveau de 2019.

Toutes ces indications favorables nous amènent à rehausser notre prévision de croissance pour 2021 à 6 %. Cette prévision est proche de celles de l'INSEE, de la Commission européenne et de la Banque de France. La croissance française sera ainsi l'une des plus fortes des nations européennes.

Je le redis avec gravité à cette tribune, la croissance dépend directement de notre mobilisation collective face au virus et du déploiement massif de la vaccination. Depuis le début de la crise, les Français ont fait preuve d'un sens civique extraordinaire, que nous pouvons saluer et qu'illustrent les centaines de milliers de prises de rendez-vous de vaccination. L'accélération de la campagne vaccinale et l'instauration du pass sanitaire nous permettront d'atteindre notre objectif de croissance. La vaccination, c'est la sécurité ; la vaccination, c'est la croissance ; la vaccination, c'est l'emploi.

Sur la base de ces chiffres, quelle est la stratégie du Gouvernement ? Elle tient en trois points : protéger, relancer et investir.

L'investissement doit être le maître mot de l'économie française pour les décennies qui viennent. C'est grâce à lui que nous resterons une des grandes nations économiques du XXIe siècle. C'est lui qui garantira notre indépendance sur les technologies critiques – intelligence artificielle, technologie digitale, quantique, énergies renouvelables. Il offrira à nos enfants et petits-enfants un meilleur niveau de formation et de qualification, afin de sortir enfin du chômage de masse qui a tant pénalisé notre pays. Il assurera notre niveau de vie. Il préservera la place de la France parmi les grandes nations mondiales.

La protection a été assurée tout au long de la crise. Nous avons pris la décision de sortir progressivement des aides générales pour instaurer un soutien ciblé au profit de ceux qui demeurent réellement en difficulté. Nous sommes passés du « quoi qu'il en coûte » au sur mesure pour les secteurs les plus en difficulté. Cette philosophie reste pleinement d'actualité à l'heure où nous instaurons le pass sanitaire.

J'ai eu l'occasion de le dire aux représentants des secteurs – la grande distribution, le commerce, les cafés, les restaurants – que j'ai rencontrés : ne partons pas du principe que le pass sanitaire aura mécaniquement pour effet une baisse de l'activité. Je crois au contraire qu'il constitue la meilleure garantie pour le maintien de l'activité et la meilleure sécurité que nous puissions assurer au consommateur.

Nous ferons le point à la fin du mois d'août sur l'évolution des aides – je m'y étais engagé, je tiendrai parole – et nous déterminerons alors si ces aides ont été bien adaptées au nouveau contexte économique ainsi qu'à l'instauration du pass sanitaire et si des secteurs souffrent plus que d'autres – certains connaissent un redémarrage globalement plus difficile : le tourisme, les transports, l'événementiel ; dans l'industrie, le secteur automobile n'a pas encore retrouvé le niveau d'activité qui était le sien avant la crise ; il en est de même pour le transport aérien – je serai dès ce soir à Toulouse pour rencontrer les acteurs du secteur aéronautique et faire le point sur la situation.

Le deuxième point de la stratégie consiste à accélérer encore le déploiement de la relance. La relance est là, elle est visible dans toute la France, elle fonctionne. À la demande des députés, nous continuerons à améliorer la mise en œuvre de la relance dans les territoires afin que chacun puisse en bénéficier : les plus petites communes rurales doivent avoir accès aux projets de France relance. Le plan de relance se déploie bien, vite et fort. Nous pourrons compter sur le soutien des fonds européens : nous recevrons dans les prochaines semaines un premier versement de 5,1 milliards d'euros.

Dans le budget pour 2022, nous avons prévu de consacrer plus d'argent aux mesures qui marchent le mieux et qui donnent des résultats immédiats dans les domaines prioritaires que sont l'environnement et l'emploi des jeunes.

S'agissant de MaPrimeRénov', plus de 380 000 ménages ont déposé une demande pour la rénovation de leur logement dans la première moitié de l'année 2021 – soit le double des demandes pour toute l'année 2020. Nous avons donc décidé, Olivier Dussopt et moi-même, d'ajouter 2 milliards d'euros en 2022 pour poursuivre cette dynamique. Avec Barbara Pompili, nous nous assurerons de l'efficacité environnementale de cette mesure – nous pourrons en débattre ensemble. Plutôt que les gestes uniques, nous devrons privilégier à terme les rénovations globales, dont l'efficacité énergétique est plus grande.

Quant au soutien aux jeunes, nous avons prolongé jusqu'à la fin de l'année les aides à l'apprentissage, qui connaissent un succès exceptionnel : plus de 600 000 primes ont été versées depuis août 2020. Dans le budget pour 2022, nous avons décidé d'investir davantage dans l'accompagnement des jeunes vers l'emploi, qui est une priorité de la sortie de crise. Nous consacrerons les moyens nécessaires au revenu d'engagement annoncé par le Président de la République, dont les modalités seront précisées à la rentrée. Faire plus pour ceux qui ont moins, ne laisser aucun jeune sans solution, accompagner davantage ceux qui n'ont aucun diplôme, aucune qualification, voilà le sens du revenu d'engagement. Nous ne voulons pas de droits sans devoirs, mais à l'inverse, il ne peut y avoir de devoir de recherche d'emploi sans droit à un accompagnement personnalisé et efficace. C'est le sens du revenu d'engagement.

Le troisième point, qui doit être au cœur de la stratégie économique de la France pour les prochaines décennies, est l'investissement. La présence de la France parmi les grandes nations économiques n'est pas un acquis : c'est un combat, et celui-ci se livre par l'investissement.

Dans le plan France relance, nous avons fait le choix de l'investissement, mais aussi de l'accélération de la lutte contre le réchauffement climatique et de la décarbonation de notre économie. Nous avons choisi d'investir dans les nouvelles technologies, car le XXIe siècle sera marqué par une compétition féroce entre les grands continents sur l'accès et la maîtrise des nouvelles technologies. Alors que la Chine et les États-Unis se sont engagés dans la compétition, l'Europe doit jouer sa carte et se donner les moyens d'accéder de manière indépendante aux semi-conducteurs de classe mondiale, à la production d'hydrogène décarboné, aux meilleurs standards de l'intelligence artificielle ou à l'espace.

Le choix de l'investissement permettra également de raffermir notre croissance potentielle en renforçant notre positionnement dans les secteurs qui pourvoiront l'activité et l'emploi de demain. La France ne peut se satisfaire de compter trois ou quatre secteurs d'excellence qui sont les mêmes depuis trente ans – ils font notre fierté, mais ils ne sont pas suffisants. Notre pays ne doit pas s'endormir sur ses lauriers en pensant que la croissance, l'activité, les emplois et la capacité d'exportation reposeront ad vitam aeternam sur le luxe, l'aéronautique, l'industrie agroalimentaire ou pharmaceutique. Nous devons développer de nouvelles chaînes de valeur ; nous devons recréer de la valeur en France grâce à de nouveaux secteurs, de nouvelles chaînes de valeur, de nouvelles technologies pour lesquels nous disposons déjà d'atouts concurrentiels : je pense au nucléaire, aux semi-conducteurs, aux biotechnologies ou à l'hydrogène.

Les institutions internationales – le Fonds monétaire international (FMI) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – nous recommandent également d'investir pour augmenter notre croissance future. Les règles européennes nous permettent de le faire, puisque la clause dérogatoire au pacte de stabilité a été reconduite jusqu'à la fin de l'année 2022. En outre, nous disposons des fameux programmes d'intérêt collectif européen qui nous permettent de déroger aux règles sur les aides d'État.

Ne nous y trompons pas : la course aux investissements technologiques a lieu entre la Chine, les États-Unis et l'Europe, mais elle se joue aussi à l'intérieur des frontières européennes et entre les nations européennes. La France ne peut pas se laisser distancer. Je le dis avec beaucoup de force : pour les investissements dans les nouvelles technologies, nous devons privilégier en Europe une approche de coopération plutôt que de compétition.

Nous devons rassembler nos forces plutôt que les disperser. Il nous faut éviter d'investir tous exactement dans les mêmes technologies, dans les mêmes usines. Nous devons être capables de répartir nos investissements pour que l'union des nations européennes fasse notre puissance technologique au XXIe siècle. Nous l'avons par exemple fait pour les batteries électriques, en concluant un accord de coopération avec l'Allemagne et en présentant une proposition pour l'Automotive Cells Company (ACC) dans le cadre de l'Alliance européenne pour les batteries. Nous l'avons fait également pour le cloud. Nous devons aussi le faire pour l'hydrogène et les semi-conducteurs. Les entreprises joueront sinon de cette course à l'investissement et de la compétition entre États membres pour obtenir le meilleur soutien public, au détriment de l'intérêt général.

Ce choix pour l'investissement me conduira à proposer au Président de la République, d'ici à la fin du mois de juillet, un plan d'investissement qui pourrait être présenté à la rentrée. Celui-ci obéira à trois critères.

Le premier est la sélectivité : ni saupoudrage ni éparpillement. Nous devons concentrer nos efforts sur certains secteurs ciblés en fonction de nos forces industrielles existantes, de nos qualifications et du dynamisme du marché : le numérique, les semi-conducteurs, l'hydrogène, évidemment aussi le nucléaire, qui fait partie des atouts comparatifs de la France, qui nous permet de décarboner rapidement notre économie, qui nous donne accès à l'électricité décarbonée à un coût acceptable. Oui, le nucléaire doit aussi faire partie de ces investissements du futur.

La ligne rouge que nous ne devons pas franchir, c'est celle de la dispersion de nos moyens. La ligne de force, c'est la décarbonation de notre économie. Elle nous permettra d'opérer cette sélectivité entre les investissements du futur : ils doivent servir la décarbonation accélérée de l'économie française.

Le deuxième critère est la coordination, sur laquelle j'insiste à nouveau. Les choix que nous faisons au niveau national doivent être coordonnés avec nos partenaires européens, en particulier avec l'Allemagne. J'ai des contacts réguliers, presque quotidiens, avec le ministre de l'économie allemand pour nous assurer de cette coordination dans tous les secteurs, y compris dans le secteur spatial pour lequel nous pourrons, je l'espère, présenter d'ici quelques jours un accord franco-allemand.

Le troisième critère est la formation. Investir dans le capital physique ne suffit pas, il faut aussi investir dans les compétences qui seront indispensables aux secteurs d'avenir, à la transition écologique et au numérique. L'un des seuls obstacles actuels à l'accélération de la croissance est, vous le savez, l'accès aux qualifications et aux formations dont nous manquons en France et qui entraînent des pénuries de main-d'œuvre dans certains secteurs et activités.

À ces choix de protection, de relance et d'investissement s'ajoutent évidemment les dépenses de fonctionnement des ministères, sur lesquelles nous avons travaillé nuit et jour avec Olivier Dussopt, que je remercie pour son engagement et son immense professionnalisme. Ensemble, avec le Premier ministre, nous avons privilégié les dépenses qui se trouvent au cœur des missions de l'État : les armées, la justice, la police, l'éducation et la recherche.

La moitié de ces dépenses nouvelles sont les résultats de lois de programmation, donc de lois d'investissement dans les activités régaliennes de l'État – loi de programmation militaire 2019-2025, loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, loi de programmation de la recherche 2021-2030. L'autre moitié correspond à des dépenses de soutien liées à la crise : appels en garantie pour le prêt garanti par l'État (PGE), hébergement d'urgence ou prolongation du ticket-restaurant universitaire à 1 euro.

Au total, nous augmenterons les moyens de l'État de 10,8 milliards d'euros pour 2022, augmentation similaire à celle de 2021.

S'agissant de 2021, avec Olivier Dussopt, nous refusons de consacrer l'intégralité des recettes fiscales supplémentaires liées à la croissance de 6 % à l'augmentation de la dépense publique. Il n'y a pas de cagnotte quand la dette publique dépasse 100 % du PIB. Cela nous permet de contenir le déficit public pour 2021 à moins de 9 %, contre 9,4 % prévus en loi de finances rectificative.

En 2022, nous maintiendrons notre exigence de sérieux budgétaire et de sincérité, marque de fabrique de ce quinquennat.

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