Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du mardi 13 juillet 2021 à 15h00
Prévention d'actes de terrorisme et renseignement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Le projet de loi dont nous discutons ce soir en deuxième lecture est un texte à objets divers de sécurité et de renseignement. D'un côté, il réexamine les dispositions des lois relatives à la sécurité intérieure et à la lutte contre le terrorisme, dont plusieurs avaient été adoptées à titre expérimental et provisoire. D'un autre côté, il vise à actualiser, si j'ose dire, la loi sur le renseignement en prenant en compte les réseaux téléphoniques par satellite et 5G, mais aussi à aller plus loin, au moyen des algorithmes pour l'identification des sites internet. D'un autre côté encore, il reprend le principe d'une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion à l'encontre des anciens condamnés pour terrorisme. Parallèlement, il vise à étendre les échanges entre les services de renseignement et les durées de conservation des données par les opérateurs. Enfin, il fixe de nouvelles conditions à la déclassification d'archives prévue par la loi de 2008.

C'est, sauf erreur et comme cela a du reste été rappelé à plusieurs reprises par d'autres collègues, la quinzième loi en dix ans comportant, à titre principal et subsidiaire, des dispositions visant à prévenir et compléter l'arsenal législatif destiné à lutter contre le terrorisme. Certes, le terrorisme a changé, mais il semble que l'extension des mesures nouvelles soit toujours en retard par rapport à celles qui pourraient mieux nous protéger. Disons-le d'emblée : la prévention des actes de terrorisme est un objectif hautement légitime. Reste à savoir si les mesures en discussion le sont et, surtout, si elles seront efficaces. En effet, l'évolution de la menace terroriste se traduit par la commission d'actes commis par des individus seuls se réclamant d'une cause, sans qu'une organisation les ait préparés, et donc difficiles à repérer.

Sur ce projet de loi qui est un vrai patchwork de la sécurité – je fais allusion à cet art ancien consistant à coudre ensemble des chutes de tissus divers pour composer un nouvel ouvrage –, je ferai cinq observations.

La première concerne la rupture que représente ce texte par rapport à la loi de 2017. Son article 1er porte en effet pérennisation des articles 1er à 4 de la loi SILT, ou loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme du 31 octobre 2017. Or, si cette loi a autorisé les visites domiciliaires, la définition du périmètre de protection et l'exercice de mesures individuelles de contrôle administratif de surveillance, elle a elle-même généré sa contrepartie en les rendant expérimentales. Comme l'ont dit nos collègues du Sénat, si de telles dispositions peuvent être utiles lorsque l'usage en reste limité, elles n'en sont pas moins dérogatoires et doivent rester exceptionnelles. C'est là l'essence même des limites posées aux libertés individuelles : elles doivent rester dérogatoires et leur usage contrôlé démocratiquement. Aussi ces mesures ne doivent-elles être autorisées qu'au cas par cas et leur prorogation doit-elle rester soumise au vote du Parlement autant de fois que nécessaire.

Ma deuxième observation porte sur la création d'une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion. Malgré les précautions prises, le caractère proportionné du dispositif à mettre en œuvre demeure incertain, même dans cette version amoindrie des mesures de sûreté.

J'en viens à ma troisième observation : pour ce qui est de l'extension du domaine du renseignement et de l'utilisation de nouvelles techniques, nos collègues sénateurs ont eu la sagesse de n'autoriser qu'à titre expérimental l'usage des algorithmes pour l'URL, au nom, là encore, de la mesure, de la réversibilité et de l'évaluation. La volonté de la majorité présidentielle n'est pas, sauf erreur de ma part, de maintenir cette garantie.

Ma quatrième observation porte sur la durée de la conservation des données de connexion. J'estime que la voie empruntée par d'autres États européens tout aussi engagés que la France dans la lutte contre le terrorisme et tout aussi soucieux de l'efficacité de leurs services de police et de renseignement mériterait plus d'attention. En tout état de cause, l'affaire, qui paraît réglée, ne l'est pas tant que cela et il sera nécessaire de revenir sur cette question. Il est aujourd'hui impératif qu'une autorité indépendante autorise l'autorité politique à utiliser de telles techniques de collecte de données.

Enfin, ma dernière observation concerne les archives, à propos desquelles l'éminent juriste Guy Braibant écrivait qu'il n'y a pas d'histoire, pas d'administration, pas de république sans archives. La loi de 2008 a réaffirmé le principe fondamental de la libre communication des archives publiques, auquel ne peuvent être opposées que des dérogations, par nature limitées. Le texte qui nous est soumis remet donc en cause le principe de la loi de 2008 en faisant porter sur les lecteurs et les services des archives le fardeau de la preuve de la communicabilité.

Comme je le laissais entendre voilà quelques instants en parlant de patchwork, les éléments divers qui forment ce texte mélangent des chutes intéressantes, mais aussi d'autres, plus sombres. Ce texte qui paraît s'inscrire dans la continuité législative rompt sur des points essentiels avec ce qui faisait l'équilibre des lois de sécurité intérieure. Il y a de la malignité à mélanger ainsi les choses et à rompre avec des principes qui lient sécurité et libertés individuelles. Compte tenu de ces raisons, il appartiendra à chacun des membres de notre groupe Socialistes et apparentés de se positionner sur ce texte.

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