Intervention de Bastien Lachaud

Séance en hémicycle du mercredi 29 septembre 2021 à 21h30
Exploitation de lanceurs au centre spatial guyanais — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

Ce texte entérine un partage des tâches entre toutes les parties intéressées au maintien et au développement d'un lanceur européen. En tant que tel, nous ne pouvons y être opposés. Mais il est absurde de séparer cette question du reste de la politique spatiale de la France. Elle en est la pierre angulaire et, à ce titre, l'approuver reviendrait à approuver l'ensemble de la politique.

Or il ne saurait en être question. La politique spatiale décidée par le Gouvernement ces dernières années est empreinte de suivisme, de naïveté et d'idéologie. Elle ne permet pas de faire face aux grands défis auxquels l'humanité est confrontée. L'espace est une nouvelle frontière et, si nous ne travaillons pas à en rendre l'exploration utile à toute l'humanité, nous y reproduirons les désastres que le capitalisme a semés sur terre : la guerre et la pollution. La course folle au profit a déjà ses emblèmes en la personne des trois milliardaires qui règlent leur rivalité à coups de fusées.

Mais que font les États ? La France en tout cas laisse filer. Les États-Unis, eux, poussent leurs pions, convaincus qu'un mégalomane étasunien, c'est déjà une victoire pour eux. Ils observent, avec les Musk et Bezos, l'adage que l'on prête à Roosevelt à propos du dictateur Somoza : « C'est un salaud, mais c'est notre salaud ! » D'ailleurs, les États-Unis font tout pour permettre la ruée vers l'espace. En 2015, à la fin de la présidence de Barack Obama, ils ont par exemple adopté une loi, le Space Act, portant sur les vols spatiaux commerciaux et autorisant l'appropriation et l'exploitation des éventuelles ressources minières trouvées dans l'espace.

Face à cela, le Gouvernement n'a proposé aucune action diplomatique d'ampleur ; il n'a essayé de former aucune coalition pour protester contre cette décision unilatérale qui contrevient au traité de l'espace de 1967. Au contraire, le Gouvernement a cherché à noyer le poisson en mettant en scène d'autres menaces pour faire oublier la stratégie hégémonique des États-Unis. Il lui a paru plus confortable de livrer la Chine et la Russie à la détestation de l'opinion plutôt que d'assumer une position non alignée claire et ferme. Le comble fut d'accepter l'installation du centre d'excellence spatial de l'OTAN à Toulouse. Après cela, comment ne pas être considéré justement comme un auxiliaire servile de l'impérialisme américain ?

Alors que l'affaire des sous-marins australiens a récemment fourni une preuve éclatante que Washington ne traite jamais d'égal à égal avec des alliés mais se borne à flatter ou à contraindre des vassaux, il est inconcevable que ce centre de l'OTAN puisse voir le jour sur le territoire national. Quelle meilleure preuve du suivisme de l'exécutif et de son inconséquence ? Avoir décidé la création d'un commandement militaire de l'espace à Toulouse, c'était déjà donner le signal que la France inscrivait ses pas dans ceux des États-Unis et, le cas échéant, ne saurait pas s'empêcher de dévaler la pente de la militarisation de l'espace. Inviter l'OTAN à prendre ses quartiers tout à côté, c'est manifester une naïveté et une imprudence confondantes devant le pays qui s'est fait une spécialité d'espionner ses amis comme ses ennemis. Quant à croire que nous n'en pâtirons pas un jour ou l'autre, et que nous saurons toujours nous en prémunir, ce serait manquer sérieusement de modestie.

Pourtant, si le Gouvernement joue les fiers-à-bras lorsqu'il s'agit de défense et prétend conserver à la France une supériorité technique qui la protégerait de toute action hostile, il est infiniment moins visible lorsqu'il s'agit de protéger le savoir-faire industriel de notre pays. Aveuglé par un rêve de construction européenne auquel il sacrifie les intérêts français, il laisse l'Allemagne nous dépouiller avec patience et méthode.

La réalité des intentions allemandes, que j'ai évoquées tout à l'heure dans le détail, ne peut être contestée. Explicitement formulées dans plusieurs livres blancs depuis 2010, elles se traduisent dans les faits puisque Berlin se donne incontestablement les moyens de ses ambitions. Aujourd'hui, l'Allemagne est le premier contributeur de l'Agence spatiale européenne. Elle en retire de nombreux avantages, orientant les crédits vers ses entreprises. Après avoir capté une partie essentielle des savoir-faire français, elle développe les siens et rejette puissamment le statu quo qui assurait à la France le premier rang dans le concert spatial mondial. Désormais, l'Allemagne compte bien avoir son mini-lanceur et l'utiliser depuis chez elle. À terme, elle compte même s'imposer sur le segment des lanceurs lourds et faire du Centre spatial guyanais un vestige de la puissance française.

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