Intervention de Pierre-Henri Dumont

Réunion du mardi 30 novembre 2021 à 18h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Henri Dumont, rapporteur :

Sur la question de M. Michels de savoir si l'on peut avancer sur certaines choses sans accord global, je pense que nous pouvons avancer sur des choses qui ne nécessitent pas l'adoption en bonne et due forme de paquets législatifs, de directives, de règlements, de résolutions ou de lois.

Sur l'enjeu central des flux de rebond, j'opterais plutôt pour des discussions bilatérales sur l'harmonisation des taux de protection, qui sont complètement différents entre les États européens. Un Afghan a aujourd'hui une probabilité d'être protégé à hauteur de 15% en Allemagne, taux qui est de 66% en France, ce qui ne peut pas fonctionner. Nous ne pouvons pas nous retrouver dans une situation dans laquelle l'Allemagne dit pouvoir accueillir, mais, le temps d'examiner les demandes, crée plus de déboutés que de personnes disposant d'une protection internationale et qui sont envoyés errer dans les différents pays de l'Union européennes.

Nous savons qu'aujourd'hui que nous n'arriverons pas à renvoyer un Afghan dans son pays d'origine et que cette personne sera condamnée à devoir aller de pays en pays et de demande d'asile en demande d'asile en attendant que l'épuisement des délais ne permettant pas de déposer une demande d'asile en application du système Dublin. Cette situation est évidemment intenable.

Nous sommes arrivés à un point où ce système est tellement dysfonctionnel que nous n'appliquons plus le règlement de Dublin. En France, sur les 60% de demandeurs d'asile qui peuvent techniquement être renvoyés dans le pays de première entrée, nous n'en renvoyons que 5%. Nous savons que nous ne pouvons pas faire reposer la charge sur les pays de première entrée, qui sont ceux qui récupèrent les empreintes. Ce système est complétement dysfonctionnel, mais nous voyons la difficulté d'obtenir un accord sur tout.

Il faut alors renforcer le bilatéral, qui ne nécessite pas l'adoption de changements législatifs forts. Je pense aux taux de protection, mais aussi à la politique des visas, où l'on commence à voir une évolution depuis le début du quinquennat où l'on parlait de politique des visas avec des pincettes tandis qu'il s'agit d'une politique clairement assumée aujourd'hui.

J'assume de dire que pour bien accueillir, il faut aussi bien expulser. La condition sine qua none de l'accueil des personnes que la France a choisi d'accueillir, parce qu'ils sont protégés, parce qu'ils travaillent, parce qu'ils sont là en famille est aussi de s'assurer que les personnes qui reçoivent une obligation de quitter le territoire français (OQTF) soient renvoyées dans leur pays et que nous ne nous retrouvions pas dans une situation où, par exemple, 95% des déboutés de l'asile se maintiennent en France à l'issue de la procédure quand la logique voudrait qu'ils soient renvoyés dans leur pays à l'issue de cette procédure pour que le système soit efficace. Pour avoir un bon accueil, il faut s'assurer que ceux à qui on demande de partir partent réellement.

Sur l'élargissement des visas humanitaires, nous pouvons rappeler que la France a accordé 15 000 visas humanitaires au titre de l'asile depuis 5 ans. L'enjeu principal de ce Pacte est principalement d'éviter de se retrouver dans une situation d'arrivée de bateau sans que l'on sache comment réagir, en créant un mécanisme de répartition.

Il s'agit d'éviter une négociation de marchand de tapis dans laquelle chaque pays s'engagerait à en prendre en charge un certain nombre de migrants. Cela n'est pas possible, nous parlons d'êtres humains, pas d'animaux, mais de gens qui ont quitté leur pays, qui subissent la misère, qui ont pu voir leurs familles décimées. Nous ne pouvons traiter ces personnes comme cela.

Il est absolument nécessaire d'avoir des couloirs humanitaires, mais il faut que nous nous assurions que ceux qui parviennent dans les pays européens soient ceux qui ont le plus de chances d'être protégés pour ne pas se retrouver dans un situations dans laquelle des personnes qui auraient pu détenir un titre de séjour pour un autre motif se retrouvent dans ces couloirs humanitaires.

Je pense que la mise en place de centres aux frontières de l'Europe permettrait de faciliter l'accès au continent européen pour ceux qui ont le plus de chances d'être protégés. Il ne s'agit pas d'aller les chercher sur place, mais de leur permettre d'accéder plus facilement à l'Europe et d'éviter le système des passeurs et les risques qui y sont associés.

S'agissant de la Pologne, je partage l'avis de M. Chassaigne. Il n'est pas possible de se trouver dans une situation dans laquelle nous laissons des personnes mourir de froid, de faim et de soif aux frontières de l'Europe, ce qui est absolument indigne. La création d'un centre d'accueil temporaire à statut spécial avec une forme d'extraterritorialité permettant de pouvoir accueillir ces migrants en leur offrant un espace chaud avec un endroit où dormir avec de quoi manger, où l'on pourrait traiter les demandes d'asile le cas échéant et les répartir dans tous les pays d'Europe pourrait être envisagée. Nous ne pouvons toutefois pas rester passifs face au drame se déroulant à la frontière Biélorusse.

Un lien existe avec la situation à Calais, que je connais bien. M. le président Chassaigne, vous parlez de conditions indignes, mais je ne sais pas ce qui est le plus indigne entre ce qui a lieu aujourd'hui avec les démantèlements toutes les 48 heures de camps et de tentes, ou la création du plus grand bidonville d'Europe tel qu'on l'a connu il y a cinq ans maintenant, qui s'appelait la Jungle et comptait 10 000 personnes, des rixes meurtrières, de la prostitution et qui a été courageusement démantelé par Bernard Cazeneuve après que le Gouvernement précédent a laissé s'installer cette situation de misère. J'estime pour ma part qu'il n'y a rien de pire que la Jungle et que si l'on ne démantèle pas les camps toutes les 48 heures, soit le délai de flagrance, nous risquons de nous retrouver dans une situation dans laquelle la loi ne permet pas de démanteler durant un ou deux mois et un risque de retrouver 500 ou 1 000 personnes dans des camps précaires. Le risque est de voir une microsociété se créer et de multiplier les opportunités pour les passeurs de piocher dans ces camps pour envoyer ces malheureux mourir dans la Manche.

L'accueil a existé et existe aujourd'hui. Un sas d'accueil de 300 places a été ouvert pour permettre aux personnes qui étaient dehors de pouvoir s'abriter la nuit. Mais il y avait un accord impliquant que les personnes viennent la nuit dans le sas et que le lendemain, un bus les emmènent dans un des centres d'accueil et d'examen des situations (CAES) répartis partout en France. Cela a fonctionné la première nuit avec une cinquantaine de personnes à l'ouverture la première nuit, qui sont presque toutes montées dans les bus, mais à la fin, sur les 300 places, 500 personnes se présentaient pour 12 départs seulement le lendemain matin.

La réalité est que les personnes présentes à Calais ne veulent pas être accueillies en France, malgré les maraudes quotidiennes de l'OFI qui leur rappellent de le faire. C'est pour ça que j'ai proposé d'envoyer les migrants de force en CAES, pour pouvoir les retirer des mains des passeurs et de certaines associations. Je ne parle pas des associations françaises, mais bien des associations de no border britanniques qui conseillent aux migrants la traversée de la Manche. Des associations profitent donc de distributions de repas illégales pour dire aux migrants de tenter la traversée, alors qu'il y a une distribution alimentaire quotidienne à Calais par les associations et l'État, dont les quantités sont adaptées chaque jour – aucun migrant ne meurt de faim à Calais. Le volume de repas donnés peut d'ailleurs être ajusté chaque jour : il est donc faux de dire qu'il n'y a pas de distributions de repas. Une personne doit manger dans des lieux adaptés et c'est bien là l'objet des distributions organisées par l'Etat, où il y a par exemple des endroits pour se laver les mains, ce qui est important dans le contexte pandémique. Il ne faut pas que ces lieux se situent à proximité d'une zone économique : il y a, à ma demande et celle de Mme la Maire de Marck, un arrêté d'interdiction qui a été pris par le préfet, car plusieurs personnes sont mortes percutées par un camion et un TER. Mon travail d'élu local, car je suis encore conseiller municipal, ce n'est pas d'enterrer des enfants soudanais de 16 ans au carré des indigents, on a autre chose à faire.

Les possibilités d'accueil existent : 200 places de CAES sont aujourd'hui vides, des milliers sont financées dans le PLF pour 2022 dans les crédits asile et immigration et on a pourtant encore des gens qui disent aux migrants de tenter la traversée. La question est donc bien celle des négociations avec le Royaume-Uni. Je rappelle que j'avais interrogé Clément Beaune, dans cette même commission des affaires européennes, sur l'absence des questions migratoires de l'accord de divorce avec le Royaume-Uni. Sa réponse avait été très claire : la France a refusé de les inclure pour sauver la possibilité d'un accord. Il y a eu des arbitrages : on ne pouvait pas avoir la pêche et la migration. On a préféré sauver la pêche, que l'on arrive pas à sauver aujourd'hui.

Vous entendez souvent que les élus locaux dénoncent les accord du Touquet. Nous le faisons parce que cela oblige les Anglais à venir négocier. Sans cela, la position britannique est de donner 60 millions pour mettre des barbelés chez nous et de critiquer notre action à chaque fois qu'un bateau parvient à passer. On arrive au terme de cette logique, qui est somme toute une logique « pétrole contre nourriture ». Je rappelle ce chiffre de 30 000 demandes d'asile examinées chaque année au Royaume-Uni, avant le covid : en France, ce sont 130 000 demandes parce que, pour déposer une demande au Royaume-Uni, il faut être physiquement présent au sur le sol britannique. Cela exige des demandeurs d'asile qu'ils aillent sur des small boats et prennent des risques pour leur vie pour déposer une demande d'asile.

C'est pour cette raison que je porte une proposition, qui n'est pas partagée par mon co‑rapporteur, qui est que l'on fasse valoir, lors des négociations avec les Britanniques, la possibilité de déposer une demande d'asile le long du chemin migratoire. Cela faciliterait la tâche de tout le monde. Un Afghan qui déposerait une demande d'asile au Royaume-Uni, lorsqu'il se situe en Grèce, en Allemagne, en France, dans les ambassades par exemple, laquelle serait acceptée par le Royaume-Uni, aurait un passage sécurisé vers le pays, loin des passeurs. En cas de refus, les autres pays pourraient alors conseiller de déposer une demande sur leurs territoires respectifs, ce qui constitue d'ailleurs une chance supplémentaire pour la personne. Une fois de plus, les personnes à Calais aujourd'hui, ou sur le littoral Nord, ne déposent pas de demandes d'asile.

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