Intervention de Pierre Larrouturou

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 9h00
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Pierre Larrouturou, économiste et co-initiateur du Pacte « Finance-Climat » :

J'appuie ce que vient de dire Jean Jouzel. Contrairement à ce qui se passait il y a une vingtaine d'années, les énergies renouvelables sont clairement rentables, si bien qu'il ne se passe pas une semaine sans que Total, Engie ou EDF achète une entreprise de renouvelables. Peut-être est-ce lent, peut-être y a-t-il un problème de garanties, mais globalement, c'est en train de se développer. Le cœur du problème, c'est l'efficacité énergétique : l'isolation de tous les bâtiments publics et privés ne serait pas rentable aussi rapidement. Selon les chiffres de l'ADEME, il faut 25 000 euros en moyenne pour réaliser l'isolation d'une maison. Le temps de retour ne sera pas bon. Qui plus est, est-ce au propriétaire de payer, alors que c'est le locataire qui fera des économies ? Nous pensons qu'il faut un système simple, robuste et efficace : des travaux obligatoires et une facture divisée par deux grâce à un système de subventions. C'est pourquoi nous voulons un budget européen. Les États membres et l'Europe demanderaient de réaliser les travaux, en s'assurant qu'il existe des gens compétents pour les faire – l'incertitude sur la compétence représente aussi un frein – ; la moitié de la facture serait réglée par un chèque des États membres et l'autre grâce à un prêt à taux zéro, que les économies réalisées sur les dépenses de chauffage permettraient de rembourser aisément.

Le président de la Fédération française du bâtiment, Jacques Chanut, la Fondation Abbé Pierre, l'ADEME, tous disent que, sans aides, jamais on ne pourra rendre obligatoire la rénovation des bâtiments privés et publics. C'est la même chose pour les transports en commun. Le secteur privé comprend quels domaines sont rentables et s'en empare à toute allure ; mais vous imaginez que les transports en commun dans les zones peu denses… Sur les 1 100 milliards d'euros annuels que la Cour des comptes européenne estime nécessaires pour la transition énergétique, le plus gros poste est celui des transports, qui est, en France comme dans beaucoup de pays, le premier secteur émetteur de CO2­. Les maires ruraux et ceux des petites villes soutiennent notre initiative pour le traité européen sur le climat. Après le début du mouvement des Gilets jaunes, j'ai été invité par les maires ruraux de l'Ain, qui sont vraiment préoccupés par la question du climat, sans quoi ils ne nous auraient pas invités, Jean Jouzel et moi. Ils nous ont dit que tous ceux qui avaient un travail devaient prendre leur voiture tous les matins pour aller à Lyon. Que faire ? Mettre en place des transports en commun ? Ou des systèmes pour travailler à distance, de sorte que, deux jours par semaine, on puisse rester dans son village au lieu de prendre sa voiture ? Ce sont des investissements très lourds, mais très nécessaires, et qui sont peu rentables à court terme.

C'est pourquoi nous pensons qu'il y a besoin de subventions, d'investissements publics, et que seule la question du climat peut débloquer, au niveau européen, la négociation sur le budget. Dans sa dernière interview, Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, qui sera peut-être le prochain patron de la BCE, flingue, comme à chaque fois depuis dix-huit mois, l'idée d'un grand budget avancée par Emmanuel Macron et d'autres. Mais il dit également, à chaque fois, qu'il faut faire les choses dans le bon ordre et remarque que les problèmes nationaux que l'on ne sait pas régler nationalement – la protection de l'environnement et celle des frontières, par exemple – pourraient nécessiter un budget commun adossé à un transfert de compétences et à une fiscalité européenne. De même, Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, « flingue », avec huit autres pays, l'idée d'un grand budget. Mais, comme il ne sait pas comment financer sa transition, il y a un sujet sur lequel il accepterait un budget européen et une fiscalité européenne : c'est bien la question du climat.

Beaucoup de choses bougent, ce qui nous permet de garder espoir. L'objectif de diviser par deux notre consommation d'énergie n'est pas très rentable. Des investissements communs sont nécessaires, puisqu'ils sont impossibles à réaliser par chaque pays, étant donné le niveau de leurs contraintes, des autres dépenses et les critères des 3 %. Une bonne nouvelle : l'Ambassadeur d'Allemagne à Paris m'a confirmé que, dans l'accord de coalition signé par le SPD et la CDU, il y avait bien le projet d'un budget européen plus ambitieux pour mettre en place l'Accord de Paris.

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