Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 6 octobre 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes :

Je vous remercie de m'avoir invité à vous présenter le rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale, le RALFSS. C'est avec grand plaisir que je retrouve votre commission pour cet exercice annuel important.

Le rapport que je vais vous présenter est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il accompagne le PLFSS 2022, déposé cette semaine.

J'ai présenté ce travail à la presse hier car ce rapport est – comme vous le savez – très attendu par nos concitoyens. J'irai tout à l'heure le présenter également devant la commission des affaires sociales du Sénat.

Je profite de cette occasion pour vous faire part, comme je le fais souvent, de mon attachement profond à cette mission d'assistance au Parlement que la Constitution a confiée à la Cour. J'ai eu l'honneur d'être élu dans notre Assemblée à plusieurs reprises et je sais l'importance que revêt le Parlement pour le contrôle démocratique et, plus généralement, pour l'équilibre des pouvoirs dans notre pays.

Cette mission est donc pour moi essentielle, non seulement parce que je conserve une sensibilité d'ancien parlementaire mais, aussi, parce que mon rôle et mon devoir, comme premier président de la Cour aujourd'hui, est de veiller à votre bonne information. J'attache donc à la relation privilégiée qui nous unit une attention toute particulière et sachez que je suis toujours à votre disposition.

Pour cet exercice, je suis accompagné de Denis Morin, le président de la sixième chambre, de Carine Camby, la rapporteure générale de la Cour, de Stéphane Seiller, conseiller maître et rapporteur général de ce rapport, et de Thibault Perrin, son adjoint. Ils pourraient être amenés, si vous l'acceptez, à intervenir pour répondre à vos questions car ce sont eux les auteurs de ce rapport. Je souhaite les remercier chaleureusement pour leur implication, ainsi que la vingtaine d'autres rapporteurs qui ont contribué à ce travail approfondi qui – je le crois – est une mine d'informations précieuses. Vous voyez qu'il s'agit d'un document volumineux mais il n'est pas seulement physiquement volumineux. Il est aussi très substantiel.

Face à la gravité de la situation, nos transferts sociaux – c'est d'ailleurs une caractéristique partagée de notre pays et de ceux de l'Union européenne en général – ont joué et continuent à jouer un rôle essentiel pour amortir les conséquences de cette crise pour nos concitoyens. Ce point est important car il nous rappelle la place qu'occupe la protection sociale dans notre pacte républicain auquel la Cour, elle-même institution de la République, est très attachée.

Toutefois, nous portons le même message depuis l'année dernière et nous le porterons aussi longtemps qu'il sera nécessaire : pour sauvegarder notre système de solidarité et de sécurité sociale, un maillon essentiel de cohésion dans notre pays, nous devons progressivement sortir de la situation exceptionnelle que nous connaissons et reconstruire une trajectoire de retour à l'équilibre des comptes sociaux. À court terme, il est évident que la situation appelait à des mesures exceptionnelles mais, à moyen terme, il ne faut jamais perdre de vue le sort des générations futures.

Pour la deuxième année consécutive, 2021 est un exercice hors norme pour nos comptes sociaux. Les comptes de la sécurité sociale devraient rester en 2021 sur un haut niveau de déséquilibre, à près de 35 milliards d'euros. Le déficit 2021 serait le deuxième plus fort de l'histoire de la sécurité sociale, après 2020.

Une telle situation est tout de même – c'est le rôle de la Cour de le rappeler – problématique. Elle ne peut pas durer. Rappelons que, si la branche maladie ou la branche retraite sont durablement déséquilibrées, cela signifie que les dépenses de soins ou les pensions versées aujourd'hui devront être financées par nos enfants et nos petits-enfants pendant très longtemps. Nous ne sommes pas – et je ne suis pas – obsédés par la dette en tant que telle mais ce sont ses conséquences sur le pacte intergénérationnel qui me préoccupent. Je crois profondément que la dette est ennemie de la solidarité.

Je constate que les conditions du redressement des finances sociales restent à définir, notamment dans les domaines de la retraite et de la santé. Ce rapport n'approfondit pas la question des réformes en matière de retraite. Nous en avons déjà esquissé les perspectives dans notre rapport au Premier ministre. Nous savons que le débat est ouvert et qu'il appellera nécessairement des décisions le moment venu. Nous avons déjà indiqué le sens dans lequel nous pensions qu'il fallait aller. Une réforme du système de retraite est incontournable ; encore faut-il réunir les conditions de sa réussite.

En revanche, nous soulignons la nécessité d'accélérer les réformes dans le domaine de la santé et, plus généralement, dans l'ensemble de la gestion de notre système de sécurité sociale. Il ne s'agit évidemment pas pour la Cour de méconnaître la situation exceptionnelle que le pays a traversée et connaît encore à certains égards, même si les signaux de ces derniers mois sont positifs. À travers ce rapport, la Cour souhaite remettre en perspective l'ampleur des déséquilibres, ouvrir des pistes pour contribuer progressivement à la maîtrise de l'évolution des dépenses d'assurance maladie et inviter à relancer les différents chantiers de modernisation qui ont évidemment, naturellement, été ralentis ou suspendus durant la crise sanitaire. Il faut que ce travail de réforme reprenne, dans des conditions d'ailleurs forcément modifiées par cette crise.

Je commence par rappeler rapidement la situation financière actuelle de la sécurité sociale, au vu des dernières données disponibles communiquées lors de la Commission des comptes de la sécurité sociale, en m'arrêtant en particulier sur les dépenses de l'assurance maladie.

Nous sommes dans un contexte de reprise puissante de l'activité économique. Le Haut Conseil des finances publiques que je préside par ailleurs a dit voici quelques semaines que la prévision de croissance de 6 % du Gouvernement était plausible, voire prudente. Nous pouvons espérer un peu plus ; le consensus des prévisionnistes est plutôt autour de 6,3 % et le chiffre de 4 % prévu pour 2022 nous a également paru réaliste.

Les recettes sont en fort redressement, de 31 milliards d'euros par rapport à 2020. Les dépenses ont, elles aussi, continué à croître fortement en 2021 par rapport à 2020 avec une augmentation de 27 milliards d'euros. C'est la situation de la branche maladie qui est la plus suivie : en 2021, pour 1 000 euros dépensés, 130 euros sont financés par de nouvelles dettes à la charge des générations futures.

Comment l'expliquer ? Cela résulte certes des mesures exceptionnelles, par exemple les tests de dépistage pour le covid et la vaccination, ainsi que d'une croissance plus forte que prévu des dépenses de médicaments. Il faut aussi prendre en compte le poids des mesures de revalorisation sociale et d'investissement décidées lors du Ségur de la santé. Ces mesures pèseront en 2022, représentant près de 40 % des dépenses supplémentaires. Elles alourdiront durablement les charges de l'assurance maladie.

La crise sanitaire a entraîné, ne nous méprenons pas, une perte définitive de recettes sociales. Elle explique, mais seulement en partie, le surcroît de dépenses maladie, remettant ainsi en cause les conditions d'équilibre des comptes de la sécurité sociale.

Reprendre en main l'évolution des dépenses de l'assurance maladie et mettre en œuvre de nouveaux modes de régulation sont des enjeux forts pour l'avenir de la sécurité sociale. Dans le prolongement de multiples travaux antérieurs de la Cour, nous estimons que la régulation mise en œuvre ne s'est pas suffisamment accompagnée d'une réorganisation du système de soins. À l'avenir, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) doit être davantage inscrit dans une trajectoire pluriannuelle, documentée beaucoup plus rigoureusement que par le passé et, surtout, cette trajectoire doit à notre sens être directement liée, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, aux orientations de la stratégie nationale de santé.

Les objectifs de cette stratégie apparaissent totalement justifiés à la Cour, comme elle a déjà eu l'occasion de l'indiquer dans le passé. Il s'agit de favoriser la pertinence et la qualité des prises en charge, notamment par des soins gradués en fonction des besoins des patients, de donner accès à tous à des soins de premier niveau et de faciliter le lien entre médecine de ville et hôpital.

En revanche, nous relevons à nouveau que cette stratégie n'a pas été accompagnée d'un cadrage financier approprié. Il faut mettre en œuvre une vraie stratégie de transformation en profondeur du système de santé, en lien avec la trajectoire de maîtrise des dépenses. Il ne s'agit pas de faire la maîtrise des dépenses pour le plaisir ou pour soi-même ; il ne s'agit pas non plus de transformer le système de santé sans avoir en tête la maîtrise des dépenses. Il faut lier les deux, en utilisant tous les leviers disponibles.

J'en citerai quelques-uns : pour les professionnels libéraux, des incitations renouvelées doivent être trouvées à travers la rémunération sur objectifs de santé publique ; pour les établissements de santé, une logique analogue devrait être poursuivie en s'appuyant sur le dispositif d'incitation financière à l'amélioration de la qualité ; de son côté, la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) devrait accélérer la rénovation de ses outils de gestion du risque ; l'actualisation de la nomenclature des actes de santé, qui conditionne leur niveau de prise en charge, devrait également aller plus vite, sous l'égide du Haut Conseil des nomenclatures ; enfin, dans nos régions, dans nos territoires, des marges de manœuvre et des leviers d'action plus grands doivent être confiés aux agences régionales de santé (ARS) afin de faciliter les réallocations de ressources inégalement réparties aujourd'hui entre offreurs de soins et de tenir davantage compte des réalités et de la diversité de nos territoires.

Il reste que l'effet de ces progrès indispensables dans le domaine de la santé, tout comme l'impact des mesures – attendues – de rétablissement de l'équilibre des comptes de l'assurance vieillesse ne seront que progressifs. Nous savons que, durant les prochaines années, la dette sociale continuera à croître.

L'ampleur des déficits en 2020 et 2021 des branches du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse est telle que le plafond de 92 milliards d'euros de reprise par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) ne paraît pas en mesure de couvrir la totalité du déficit 2022 ni, a fortiori, un déficit 2023 dont nous savons qu'il devrait advenir. Au‑delà, une grande incertitude existe sur l'évolution des soldes de la sécurité sociale et, corrélativement, de la dette sociale.

Voilà pourquoi la Cour dit clairement qu'une grande vigilance doit être de mise. La réforme des modalités de discussion des lois de financement de la sécurité sociale, en cours d'examen par le Parlement, lui permettra et vous permettra – en tout cas je l'espère – de disposer de plus de temps pour débattre de la performance de notre système de sécurité sociale au regard des ressources qui lui sont affectées.

Cette réforme permettrait de distinguer la discussion sur les comptes de l'exercice clos du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'année qui suit. La sécurité sociale participerait alors au Printemps de l'évaluation dont vous avez souhaité à juste titre la mise en place. La Cour, qui y participe également – c'est aussi une mission constitutionnelle –, ne peut qu'y être très favorable.

Toutefois, si cet objectif d'évaluation est indispensable, nous proposons d'aller plus loin pour mieux encadrer l'évolution de nos finances sociales. Le rapport propose ainsi de compléter par quatre leviers le cadre posé par les lois de financement de la sécurité sociale. D'abord l'obligation pour le Gouvernement de déposer une loi rectificative si les prévisions initiales sont bouleversées, comme pour le budget de l'État ; ensuite l'extension du champ des dépenses encadrées par la loi de financement à celles des retraites complémentaires et d'assurance chômage, non dans un but d'étatisation mais pour avoir une vue complète ; également l'explicitation des écarts entre l'exécution et les normes fixées par les lois de programmation des finances publiques et nous appelons de nos vœux, après les échéances électorales du printemps, la mise en place d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques qui soit une ancre crédible pour vos prévisions et notre action ; enfin, la définition impérative d'une trajectoire de retour à l'équilibre pour toute nouvelle reprise de dette sociale portant sur des prévisions de résultats futurs. Cela n'a pas été le cas l'an dernier, le Parlement s'étant vu proposer d'autoriser la reprise par la CADES des déficits prévisionnels sur la période 2020-2023 à hauteur de 92 milliards d'euros, sans visibilité sur les conditions de retour à l'équilibre.

J'en viens maintenant aux problématiques de la sortie de crise dans les domaines des affaires sociales et de la santé. Vous avez évoqué, madame la présidente, ces vues sectorielles et je ferai un focus sur trois exemples que notre rapport illustre.

Le premier concerne le fonctionnement des organismes de sécurité sociale, mis à l'épreuve par la crise sanitaire. Comme l'ensemble de notre système public, ils n'étaient pas préparés à faire face aux conséquences d'une telle crise. Pourtant, comme l'ensemble de notre système public, ils ont été réactifs et ont pu préserver l'essentiel pour nos concitoyens, c'est‑à‑dire éviter toute rupture dans le service des prestations. C'était encore plus nécessaire en période de crise.

Cependant, même s'il faut s'en féliciter, l'objectif plus que louable de continuité a été atteint en partie au prix d'une grande simplification des procédures de gestion, de dérogations et de la levée ou de l'allégement de contrôles. Dans le cadre de ses travaux sur la certification, la Cour a mesuré au printemps dernier l'impact de ces mesures exceptionnelles sur la fiabilité des comptes. Elle a exprimé vingt-deux réserves sur les comptes présentés par les branches du régime général, ce qui est un nombre sensiblement plus élevé que les années précédentes.

Ainsi, la Cour s'est vue dans l'impossibilité de certifier les comptes de l'activité de recouvrement. En effet, la priorité a été donnée à la survie économique des entreprises confrontées pour certaines, dans de nombreux secteurs, à l'arrêt ou à la chute brutale de leur activité ; cela a généré des niveaux de restes à recouvrer jamais observés par le passé. Les arriérés de cotisations ont été multipliés par cinq en un an, ce qui est très considérable. La normalisation des procédures de gestion des prestations et du recouvrement des prélèvements est désormais le principal enjeu des organismes de sécurité sociale.

Le deuxième exemple sur lequel nous mettons le projecteur est celui de la télésanté. Nous avons observé durant la crise une véritable explosion des téléconsultations. Leur nombre est passé de 140 000 en 2019 à 18,4 millions en 2020, soit une multiplication par plus de 100. Elles ont constitué un palliatif évidemment très utile durant les deux confinements. Nous y avons tous, à un moment ou un autre, peut-être recouru. La Cour estime toutefois qu'il est nécessaire de mettre fin à la prise en charge dérogatoire à 100 % qui perdure encore jusqu'au 1er janvier 2022, au détriment de la sécurité sociale et à l'avantage des organismes complémentaires d'assurance maladie.

Plus largement, nous considérons qu'il n'y a pas d'intérêt à favoriser la multiplication des téléconsultations. Elles se substituent surtout au mode de recours traditionnel à la médecine de ville qu'il faut préserver, alors qu'elles présentent un coût supérieur pour l'assurance maladie et qu'elles reposent encore assez largement sur des outils faiblement sécurisés à ce stade. Un bon usage de la télémédecine est possible ; il s'est produit quelque chose sur lequel nous ne reviendrons pas complètement en arrière mais rien ne doit encourager un mauvais usage de la télémédecine.

En revanche, nous considérons que la télémédecine peut contribuer à la transformation du système de santé de façon positive, pour faciliter l'accès aux soins dans des zones faiblement pourvues en médecins ou pour renforcer la coordination des professionnels de santé dans des logiques de parcours de soins.

La troisième illustration porte sur les dépenses de biologie médicale et la régulation de ce secteur. En raison de la crise, les mécanismes de régulation des dépenses de biologie ont de fait été suspendus. En temps ordinaire, il s'agit d'accords prix-volume qui consistent à fixer une norme d'évolution annuelle des dépenses et à diminuer le tarif de certains actes si les volumes sont trop dynamiques. Ce n'est qu'au printemps 2021 qu'ont été pratiquées des baisses de tarifs qui auraient dû être mises en œuvre début 2020 si ces accords avaient fonctionné. Le retard généré est donc tout à fait considérable.

Or, du fait du financement par l'assurance maladie des tests de dépistage de la covid‑19, pris en charge à 100 % sans prescription médicale même si nous savons que la situation changera dans quelques jours, les dépenses de biologie, c'est-à-dire le chiffre d'affaires des laboratoires d'analyses médicales pour parler clairement, ont considérablement augmenté en 2020 et 2021. Elles devraient, cette année, être deux fois supérieures à leur niveau de 2019.

L'analyse faite par la Cour est qu'en France, les tarifs de remboursement des tests RT‑PCR ont été fixés à un niveau plus élevé que dans les pays européens voisins. Ce n'est d'ailleurs pas une critique, c'est un constat mais cela a une implication financière. Si ces tarifs avaient d'emblée été fixés aux niveaux constatés en Allemagne ou en Belgique, une économie de l'ordre de 800 millions d'euros aurait pu être réalisée. À ce titre, la Cour souligne que la régulation administrative de ce secteur doit être améliorée, qu'il s'agisse de la connaissance de l'offre, de la rentabilité des laboratoires privés ou de la prise en charge de l'innovation.

Ainsi, alors que les impacts sur le système hospitalier des vagues épidémiques semblent désormais progressivement maîtrisés grâce à l'effort de vaccination, qui est une réussite, la Cour souligne à travers ces trois exemples qu'il n'est plus justifié de prolonger l'usage des dispositifs dérogatoires utilisés aux moments les plus critiques de la crise sanitaire, précisément en l'absence de la vaccination.

Pour autant, nous ne proposons pas de revenir à la normale et aux routines de gestion. C'est mon troisième et dernier point, celui sur lequel j'avais insisté au début : la sortie de crise doit être l'occasion de relancer ou d'intensifier et de renouveler les réformes dont notre système de sécurité sociale a besoin. Nous illustrons cette nécessité par quatre pistes.

La première piste porte sur les chantiers de réforme du financement des établissements de santé pour les soins de suite et de réadaptation, pour les soins psychiatriques ainsi que des établissements et services médico-sociaux en charge des personnes âgées dépendantes et des personnes en situation de handicap.

La Cour constate que ces chantiers ont pris beaucoup de retard, sans que la crise ait d'ailleurs joué un rôle déterminant dans ces ralentissements. Le chantier de réforme du financement des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) a été engagé voici plus de dix ans, celui du financement des soins psychiatriques et des soins de suite et de réadaptation voici plus de vingt ans. Cela ne date pas d'hier. Ces réformes doivent pourtant être menées à bien, au risque sinon de ne pas répondre aux besoins qu'a la population de soins aux personnes mieux coordonnés entre professionnels de santé.

L'objectif est de favoriser la gradation des soins en fonction des besoins individuels, de favoriser des soins plus inclusifs notamment pour les personnes âgées ou en situation de handicap. Nous savons combien le sujet de leur traitement a été critique et délicat durant la crise. Il faut aussi faciliter le maintien au domicile ou l'accès à l'emploi et au travail.

C'est urgent, parce que la France perd du terrain sur ce terrain par rapport au reste de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : nos dépenses de soins de longue durée en établissement augmentent de 2,6 % alors qu'elles baissent en moyenne de 4,6 % dans les pays de l'OCDE, où la prise en charge à domicile se développe. C'est donc une piste vraiment à suivre à tous égards, d'abord pour les personnes concernées mais aussi pour des raisons financières.

Une deuxième illustration concerne la dématérialisation des prescriptions médicales. Dématérialiser les prescriptions, c'est progresser sur la sécurité et la pertinence des soins, sur la réduction des coûts de gestion et sur la prévention des fraudes en supprimant les fausses prescriptions. Or, la France est en retard par rapport à de nombreux pays, notamment par rapport à l'Italie, à la Belgique et au Royaume-Uni. Dans notre pays, l'essentiel des prescriptions de médicaments ne sont pas dématérialisées aujourd'hui. Des textes ont été adoptés avec l'objectif ambitieux de parvenir à la dématérialisation complète des prescriptions de médicaments en 2024. Toutefois, notons par exemple que les arrêts de travail prescrits par un praticien hospitalier ne sont pas soumis à l'obligation de dématérialisation ou que les systèmes d'information hospitaliers ne sont pas non plus raccordés aux téléservices de prescriptions gérés par l'assurance maladie. Le mot « ambition » est donc à double tranchant ; l'objectif est ambitieux positivement mais il faut sérieusement accélérer pour l'atteindre.

Un troisième exemple se fonde sur une enquête sur la gestion des accidents du travail et des maladies professionnelles. Il y aurait beaucoup à en dire, notamment sur la reconnaissance qui est faite en France des troubles musculo‑squelettiques, les fameux TMS, qui représentent plus de 80 % des maladies professionnelles reconnues dans notre pays. En raison du principe de présomption de reconnaissance, ces dernières sont d'ailleurs trois fois plus nombreuses en France qu'en Allemagne.

J'insisterai surtout sur un aspect, qui concerne la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) et également la branche maladie. C'est la dynamique des arrêts de travail. En pratique, la progression des dépenses d'arrêt de travail nécessite d'agir sur les causes des arrêts longs en favorisant et en accompagnant le retour au travail. En effet, le salarié qui voit son arrêt de travail se prolonger court le risque, progressivement, d'éprouver de grandes difficultés à retrouver son emploi, voire un autre. Il est prioritaire d'engager à grande échelle des programmes d'action coordonnés pour détecter précocement les personnes en risque de désinsertion et pour les accompagner vers la reprise de travail grâce à des adaptations de poste le cas échéant, à l'aménagement des espaces de travail et à des formations voire à des reconversions professionnelles.

Enfin, je prends deux derniers exemples, choisis parmi les nombreux dispositifs de protection sociale existants. Il s'agit de l'allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA), communément appelée minimum vieillesse, qui représente 3,9 milliards d'euros en 2020 et de l'allocation de rentrée scolaire, soit 2,6 milliards d'euros en 2020 en raison d'une revalorisation exceptionnelle.

L'ASPA est une allocation efficace puisque le taux de pauvreté des personnes de plus de 65 ans est au plus bas comparé aux autres grands pays européens. C'est une force de notre système de protection sociale. Notre analyse nous porte à penser que la priorité pour l'ASPA serait de simplifier les règles d'attribution, très complexes, pour réduire les causes d'erreurs et de fraudes mais également de faciliter l'information du public sur cette allocation, caractérisée par un non-recours encore élevé, c'est-à-dire par une proportion importante de personnes qui ne font pas valoir leurs droits.

Pour sa part, l'allocation de rentrée scolaire est la deuxième prestation familiale en nombre de bénéficiaires. Alors que, comme chaque année, la question de sa transformation en bons d'achat a alimenté l'actualité, il nous semble que son bénéfice pourrait être recentré sur les familles aux revenus les moins élevés. Elle devrait surtout être modulée pour mieux tenir compte des coûts de scolarité qui augmentent avec l'âge des enfants. Cet ajustement pourrait être gagé par la suppression de la réduction d'impôts pour frais de scolarité, qui profite aux seuls ménages imposables.

Madame la présidente, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, j'en ai terminé avec la présentation de notre rapport. Pour conclure, je voudrais à nouveau insister sur le message principal : au moment où la crise sanitaire semble en voie d'être maîtrisée, où l'économie repart avec une exceptionnelle vigueur, il est impératif de remettre rapidement la sécurité sociale sur un chemin d'équilibre financier durable et de maîtriser la dette sociale.

La crise a illustré la résilience extraordinaire de nos systèmes publics de solidarité. Elle a aussi ouvert des perspectives nouvelles, par exemple en matière de numérique. Les acteurs du système de santé ont montré une très grande capacité d'adaptation. Tous ces éléments réunis nous rendent très confiants devant la nécessaire transformation de notre système de sécurité sociale.

Par ailleurs, plus ces réformes seront différées, plus elles seront difficiles. Si elles ne sont pas engagées fermement et rapidement, il est alors à craindre que le seul moyen qui restera disponible un jour pour réduire les déficits sera non plus de gagner en efficience mais de réduire les droits. Ce n'est absolument pas la philosophie de la Cour des comptes. Nous ne proposons pas l'austérité ou la réduction des droits mais une réforme pour plus d'efficience et plus de justice. Ce n'est pas un rapport d'austérité ou de dureté ; c'est un rapport de transformation.

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