Intervention de Thierry DEBUISSCHERT

Réunion du jeudi 21 octobre 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Thierry DEBUISSCHERT, Chef de la section physique quantique appliquée chez Thales Research & Technology :

. ‑ Je vous remercie de me permettre de présenter les travaux de Thales sur les capteurs quantiques, notamment sur les capteurs quantiques à base de centres NV du diamant.

Je suis chercheur chez Thales Research & Technology à Palaiseau. J'ai réalisé ma thèse sur la réduction des fluctuations quantiques de la lumière, puis j'ai travaillé sur les communications quantiques et je m'occupe actuellement des capteurs quantiques dans la même entreprise.

La première révolution quantique a montré que l'énergie était quantifiée et qu'elle se décrivait par des états discrets (état 0 ou état 1 par exemple). La microélectronique est basée sur cette avancée scientifique. Depuis une dizaine d'années, nous sommes capables de fabriquer des objets quantiques uniques ; par exemple, une source de photons uniques a été développée au Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies (C2N), et un qubit supraconducteur a été développé au CEA. Ces objets mésoscopiques ont des propriétés quantiques au même titre qu'un atome. Une fois maîtrisé ce niveau de conception et de fabrication, nous sommes en capacité d'exploiter pleinement une propriété spécifiquement quantique, à savoir la superposition d'états : le système peut être simultanément dans l'état 0 et dans l'état 1. C'est cette propriété qui est exploitée par les capteurs quantiques, dans des systèmes à 1 qubit. Ces systèmes sont placés dans une superposition des états 0 et 1 puis, une fois couplés à un système extérieur qui matérialise la grandeur à mesurer, on regarde comment celui-ci les modifie. La modification de la superposition permet de remonter à la grandeur physique mesurée.

Les capteurs quantiques sont nombreux et il existe différentes plateformes. Thales développe par exemple :

Un cristal de diamant est naturellement plein d'impuretés, qui lui donnent sa couleur. Une impureté commune est l'inclusion d'azote dans l'arrangement d'atomes de carbone qui constitue le cristal de diamant. Un atome d'azote (N) remplace un atome de carbone (C) et crée aussi une lacune (V) dans le cristal. Ce centre NV (azote couplé à la lacune) se comporte comme un atome artificiel et est la base du « capteur du centre NV du diamant ». Il se comporte comme un aimant de la taille d'un atome que l'on peut insérer dans un diamant de synthèse – on sait aujourd'hui fabriquer des diamants de synthèse de très grande pureté et de très grande qualité cristalline, qui permettent d'explorer les propriétés des impuretés, voire d'une impureté unique, et c'est ce qui nous donne accès à cette physique. Les centres NV ont des propriétés remarquables : de taille atomique, ils permettent d'obtenir des capteurs ayant une résolution spatiale nanométrique, essentielle pour la nanoélectronique ou le nanomagnétisme par exemple ; ils sont à l'état solide, ce qui facilite leur manipulation et leur mise en œuvre ; ils fonctionnent à température ambiante, ce qui est très important pour les applications pratiques telles que celles que recherche Thales ; ils peuvent être manipulés optiquement, par exemple ils peuvent être pompés par un laser vert et on mesurera la luminescence induite qui sera faite de lumière rouge.

De nombreuses applications sont envisagées pour ces capteurs de centre NV :

Ces applications sont en cours de développement et ont de bonnes perspectives. Ces technologies sont développées dans un contexte fortement collaboratif. Je suis le coordinateur du projet européen Asteriqs du Flagship, qui réunit 23 partenaires européens, avec une forte participation française, allemande et suisse. Toutes les applications possibles des centres NV du diamant sont incluses dans ce projet. Thales est aussi impliqué dans d'autres projets européens qui développent d'autres technologies de capteurs.

La France possède des acteurs majeurs dans le domaine, qui permettent de couvrir toute la chaîne de valeur de ces capteurs : des laboratoires universitaires comme le Laboratoire des sciences des procédés et des matériaux (LSPM) et l'Institut de Recherche de Chimie Paris (IRCP) qui sont spécialistes de la croissance du diamant synthétique et peuvent faire des diamants de très haute qualité ; les laboratoires du CNRS et de l'ENS Paris Saclay qui développent des applications innovantes des centres NV, par exemple leur inclusion dans les enclumes en diamant qui sont utilisées pour les recherches sur des matériaux soumis à de hautes pressions pour lesquelles il n'existe pas d'autres moyens de mesure ; Thales, qui développe des dispositifs tels que des analyseurs de spectre utilisant les centres NV du diamant.

Le marché des capteurs quantiques sera en progression régulière au fil des ans et couvre tous les domaines d'activité : médical, communication, navigation, etc. Cette progression sera de l'ordre de 1 milliard de dollars sur les 10 prochaines années. Ce montant ne concerne pas uniquement les capteurs mais aussi tout l'équipement environnant ; par exemple, si des capteurs de champ magnétique miniature sont mis au point, cela s'accompagnera d'une diminution de la taille des équipements médicaux. L'essor des capteurs quantiques aura donc un impact considérable sur de nombreux domaines d'activité. Il est essentiel de développer ces capteurs extrêmement performants et miniaturisés.

Parmi les perspectives spécifiques aux capteurs à centre NV, je vais d'abord mentionner l'intégration : ce dispositif tient dans quelques millimètres cubes et tous les éléments nécessaires à son contrôle pourraient être positionnés sur le même substrat électronique. Il y aussi la technique PDMR (Photoelectric Detection of Magnetic Resonance) : plutôt que d'utiliser un signal optique pour détecter l'état de spin électronique du centre NV, on pourra utiliser un signal électrique, ce qui permettra d'aller plus loin dans la miniaturisation des dispositifs. Enfin, les centres NV peuvent aussi être utilisés dans le domaine des communications et des calculs quantiques, car ils peuvent être une source de photons uniques, on peut les intriquer à distance, et on peut aussi les coupler à des mémoires quantiques constituées du spin nucléaire du carbone 13 dans la maille du diamant.

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