Intervention de Olivier Gupta

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 8h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Olivier Gupta, directeur général de l'Autorité de sûreté nucléaire :

Au printemps dernier, vous nous aviez interrogés sur l'activité de l'ASN dans le contexte de la crise sanitaire. Je commencerai donc par vous rendre compte de l'exécution de nos missions en 2020 et des premiers enseignements que nous tirons de la situation actuelle.

À l'heure où il est beaucoup question d'Europe en matière de vaccins, je vous parlerai aussi d'un sujet qui me tient personnellement à cœur : l'harmonisation de la sûreté nucléaire à l'échelle européenne.

La crise sanitaire a débuté il y a maintenant plus d'un an et je vous confirme que nous avons réussi à faire ce que nous devions faire, malgré les périodes de confinement. En particulier, nous avons réalisé les contrôles que nous estimions nécessaires, compte tenu de la situation, dans les installations nucléaires et dans les hôpitaux. Cela représente 1 573 inspections pendant l'année 2020.

Si nous avons pu assurer nos missions correctement, c'est bien sûr grâce à l'engagement de l'ensemble des personnels de l'ASN. Permettez-moi de les saluer ici. C'est aussi grâce aux moyens que nous avons obtenus avec votre soutien et celui du Gouvernement. Je pense aux moyens financiers, en particulier à des dépenses qui avaient pu être considérées comme superflues avant la crise et qui se sont avérées essentielles.

Je vous donne un exemple. À la fin de l'année 2019, nous avons investi une somme relativement modeste, qui nous a permis de raccorder les postes informatiques de nos divisions territoriales directement au réseau informatique du siège. Sans le meilleur débit de données qu'a permis ce raccordement, la moitié des personnels de l'ASN n'aurait pas pu travailler à distance pendant les confinements.

Je pense aussi aux renforts obtenus en matière d'effectifs ces dernières années, qui nous ont permis de disposer à temps de personnels formés et compétents pour préparer, dans le calendrier prévu, notre prise de position générique sur la poursuite d'exploitation des réacteurs de 900 mégawatts, et – cela est moins connu – pour rendre, par exemple, la réglementation du nucléaire de proximité mieux proportionnée aux enjeux de la radioprotection.

Un aspect immatériel nous a également été très précieux pendant cette crise et nous nous attachons à le préserver : il s'agit de la culture commune aux personnels de l'ASN, de l'attachement à nos valeurs et à notre mission, de notre capacité à faire émerger collectivement des décisions. Tout ceci nous a permis, je crois, de travailler ensemble sans être ensemble.

Quelles premières leçons pouvons-nous tirer de cette situation quant à nos modalités de contrôle ? La toute première est assurément l'importance d'un contrôle responsabilisant. Nous avons salué la capacité d'adaptation des acteurs du nucléaire industriel ou médical face à la crise. Notre contrôle doit absolument préserver cette capacité d'adaptation.

C'est le cas aujourd'hui, je pense, mais nous devons y veiller, car la pente naturelle est inverse. Un incident appelle une règle de plus pour qu'il ne se reproduise pas. C'est notre tentation naturelle et c'est aussi ce vers quoi les parties prenantes nous poussent. Or, la sûreté n'est pas qu'un ensemble de règles. C'est aussi l'intelligence des situations et la capacité d'adaptation des différents acteurs en temps réel, pour peu qu'ils aient suffisamment de marges de manœuvre.

Un contrôle responsabilisant va de pair avec un dialogue technique franc et approfondi entre l'ASN et les différents exploitants ; chacun dans son rôle, naturellement. Tout au long de l'année 2020, nous avons eu un dialogue de bonne qualité avec tous les grands exploitants, y compris avec EDF. Je le souligne, car ceci n'a pas toujours été le cas par le passé. Ceci s'est avéré très précieux, en particulier pendant la crise sanitaire.

Au-delà de la crise sanitaire, le contexte actuel révèle l'importance de la prise en compte des questions économiques et industrielles dans le ciblage de nos actions de contrôle, dans un souci d'anticipation. C'est ce que nous faisons. Je vous en donne un exemple. Bernard Doroszczuk évoquait les tensions sur les capacités industrielles de l'ensemble des entreprises sous-traitantes, dans certains secteurs en particulier. Sur ce point, nous avons programmé, dès cette année, plusieurs inspections chez des fournisseurs en situation de monopole vis-à-vis d'EDF. Ce sont les premiers enseignements que nous tirons de cette période.

J'en viens maintenant au second point de mon propos. Vous serez peut-être surpris que je vous parle d'international, alors que les déplacements à l'étranger sont très fortement restreints depuis un an et demi. Nous notons cependant des avancées, en particulier à l'échelle européenne, dans le cadre de l'Association des responsables d'autorités de sûreté nucléaire d'Europe de l'Ouest, dont l'acronyme anglais est WENRA. Cette association a été créée il y a une vingtaine d'années pour bâtir une approche commune de la sûreté nucléaire en Europe. L'ASN y a toujours joué un rôle moteur. J'en ai été élu président fin 2019. Cette année, nous avons avancé sur plusieurs points.

WENRA avait publié, en 2010, des objectifs de sûreté pour les nouveaux réacteurs. Ces objectifs étaient très largement inspirés de ceux fixés par l'ASN pour le réacteur EPR. WENRA s'était engagée à les réexaminer au bout de dix ans pour tenir compte, si nécessaire, du progrès des connaissances. Ce réexamen vient de se conclure.

À l'issue de notre dernière réunion plénière, nous avons adopté la position suivante, qui vient tout juste d'être publiée : d'une part, les objectifs de sûreté définis en 2010 sont toujours valides, donc applicables aux futurs réacteurs nucléaires ; d'autre part, tels qu'ils sont formulés, ils sont aussi applicables aux petits réacteurs modulaires ( small modular reactors – SMR), qui connaissent un regain d'attention en France et à l'étranger. Cependant, pour les SMR, ces objectifs ne sont qu'un minimum à atteindre. En effet, au regard du potentiel de ce genre de technologie, des exigences de sûreté plus importantes pourraient être attendues.

Nous comptons poursuivre nos travaux sur cette base et définir des exigences communes à l'échelle européenne sur ces petits réacteurs modulaires.

Au-delà de ces objectifs généraux de sûreté, WENRA développe, depuis une vingtaine d'années, des normes harmonisées à l'échelle européenne, que nous appelons « niveaux de référence de sûreté ». Nous les élaborons en commun, puis nous en vérifions ensemble la transcription – j'utilise ce terme à dessein – dans nos réglementations nationales, même s'il n'y a pas d'obligation juridique : tout repose sur l'engagement volontaire de chacun d'entre nous. Je dirai presque que c'est justement en raison de cette absence d'obligation juridique que cette démarche fonctionne, que nous parvenons à des consensus et que nous arrivons ensuite à les transcrire – je reprends ce terme – dans les réglementations nationales.

De tels niveaux de référence existent pour les centrales nucléaires. Nous en avons publié une mise à jour, à la fin de l'année 2020, tenant compte de l'état de l'art en matière de sûreté nucléaire. Nous en avons aussi développé en matière de démantèlement et de gestion des déchets. En 2021, nous avons publié un nouvel ensemble de niveaux de référence pour les réacteurs de recherche.

WENRA a suscité un intérêt au-delà de l'Europe. Depuis quelques années, des pays non européens comme la Russie, le Canada et le Japon participent à nos réunions, ce qui est certainement une forme de reconnaissance de nos travaux. Depuis une vingtaine d'années, il s'est construit, pas à pas, une doctrine de sûreté, des règles de sûreté harmonisées à l'échelle européenne. La Commission européenne n'en est pas le porteur principal, ce sont les autorités de sûreté nationales elles-mêmes, ce qui est tout à fait singulier. Ce point me paraît essentiel pour préparer l'avenir.

Au fond, ce travail montre que les autorités de sûreté des différents pays de l'Union sont capables d'harmoniser leurs exigences sans abandonner leurs responsabilités nationales. Si jamais il devait y avoir une intégration plus forte, par ce travail au sein de WENRA, l'ASN aura pu réellement exercer une influence sur les pratiques et les normes à l'échelle européenne.

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