Intervention de Didier Baichère

Réunion du jeudi 15 avril 2021 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Baichère, député, vice-président de l'Office :

. – Je souhaitais vous présenter cette proposition de loi avant son dépôt demain car elle mentionne l'Office à plusieurs reprises, et nous avions eu l'occasion de faire des points réguliers à ce sujet.

Étant donné la sensibilité de ce débat, je tiens à préciser que l'objectif de cette proposition de loi n'est pas de légiférer sur la reconnaissance faciale, mais de créer une expérimentation. L'article 37-1 de la Constitution prévoit que celle-ci peut durer trois ans et avoir lieu dans deux régions, paramètres qui doivent être établis très précisément. Je propose de travailler dans les régions Ile-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Comme vient de le dire Gérard Longuet, il convient de privilégier, sur le sujet de la reconnaissance faciale, l'analyse scientifique sur les réactions épidermiques. D'ailleurs, le texte suggère que la reconnaissance faciale n'existe pas vraiment en tant que telle. On devrait plutôt parler des reconnaissances faciales, puisque la sensibilité des algorithmes n'est pas nécessairement la même en fonction des applications.

Ce texte court, qui comprend quatre articles, traite de trois axes. Le premier axe concerne la création d'un comité de la société civile et de chercheurs experts en la matière, pour pouvoir analyser l'état de l'art et faire des propositions. Le deuxième axe vise à définir une méthodologie et des critères d'évaluation pour cette expérimentation, avec différents cas d'usage. Le troisième axe, qui ressort du travail que j'avais effectué sur la note scientifique consacrée à ce sujet (note n° 14), poursuivi avec un certain nombre de collègues et le World Economic Forum, porte sur la nécessité, quand survient une modification sociétale importante – dans le cas de la reconnaissance faciale, les implications sociétales sont importantes – d'organiser une consultation citoyenne, en même temps que l'expérimentation. Il s'agit d'une consultation citoyenne sous forme d'états généraux, que nous connaissons bien à l'OPECST, puisque ce format est utilisé dans le cadre de la révision des lois de bioéthique. On a pu mesurer, en tout cas pour la révision de 2018, à quel point cette formule produit énormément de richesses et de calme dans les analyses. Et Dieu sait que pour la bioéthique nous avons besoin de calme et de prise de distance. La consultation sous forme d'états généraux a permis d'avancer.

Sur les quatre articles, le premier vise à définir la composition du comité citoyen, regroupant à la fois société civile et chercheurs, et son mode de fonctionnement. Sur des sujets de société, il semble intéressant de ne pas se limiter aux scientifiques experts du sujet, en associant des représentants de la société civile : des associations travaillant sur la défense des données personnelles, des familles, des droits humains, etc. Certains éléments devront être précisés par la suite.

L'article premier définit aussi le rôle du comité, comment il procédera à l'analyse scientifique de la façon dont cette expérimentation sera mise en place et déclinée. Le comité aura un lien permanent avec l'OPECST, puisqu'il lui rendra compte de son travail, en fournissant un rapport d'analyse des travaux menés, sur une base semestrielle et douze mois avant la fin de l'expérimentation.

Un deuxième article définit les cas d'usage. Quatre cas d'usage ont été identifiés, sachant que le texte permet évidemment d'en ajouter, si le comité scientifique le décide. Le premier cas d'usage porte sur la gestion de flux, une application bien connue, destinée à remplacer la billetterie, les billets d'avion, l'accès à des bâtiments accueillant de grands événements sportifs, culturels, etc.

Un deuxième cas d'usage est celui de la sûreté et de la sécurité. Souvent, on fait un raccourci rapide entre reconnaissance faciale et sécurité. Au travers de ce texte, j'ai voulu montrer qu'il existait d'autres applications extrêmement intéressantes. Dans le domaine de la sécurité, à côté d'applications bien connues, par exemple Paraphe, il en existe d'autres, comme la sécurisation d'événements ou d'espaces publics. Ces usages souhaités par la police nécessitent d'être sérieusement analysés.

Un troisième cas d'usage concerne toutes les applications pour le marketing et le service aux clients. Ces applications sont habituellement classées en deux grandes catégories : les achats personnalisés et la reconnaissance d'émotions. Pour les achats personnalisés, je prends toujours les deux exemples suivants : un menu copieux proposé à un monsieur corpulent ou une crème antirides à un vieux monsieur. Une recommandation pourrait être faite dans un magasin ou un lieu de restauration en fonction de la morphologie. La reconnaissance d'émotions concerne les mesures sur les réactions face à un produit dans la grande distribution, sachant que les expérimentations menées à ce jour ne sont pas toujours très transparentes et nécessitent probablement d'être un peu régulées.

Le quatrième cas d'usage, non identifié initialement, est apparu intéressant plus tardivement : les applications touchant à la santé et au social. Pour la santé, ce sont les applications destinées à éviter les erreurs médicales, pour le social celles permettant de retrouver dans une ville, par exemple un enfant perdu ou une personne souffrant d'Alzheimer, qui pourrait de manière volontaire s'inscrire à un service pour être retrouvée plus facilement si elle est perdue.

L'article deux traite également de notre capacité à développer un référentiel d'audit des algorithmes de reconnaissance faciale, un élément très important, pointé par Cédric Villani dans son rapport sur l'intelligence artificielle. Dans le cadre du World Economic Forum, nous avons commencé à travailler avec l'Association française de normalisation (AFNOR) qui s'est rendu compte qu'en tant que spécialiste de l'audit industriel elle ne s'était peut-être pas suffisamment posé la question de l'audit des algorithmes. Elle a donc commencé à s'y préparer pour la reconnaissance faciale, et plus généralement pour l'intelligence artificielle.

Le troisième article, centré sur la consultation citoyenne, est calqué sur les états généraux de la bioéthique, avec à la fois une consultation en ligne, des réunions physiques et des Français tirés au sort qui remettront un rapport de recommandations. L'idée est d'organiser un débat sur ce qu'est scientifiquement la reconnaissance faciale, comment elle fonctionne, quelles en sont les limites, sur sa perception par les Français, et sur les bornes qu'ils souhaiteraient éventuellement fixer.

Les articles quatre et cinq visent à bien circonscrire le traitement des données dans le cadre de l'expérimentation. En effet, les données ne seraient traitées que dans le cadre de cette dernière et ne seraient plus disponibles après. Un dernier volet porte sur le financement du fond dédié à cette expérimentation, imputé comme à l'habitude sur les droits sur le tabac et l'alcool, pour s'assurer de la recevabilité du texte.

Une question que vous vous poserez probablement concerne l'agenda envisageable pour ce texte de loi. Vous connaissez comme moi le calendrier parlementaire. La probabilité que ce texte soit examiné rapidement est assez faible. Néanmoins, il est parfaitement connu du ministère de l'Intérieur et du secrétariat d'État au Numérique. Par ailleurs, un travail a été engagé il y a quelques semaines avec le whip et la présidente de la commission des Lois, respectivement Alain Pacôme Rupin et Yaël Braun-Pivet, pour présenter la démarche et expliquer qu'il ne s'agit pas d'une législation sur la reconnaissance faciale, mais qu'au contraire le texte vise à prendre le temps d'expérimenter, pour éviter un emballement face aux mots « reconnaissance faciale » qui figurent dans le titre du texte.

L'accueil a été plutôt intéressé, sur la démarche en tout cas. Nous verrons d'ici la fin de la législature, si ce texte peut trouver une petite place. En tout cas, il m'a semblé intéressant de traduire le travail réalisé au sein de l'OPECST sous forme d'une proposition de loi. Nous verrons s'il existe effectivement une possibilité d'en débattre de manière apaisée.

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