Intervention de Marine Le Pen

Séance en hémicycle du lundi 11 décembre 2017 à 16h00
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarine Le Pen :

Mes chers collègues, l'ordonnance que le Gouvernement nous demande de ratifier aujourd'hui est une sorte de mise à jour de notre code civil. Or toucher au monument qu'est le code civil est presque comme toucher à la Constitution : ce doit être fait « d'une main tremblante », pour reprendre les mots de Montesquieu. Mais à la lecture de cette ordonnance, on constate que la main des rédacteurs n'a malheureusement pas tremblé… Pas étonnant lorsque l'on sait que cette réforme a été portée par Mme Taubira, cette dernière n'ayant pas eu pour habitude de trembler pour s'attaquer aux fondements de notre société.

Comme j'ai la profonde conviction que le droit est un marqueur de civilisation, je considère que certains changements apportés par cette ordonnance sont une véritable attaque contre notre héritage, contre notre vision de la société, bref contre la France. Héritier des droits grec et romain, patiné de chrétienté, fruit de l'histoire de France mais aussi ambassadeur de son rayonnement, le code civil est l'un des emblèmes de notre pays. Au même titre que La Marseillaise, au même titre que le drapeau tricolore, il a fait le tour du monde et a même servi de base à de nombreux autres pays pour bâtir leur propre droit.

Loin de moi de dire que ce texte écrit en 1804 ne méritait pas un toilettage – d'ailleurs, la majorité des articles de l'ordonnance sont en effet une mise à jour. Mais le problème essentiel est que les rédacteurs de l'ordonnance – autrement dit les services de la chancellerie, ce qui pose un problème majeur – en ont profité pour introduire des changements majeurs dans notre droit. Ces changements majeurs introduits par le vecteur d'une ordonnance et non pas rédigés par le Parlement posent clairement le problème essentiel de la place du pouvoir législatif dans cette réforme. Je trouve qu'on est ici face à un cas de dévoiement dans l'utilisation de cet outil constitutionnel. Rappelez-vous que le Sénat et la commission des lois de l'Assemblée avaient même refusé de voter la demande d'habilitation !

Sur le fond, ces changements marquent clairement une anglo-saxonisation de notre droit. Nous savons tous ici que notre société est déjà dans bien des domaines assaillie, voire dénaturée par ce phénomène, mais jusqu'ici le droit restait l'un des secteurs dans lequel nous résistions encore, encore et toujours… Or soumettre notre droit aux règles anglo-saxonnes, c'est remettre en cause notre vision de l'homme et des relations qui régissent les hommes entre eux.

La place donnée au juge est en ce sens particulièrement éloquente : c'est le juge, et non plus le peuple via ses représentants, qui va devenir petit à petit le créateur de la norme juridique. On bascule, doucement mais sûrement, vers l'application en France de la common law, ce qui est un « changement majeur de civilisation », comme aurait pu dire Mme Taubira. Soyons très clairs : nous n'en voulons pas ! Cette ordonnance marque une avancée supplémentaire vers la contractualisation généralisée, étape voulue par ces puissances financières mondialisées en vue de nous imposer leur modèle de société. Plus de contrôle moral, plus de contrôle social… Bref, avec cette réforme, vous participez au mouvement qui veut que toutes les relations humaines peuvent, et bientôt devront faire l'objet de contrats !

Notre modèle de droit est d'une stabilité reconnue dans le monde entier. Or, paradoxalement, cette réforme va créer de l'instabilité juridique et affaiblir en réalité notre État de droit, et donc, n'en déplaise à ceux qui n'ont que ce mot à la bouche, la compétitivité et surtout l'attractivité de notre économie.

Mais elle sera également dangereuse pour les salariés. Je pense notamment à l'introduction de la notion de bonne foi, non plus seulement lors de la négociation et de l'exécution, mais même dorénavant lors de la formation du contrat de travail. Il faut que vous sachiez que certains syndicats patronaux se frottent déjà les mains en réfléchissant à l'utilisation qu'ils pourraient faire de cet ajout pour remettre en cause massivement des contrats de travail : un CV légèrement majoré, des études un peu enjolivées seront demain la base d'un contentieux généralisé que les rédacteurs n'ont probablement pas anticipé. Ou peut-être que si…

Et je n'évoque pas ici la disparition de la cause et de l'objet au bénéfice d'un fumeux « contenu » que personne n'a réussi à définir précisément. Là encore, l'instabilité juridique et la subjectivité vont devenir la règle, et le plus faible, que le nouveau code civil dit vouloir défendre – alors que toute une série d'autres codes le font déjà, le code de la consommation par exemple – en sera bien entendu la première victime.

Changer pour changer, pour faire « moderne », pour répondre aux lobbies, pour obéir à l'Union européenne, pour laisser son nom dans l'histoire, pour complaire à une idéologie… On se perd en conjectures sur les raisons pitoyables qui sont à l'origine de ce mauvais coup porté à notre droit, à notre pays, à notre peuple.

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