Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 11 décembre 2017 à 16h00
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chers collègues, il faut le dire, cette réforme du droit des contrats était attendue depuis longtemps. Elle était attendue en premier lieu par les professionnels, par la doctrine, et en second lieu, bien entendu, par les étudiants. En effet, l'ordonnancement incohérent des textes dans le code civil et le développement d'une jurisprudence foisonnante avaient rendu cette matière inutilement complexe.

L'enjeu politique de la réforme du droit des contrats réside dans l'équilibre à retenir entre l'impératif de justice dans le contrat qui implique une plus grande intervention du juge, ce en quoi nous croyons, et l'autonomie contractuelle qui justifierait le maintien de situations injustes au nom de la sécurité juridique. Nous déplorons que la réforme d'une matière aussi importante ait été opérée par ordonnance et n'ait pas été soumise avant aujourd'hui, après son entrée en vigueur, au débat devant la représentation nationale.

Cette ordonnance a toutefois le mérite de clarifier l'état du droit existant par une recodification plus cohérente et une codification de jurisprudences installées. Par exemple, le devoir de bonne foi de la négociation à l'exécution du contrat est désormais reconnu dans la loi. L'obligation générale d'informations à fournir préalablement à la constitution du contrat figure elle aussi dorénavant dans la loi. Nous pensons qu'il s'agit d'une bonne chose. Par ailleurs, l'ordonnance introduit des nouveautés qui ont pour effet de renforcer le rôle du juge, ce dont nous nous félicitons.

En effet, dans sa rédaction initiale, l'ordonnance rompt avec une jurisprudence établie depuis 140 ans sur la révision judiciaire du contrat pour imprévision. Ainsi, lorsqu'un changement de circonstances rend l'exécution du contrat trop onéreuse pour l'une des parties, le juge peut réviser le contrat. De la même manière, le droit commun consacre la catégorie des contrats d'adhésion et les assortit d'une protection de la partie faible au contrat.

Mais ce texte, dans sa forme actuelle, comporte aussi des reculs ou des prises de risque auxquels nous nous opposons. Le Sénat, lors de son examen en première lecture, a réalisé une véritable offensive libérale – au sens du droit, selon lequel les gens sont libres d'établir des contrats, le rapport social ne doit pas être pris en compte et le juge ne doit pas intervenir sur le fond du contrat lorsqu'il statue sur son respect, ce qui n'est pas notre conception – sur l'imprévision, notamment sur les actions interrogatoires.

Le Sénat a fait le choix politique de réduire le droit des contrats à un banal instrument au service de la compétitivité des droits. La commission des lois a globalement su résister à l'offensive libérale, mais pas complètement, puisque l'adoption d'une définition restrictive du contrat d'adhésion va contre le sens de la protection de la partie faible. Qui plus est, l'obsession de l'attractivité internationale du droit français des contrats ne doit pas être la boussole du législateur.

Au cours de la discussion du projet de loi, nous vous proposerons d'innover et de renforcer la justice dans les relations contractuelles. Première innovation : introduire une liste non limitative de dispositions qui relèvent du domaine de l'ordre public, préservant ainsi les pouvoirs du juge. Les rédacteurs de l'ordonnance se sont posé la question de cette réforme, mais en ont finalement abandonné le projet, ce qui est bien dommage. Au fond, renforcer et consolider l'ordre public tout en laissant au juge un pouvoir d'appréciation nous paraît nécessaire.

La deuxième innovation – vous reconnaîtrez là une des batailles que nous menons dans le cadre du projet de loi de finances et du projet de loi de finances rectificative – serait d'armer notre droit dans tous les domaines contre l'évasion fiscale – fraude ou optimisation fiscale abusive – en introduisant dans le droit commun la notion d'abus de droit fiscal. Concrètement, quand le non-paiement de l'impôt atteint des montants aussi considérables que ce que nous révèlent les Panama Papers, les Paradise Papers ou les LuxLeaks, cela veut dire que notre droit n'est pas assez armé pour faire respecter la règle républicaine fondamentale qu'est la contribution à l'effort commun, le consentement à l'impôt. Jusqu'au rétablissement de l'ordre fiscal républicain, il faut sans relâche légiférer partout où cela peut être utile. Il faut agir.

Enfin, nous proposons de renforcer la justice dans les relations contractuelles en rétablissant cet outil au service du juge qu'est la cause du contrat – raison pour laquelle deux parties contractualisent – et de l'obligation. Nous nous félicitons que les fonctions de la notion de cause soient consacrées et codifiées par l'ordonnance. Pour autant, nous pensons que cette notion doit rester littéralement dans notre droit pour que le juge dispose d'un instrument malléable de régulation des équilibres contractuels. Le droit des contrats se trouve confronté à des situations qui évoluent en même temps que la société, et il est préférable de maintenir la cause dans notre code civil.

En résumé, ce texte va dans le bon sens, sous réserve que notre assemblée résiste à toute nouvelle offensive libérale et revienne à l'esprit de l'ordonnance. Si le texte prend ce chemin, nous le voterons.

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