Intervention de Jean-Baptiste Gourdin

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 14h05
Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Jean-Baptiste Gourdin, directeur général des médias et des industries culturelles :

Je suis accompagné d'Alexandre Koutchouk, qui travaille spécifiquement sur le droit voisin au sein de la DGMIC et de Yannick Faure du service des affaires juridiques et internationales qui dépend du secrétariat général du ministère de la culture. En effet, les sujets de propriété intellectuelle relèvent de la compétence du secrétariat général.

Le droit voisin est pour nous au service d'un principe plus général défendu par le ministère de la culture. Ceux qui créent des œuvres de l'esprit et ceux qui financent leur création doivent être rémunérés par ceux qui tirent un profit commercial de leur circulation et notamment de leur circulation en ligne. C'est un principe que nous avons défendu dans les instances européennes au moment des négociations sur la directive portant sur le droit d'auteur. Dans le secteur de la presse, il revêt une importance toute particulière car il apporte une contribution essentielle au pluralisme des idées et à la qualité du débat public, dans un contexte de diffusion de fausses informations ou d'une information « bas de gamme », qui ne repose pas sur les mêmes exigences de fiabilité, de vérification des faits, de profondeur de la qualité d'analyse ou de contextualisation.

Par ailleurs, le modèle économique traditionnel de la presse est basé sur deux piliers, qui connaissent tous les deux une érosion structurelle qui ne date pas d'aujourd'hui. Les ventes, par abonnement ou au numéro, subissent la désaffection croissante d'une partie du lectorat pour la presse papier. Les ventes au numéro généraient un chiffre d'affaires de 6 milliards d'euros en 2000 et de 4 milliards d'euros en 2020. L'essor des modèles payants en ligne est réel mais il ne compense pas la baisse des ventes de la presse papier, en raison de l'effritement du consentement à payer des internautes pour des contenus en ligne dans un contexte d'abondance de l'information gratuite. Parallèlement, les recettes publicitaires sont très attaquées puisqu'elles sont passées de 5 milliards d'euros en 2000 à 2 milliards en 2020, en raison du transfert massif de la valeur des médias traditionnels (presse, télévision, radio) vers la publicité numérique et notamment la publicité personnalisée.

Les outils de régulation conçus pour protéger la presse contre la télévision sont aujourd'hui inefficaces pour les protéger des nouveaux médias dominants que sont internet et les réseaux sociaux. La presse ne capte qu'une part infime de la croissance de la publicité en ligne, presque intégralement accaparée par un duopole de géants du numérique qui disposent de capacités de personnalisation et de ciblage sans comparaison avec celles que peuvent déployer les acteurs de la presse qui reste très dépendante des outils publicitaires de ces géants du numérique.

Cette crise du modèle économique fait peser un risque sur la capacité des éditeurs de presse et des agences à proposer une information de qualité, que ce soit à titre gratuit ou payant. Le ministère de la culture est attaché à la coexistence de ces deux modèles. Le modèle payant parce que la meilleure garantie d'indépendance d'un titre de presse c'est de dépendre de ses lecteurs. Le modèle gratuit, financé par la publicité, parce qu'il est important, pour des raisons évidentes d'accès à l'information, que ces modèles continuent à exister.

Le droit voisin est une des réponses à cette crise du modèle économique de la presse en lui permettant de compléter les revenus perçus des lecteurs et des annonceurs par une troisième source perçue auprès des intermédiaires qui bénéficient de la circulation des contenus en ligne. Cependant, le droit voisin n'est pas la seule réponse à apporter à la crise que traversent les médias traditionnels. En parallèle, il est nécessaire de poursuivre la transition numérique, développer des offres payantes attractives et diversifiées et reconquérir la publicité en ligne. Cette reconquête passe par des outils de régulation qui sont actuellement en discussion au niveau européen dans le cadre du Digital Market Act (DMA) et du Digital Services Act (DSA).

Le droit voisin n'a donc pas vocation à se substituer aux deux piliers de l'économie traditionnelle mais de les compléter, dans un premier temps dans des proportions assez modestes. Les sommes évoquées se chiffrent probablement en centaines de millions d'euros mais restent très inférieures aux milliards d'euros perçus à travers les recettes publicitaires et les ventes au numéro ou par abonnement.

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