Intervention de Grégory Emery

Réunion du mardi 20 octobre 2020 à 18h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Grégory Emery, conseiller sécurité sanitaire au ministère des solidarités et de la santé :

Je ne peux pas répondre à la place de la ministre. Je peux vous dire quels furent mes actes mais, pour la bonne raison qu'une instruction judiciaire est en cours, je ne peux pas engager ma responsabilité sur des faits dont je n'ai pas été témoin ou qui n'ont pas été portés à ma connaissance.

Ai-je personnellement, sur la période courant d'octobre 2018 à janvier 2020, cherché à m'enquérir de la situation des stocks stratégiques de masques ou des autres stocks ? La réponse est non. Ai-je reçu une alerte ? La réponse est non.

Vous m'interrogez ensuite, de manière générale, sur le stock de masques. Je vais m'attarder sur un point important, à savoir la doctrine d'utilisation de ces masques. Vous avez auditionné, dans le cadre de cette mission d'information, le professeur Stahl, qui a été extrêmement précis dans ses déclarations.

Fin janvier et en février, les discussions se déroulent dans un contexte de large consensus sur le fait que le port du masque chirurgical – j'insiste sur le mot « chirurgical » – est réservé aux personnes malades et à leurs proches. Ce n'est pas Agnès Buzyn qui le décide ; nous reprenons l'avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) du 1er juillet 2011 qui préconise le port du masque antiprojections chirurgical pour les sujets malades et l'usage d'un appareil de protection respiratoire de type FFP2 pour les personnels directement exposés à un risque élevé, notamment les personnels de santé.

La question des masques FFP2 fait l'objet de la note du 6 février du directeur général de la santé, dans laquelle il demande l'accord du cabinet pour constituer un stock de 29,5 millions d'unités ; il recueille l'accord du cabinet le 7 février. Dès fin janvier et en février, des commandes de masques FFP2 sont passées par Santé publique France, qui rencontre des difficultés liées à l'état du marché et à sa reconcentration : tous les pays, à l'époque, cherchent à acquérir ce type de masques. Des échanges ont lieu avec la DGS et Santé publique France indique qu'elle ne pourra recevoir que d'ici à fin avril 7 millions de masques FFP2 et identifie une phase critique. Le Premier ministre prend alors la décision, le 23 février, d'accélérer massivement les commandes de masques et valide le lancement d'une procédure centralisée d'achat de 200 millions de masques FFP2 par Santé publique France. Dès lors, nous passons à une stratégie d'achat plus offensive.

Vous faites référence à des propos d'Olivier Véran, qui avaient déjà été cités par son prédécesseur, sur le fait que nous disposions de millions de masques chirurgicaux pour la population. Je me suis permis de faire un petit exercice de pédagogie. (M. Grégory Emery montre aux membres de la commission deux documents.) Ces deux documents ont pour objet de vous montrer dans quel ordre de grandeur nous nous situons. Dans son rapport, le professeur Stahl a bien indiqué que le nombre de 1 milliard de masques n'était pas une cible mais un besoin, dans le cas d'une vague épidémique de trois mois. Du reste, dans son avis de 2011, le HCSP indique qu'il y a fort à parier que la vague épidémique ne durera pas plus de trois mois – ce qui montre bien que le raisonnement que nous avons tenu pendant une dizaine d'années sur un virus à tropisme respiratoire a volé en éclats à l'occasion de cette crise. Si nous retenons l'hypothèse d'un stock de 1 milliard de masques pour couvrir 20 millions de personnes – il s'agit précisément des éléments qui figurent dans le rapport –, au moment où le ministre et la ministre s'expriment – voyez mes documents, qui retiennent, pour l'un une hypothèse de 100 millions, pour l'autre une hypothèse de 150 millions de masques –, on couvre soit 2 millions, soit 3 millions de malades. Les chiffres d'hier soir sont les suivants : 910 277 cas confirmés en France.

Au moment où les ministres s'expriment, en janvier et en février, la question du masque chirurgical se pose dans un cadre de pensée selon lequel ce type de masque doit être porté par les malades et les cas contacts de ces malades. Il n'y a donc pas de ministre qui n'ait pas été informé et qui n'ait pas eu conscience de l'état des stocks. Le ministre Olivier Véran rencontre, le lendemain de sa prise de fonctions, le 18 février, l'ensemble des professionnels de santé. Il est fait état des stocks de masques chirurgicaux, ainsi que de l'absence de masques FFP2. Voilà des éléments factuels. Les ministres, dans leurs différents discours de janvier et de février, ont comme référence : « masque chirurgical égal personne malade ».

La recommandation, notamment par l'OMS, du port du masque dans la population n'interviendra que beaucoup plus tard. Le 6 avril 2020, celle-ci indique, dans ses orientations provisoires : « Aucune donnée ne montre actuellement que le port du masque (médical ou d'un autre type) par les personnes en bonne santé dans les espaces collectifs, y compris s'il est généralisé, peut prévenir les infections par des virus respiratoires, dont celui de la covid-19. Les masques médicaux doivent être réservés aux soignants. Le port du masque médical dans les espaces collectifs peut créer un faux sentiment de sécurité et amener à négliger d'autres mesures essentielles, comme l'hygiène des mains et la distanciation physique, inciter les personnes à se toucher le visage ou les yeux, entraîner des coûts inutiles et priver de masques les soignants, qui en ont le plus besoin, surtout en cas de pénurie. »

Les propos auxquels vous faites référence ont été prononcés à un moment donné, dans un contexte donné, en fonction des connaissances du moment.

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