Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 26 janvier 2022 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance :

Puisqu'il s'agit sans doute, comme vous l'avez rappelé, de notre dernière audition par la commission des finances de l'Assemblée nationale, au moins pour ce quinquennat, je profite de l'occasion pour vous remercier personnellement, monsieur le président, ainsi que M. le rapporteur général et l'ensemble des membres de la commission, de la majorité comme de l'opposition, pour la qualité des débats que nous avons eus depuis cinq ans. Nous n'avons pas toujours été d'accord. Nous avons eu, au cours de ces cinq années, des débats parfois vifs, mais toujours respectueux des positions des uns et des autres, ainsi que des personnes. Sur des sujets aussi importants que les finances publiques ou la situation économique du pays, ce respect mutuel doit nous inspirer pour les années à venir et je vous adresse mes remerciements les plus sincères et les plus chaleureux pour le travail que nous avons accompli ensemble.

J'ai le sentiment que nous rendons aux Français une économie solide, attractive et créatrice d'emplois. J'ai, avec la majorité, le sentiment du devoir accompli, à l'aune de la mission qui était la nôtre : transformer notre économie pour lui permettre de mieux réussir au XXIème siècle et de créer des emplois – ce qui était, il y a cinq ans, la première préoccupation des Français.

Quelle est la situation économique de la France ? La croissance sera supérieure aux 6,25 % que nous avions envisagés pour 2021. Je ne redoute pas les effets du variant omicron sur la croissance pour 2022 : il a perturbé certaines activités, notamment l'hôtellerie, la restauration et l'événementiel, et a eu un impact sur l'organisation des chaînes de valeur, mais je considère qu'il n'aura pas d'impact systémique sur la croissance française, dont nous maintenons la prévision à 4 % pour 2022.

Certes, les hôtels, les restaurants, les bars, les boîtes de nuit, l'événementiel, les traiteurs, les salles de sport continuent à souffrir des mesures de restrictions sanitaires et je confirme que nous maintiendrons le soutien aux secteurs affectés par la crise jusqu'à la levée de ces restrictions. Par ailleurs, nous avons pris les mesures nécessaires, dans le cadre d'un accord de place conclu entre la Fédération bancaire française, l'État et le gouverneur de la Banque de France, pour que le remboursement des prêts garantis par l'État (PGE) puisse être décalé de six mois ou étalé sur une période allant de six à dix ans, pour les entreprises présentant les difficultés de remboursement les plus importantes. Cette décision était très attendue par un certain nombre de très petites entreprises (TPE).

L'emploi se porte bien également, comme l'indiquent les derniers chiffres du chômage. Le taux d'emploi des 15-64 ans est de 67 %, soit le chiffre le plus élevé depuis cinquante ans. En cinq ans, nous avons créé 1 million d'emplois dans notre économie. Les derniers chiffres parus sont très clairs.

Une croissance et un taux d'emploi élevés amènent des recettes fiscales supplémentaires pour 2021 : 20 milliards de plus que les prévisions que nous avions établies. Ces 20 milliards ne sont pas une cagnotte. Au demeurant, il n'y a pas de cagnotte quand on a une dette publique qui se monte à 115 % du PIB.

Nous avons donc pris la décision, avec le Premier ministre et le Président de la République, de consacrer l'intégralité de ces recettes à la réduction du déficit et de la dette publics. Par conséquent, en 2021, le déficit public devrait passer de 8,2 % du PIB à un peu plus de 7 % et la dette publique devrait passer de plus de 115 % du PIB à 113 %.

Dans cet environnement économique, quels sont les risques auxquels l'économie française est confrontée ? J'en vois deux principaux.

Le premier est le risque sanitaire. Nous devons rester vigilants : la vaccination reste la meilleure protection, mais le covid-19 a suffisamment déjoué nos pronostics pour nous inciter à beaucoup de prudence et d'humilité.

Le second risque est l'inflation. Nous savons que nous devons vivre avec une inflation plus élevée que ce que nous avons connu jadis, au moins jusqu'à la fin de l'année 2022. Nous pensons que l'inflation devrait diminuer à partir de la fin de cette année 2022, le temps que les goulots d'étranglement provoqués par la forte reprise économique partout dans le monde se réduisent.

La raison principale de l'augmentation des prix, qui touche nos entreprises, les ménages et les consommateurs, est l'énergie. Elle y contribue pour plus de la moitié, ce qui appelle des réponses fortes de notre part.

C'est ce que nous avons fait, avec le Premier ministre Jean Castex. Les mesures annoncées par le Gouvernement depuis plusieurs semaines représentent pour l'État un effort financier de 15,5 milliards d'euros. J'aimerais tordre le cou à l'idée selon laquelle l'État se met de l'argent dans les poches en cas de crise énergétique : en l'espèce, il protège les consommateurs, ce qui lui coûte très exactement 15,5 milliards d'euros. Cette somme correspond aux dépenses induites par l'indemnité inflation, l'augmentation du chèque énergie, le gel des prix du gaz, le plafonnement des tarifs de l'électricité à 4 % et l'augmentation, qui vient d'être annoncée par le Premier ministre, du barème de l'indemnité kilométrique.

La question énergétique, qui est la question géopolitique la plus importante des années à venir, a pour unique solution de long terme le renforcement de l'indépendance énergétique de la France. C'est pourquoi nous avons décidé de construire de nouveaux réacteurs nucléaires, comme l'a annoncé le Président de la République, d'accélérer les investissements dans les énergies renouvelables et d'investir dans l'hydrogène, à hauteur de 7 milliards d'euros.

Nous avons aussi décidé d'ouvrir le débat à l'échelon européen. À nos yeux, le fonctionnement du marché européen de l'énergie est obsolète. Il est aberrant, aussi bien économiquement que du point de vue climatique, de payer l'électricité au prix marginal de l'ouverture des centrales à gaz à l'est de l'Europe. Cela n'a pas de sens : comment voulez-vous inciter les pays à développer des énergies décarbonées si vous les faites payer au prix du gaz, qui est une énergie carbonée ? Nous continuerons à livrer la bataille pour la réforme du marché européen de l'énergie.

Ces risques économiques sont aggravés par un risque géopolitique, en cette heure de tensions politiques à la frontière de l'Ukraine et de la Russie, lesquelles peuvent avoir une incidence sur les prix de l'énergie et sur la disponibilité du gaz. Je rappelle que le gaz russe représente 40 % des approvisionnements en gaz de l'Union européenne (UE).

Ces résultats économiques démontrent que la mission de transformation de l'économie a été remplie. Dans ces conditions, quelles sont les orientations vers lesquelles nous porterons notre action dans les semaines et, si le peuple français en décide ainsi, dans les années à venir ? Il me semble que la France doit défendre deux orientations majeures : produire plus et mieux d'une part, restaurer nos finances publiques d'autre part. Toute la difficulté de l'exercice sera de combiner cette hausse de l'investissement et cette restauration de nos finances publiques. Cette équation difficile vaut pour la France comme pour les autres États européens.

À l'évidence, il est indispensable d'investir aujourd'hui, sans quoi nous manquerons le train des nouvelles technologies, ce qui nous rendrait dépendants de la Chine ou des États-Unis. Ce sont des questions très pratiques qui se posent. Ainsi, il nous faudra de l'hydrogène vert pour décarboner notre industrie, notamment les aciéries et les cimenteries. Le produirons-nous nous-mêmes, parce que nous aurons investi dans des usines d'électrolyse, ou l'importerons-nous ? Pour garder une industrie automobile ou une industrie aéronautique, il faudra des semi-conducteurs. Allons-nous investir pour les avoir à notre disposition, en les produisant en France et en Europe, ou continuerons-nous à les importer de TSMC à Taïwan, de Samsung en Corée du Sud ou d'Intel aux États-Unis ? L'intelligence artificielle qui guidera nos véhicules autonomes sera-t-elle produite en France et en Europe ou dépendra-t-elle des géants du numérique américains ? Nos communications seront-elles guidées par des satellites russes, chinois ou américains, ou par des satellites mis sur orbite par des lanceurs français et européens ? Telles sont les questions qui se posent. Si nous n'investissons pas maintenant, demain il sera trop tard : nous serons dépendants des technologies chinoises ou américaines.

Mais dans le même temps, il faut impérativement restaurer nos finances publiques car, si nous devons faire face à une nouvelle crise, nous serons bien contents d'avoir les réserves financières nécessaires pour protéger les salariés et les entreprises comme en 2021.

Première grande orientation donc : produire plus et produire mieux. Cela suppose obligatoirement de relever le défi de restaurer une balance commerciale positive d'ici à dix ans. Il n'y a aucune raison que la France continue à voir se creuser son déficit commercial. Si nous renforçons notre indépendance énergétique, si nous améliorons la qualité de nos produits et si nous conquérons de nouveaux marchés, nous pouvons et devons rétablir notre balance commerciale extérieure, ce qui est essentiel pour la puissance économique de la nation française, chacun peut le comprendre, mais aussi pour réussir la décarbonation de notre économie.

Depuis dix ans, nous avons réussi à réduire nos émissions de carbone à l'intérieur de la France d'environ 100 millions de tonnes, mais nous avons beaucoup augmenté nos importations de tonnes de carbone de l'étranger. Par conséquent, si notre balance commerciale est déficitaire, nous perdons non seulement la bataille économique, mais aussi la bataille climatique. Il est donc nécessaire de se fixer ce défi de retrouver d'ici dix ans une balance commerciale positive pour la France. Cela suppose de produire plus, donc de garantir la protection de nos savoir-faire industriels, tout en bâtissant de nouvelles chaînes de valeur. Cela suppose de prendre certaines décisions, ce qu'a fait la majorité de manière constante depuis cinq ans.

La première d'entre elles a été de maintenir une fiscalité attractive. Nous sommes la seule majorité depuis 1990 à avoir engagé une baisse aussi significative des impôts. Fiscalité du capital, impôt sur les sociétés à 25 %, impôts de production : cette direction nous a permis de retrouver des marges de manœuvre économique et de commencer à restaurer une industrie en France. Car tous ceux qui défendent, comme nous sommes nombreux à le faire, la reconquête industrielle, ne doivent pas oublier que celle-ci suppose la reconquête de marges de manœuvre financières. L'industrie est capitalistique et même hautement capitalistique. Elle a besoin de moyens de financement pour se développer.

Produire plus, c'est également se fixer des objectifs dans certains secteurs, notamment avec nos partenaires européens, comme nous l'avons fait pour les semi-conducteurs, l'hydrogène et les batteries électriques. C'est enfin garantir la possibilité de produire avec une énergie décarbonée, ce qui rend impératif de continuer à investir dans le nucléaire et dans les énergies renouvelables.

Produire mieux, cela signifie accélérer la décarbonation de notre économie, en répartissant l'effort entre le public et le privé. Dans les aciéries, dans les cimenteries, dans toutes les industries qui doivent être décarbonées, nous estimons que l'effort public doit servir de levier au développement de l'effort financier privé. Par ailleurs, dès lors que nous demandons un effort de décarbonation à notre économie, il est indispensable d'instaurer un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, pour que nous n'importions pas des produits plus carbonés.

La seconde grande orientation que nous proposons, c'est le rétablissement de nos finances publiques. Tout d'abord, je voudrais écarter, en cohérence avec ce que je viens de dire, toute solution de facilité consistant à augmenter les impôts. Nous le refusons. Depuis 1990, les impôts, c'est le supplice de l'étrangleur ottoman pour les citoyens français : on les augmente petit à petit, jusqu'à étouffement. À un moment donné, c'est trop.

Nous, nous avons desserré l'étau ; nous avons rendu 52 milliards aux ménages et aux entreprises. Nous estimons que cette baisse des impôts favorise la consommation des ménages, qui n'épargnent plus pour faire face au risque d'augmentation des impôts, et offre aux entreprises des marges de manœuvre pour investir. Elle explique la croissance que nous connaissons à l'heure actuelle, au moins en partie. Elle est donc l'option que nous retenons.

Le rétablissement des finances publiques doit reposer sur trois piliers.

La croissance d'abord : c'est la priorité absolue, car elle permet d'améliorer le ratio entre dette publique et PIB. Plus le PIB est élevé, plus nous améliorons rapidement ce ratio. Or nous estimons qu'il n'y a aucune raison que l'UE et la France soient condamnées à avoir systématiquement un point de croissance de moins que les États-Unis. Nous devons dégager des marges de manœuvre dans ce domaine.

Le deuxième levier réside dans les réformes de structure. Nous les avons entamées s'agissant de l'assurance chômage et le Président de la République s'est engagé à réformer les retraites.

Le troisième levier a été proposé par le président et le rapporteur général de votre commission : merci à Éric Woerth et à Laurent Saint-Martin des lois organique et ordinaire dont ils ont permis l'adoption et des décisions qui ont été prises en matière de pluriannualité des finances publiques, car c'est la seule manière de donner de la visibilité à la réduction de la dépense sans brutaliser la fonction publique.

Enfin, il faut un calendrier. Nous savons que la politique monétaire se normalisera au cours de l'année 2022, lorsque la Banque centrale européenne (BCE) commencera à réduire ses rachats d'actifs, ce qui induira mécaniquement une augmentation progressive des taux d'intérêt auxquels nous empruntons de l'argent pour financer notre dette. Cette augmentation est anticipée. Nous avons prévu, dans le projet de loi de finances pour 2022, une augmentation de 0,75 point des taux d'intérêt sur la dette française à dix ans. Nous avions des taux négatifs, qui sont devenus nuls et qui sont aujourd'hui à 0,3 %. Nous avons anticipé l'augmentation progressive des taux d'ici à la fin de l'année 2022. Par ailleurs, la clause dérogatoire adoptée par les États européens au titre du pacte de stabilité et de croissance prendra fin au 1er janvier 2023. Il faut anticiper cette réalité financière nouvelle.

Dans ces conditions, nous devons parvenir à un déficit public inférieur à 3 % du PIB en 2027 et à un amortissement de la dette contractée à raison de l'épidémie de covid-19 d'ici 2042. Tel est le calendrier que nous vous avons proposé et qui a été adopté.

Bref, notre situation économique est solide et créatrice d'emplois. Elle nous permet d'envisager sereinement le rétablissement des comptes publics dans les années à venir.

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