Intervention de Laurent Nuñez

Réunion du mercredi 26 février 2020 à 14h05
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Laurent Nuñez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur, ancien directeur général de la sécurité intérieure :

Vous soulevez une question extrêmement importante. La radicalisation, ce que l'on appelle maintenant le séparatisme, n'est pas né en 2012 ; il ne sort pas de nulle part. Je vais avoir un propos un peu plus politique et rappeler que la radicalisation existait dans les prisons mais qu'il a fallu attendre 2014 pour que soit créé un bureau du renseignement pénitentiaire – je dis bien un bureau, alors qu'étaient incarcérés des djihadistes membres de Forsane Alizza et d'autres structures djihadistes. Nous avons créé un service du renseignement pénitentiaire et défini les protocoles d'action avec les services de renseignement. De même, le séparatisme, dans certains quartiers, n'a pas commencé il y a trois ans, comme je l'entends dire ici ou là, mais maintenant nous avons le courage politique de nous y attaquer. Le triptyque que vous évoquez ne se vérifie pas à tous les coups. Depuis 2014, nous nous sommes concentrés sur la radicalisation violente, la menace d'attentat, le risque de passage à l'acte. Le dispositif mis en œuvre vise à détecter les individus radicalisés et, parmi eux, ceux que l'on pense susceptibles de passer à l'action violente ; mais il est très difficile de dire avec certitude qu'un individu radicalisé est susceptible de passer à l'action violente ; ce n'est pas aussi simple que vous le dites. Il est exact que certains individus qui ont basculé dans la radicalisation violente étaient passés par des formes de séparatisme – c'est la théorie de plusieurs auteurs tels que Gilles Keppel et Hugo Micheron. Mais d'autres auteurs, qui ont raison aussi, je puis en témoigner d'expérience, évoquent des individus basculant dans la radicalisation violente sans être passé par une phase de séparatisme communautaire.

Nous continuons évidemment de nous occuper de la radicalisation violente, parce qu'il s'agit d'individus susceptibles de passer à l'action, et cela restera une priorité du Gouvernement et de la lutte anti-terroriste en général. Ce à quoi nous nous attaquons depuis février 2018, ce sont d'autres formes de radicalisation, ce qu'on appelle le séparatisme qui se manifeste dans certains quartiers, dans certaines structures, dans de simples commerces. Partout où l'on explique que la loi divine est supérieure aux lois de la République, il découle de ces assertions une somme de conséquences en matière de discrimination hommes-femmes, de scolarisation des enfants, d'atteintes à la liberté d'aller et de venir, d'atteintes à la liberté d'autrui – autant de conséquences susceptibles de donner lieu à des actions de police administrative telles que le contrôle des débits ou la fermeture de lieux de culte au titre de la violation de règles d'urbanisme ou de sécurité incendie. Ces conséquences peuvent aussi donner lieu à des actions pénales : on peut saisir le procureur de la République quand on l'estime justifié. Depuis l'année dernière, d'abord dans quinze quartiers et maintenant dans l'ensemble du pays, nous avons demandé aux services de l'État de s'attaquer à cette forme de séparatisme. Mais je vous invite à nouveau à la prudence : on ne bascule pas forcément de l'un vers l'autre.

En tout état de cause, il n'est pas acceptable que des gens disent, dans certains quartiers, sur une partie du territoire français, que la loi divine l'emporte sur la loi de la République. Nous allons nous y attaquer fermement mais avec beaucoup de prudence car, évidemment, la très grande majorité des musulmans de France pratiquent leur foi et leur culte de manière extrêmement respectueuse des règles de la République et sans causer de troubles à l'ordre public. La limite est celle du principe de laïcité : doit-on recruter comme fonctionnaires des individus connus pour ne pas respecter ce principe ? Tous les fonctionnaires sont astreints au respect des principes de neutralité et de laïcité, et ceux qui enfreignent ces règles s'exposent à des sanctions disciplinaires. Nous avons tous eu, dans nos services, des fonctionnaires qui, sans forcément se comporter d'une manière attestant d'une radicalisation violente, avaient une attitude heurtant les principes de liberté, de neutralité et de laïcité, et certaines mesures disciplinaires pouvaient alors être prises. Tel est le panorama et, je le redis, il faut être extrêmement prudent car le triptyque que vous avez mentionné ne se vérifie pas à tout coup.

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