Intervention de Stéphane Bredin

Réunion du mercredi 19 février 2020 à 16h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Stéphane Bredin, directeur de l'administration pénitentiaire :

Vous ne serez pas étonné d'entendre que le directeur de l'administration pénitentiaire ne partage pas nécessairement, sur ces sujets, l'opinion des syndicats. Je ne suis pas là pour faire plaisir à la base en expliquant qu'on va laver le cerveau des détenus radicalisés, grâce à un super-programme, en six mois. Personne ne sait faire cela et ne prétend plus le faire, au moins dans les pays qui ont un système juridique comparable au nôtre. La solution que proposent les syndicats – créer des établissements dans lesquels on rassemblerait les profils les plus dangereux, sans rien faire d'autre – n'est même pas défendue par leur base. Le travail de l'administration pénitentiaire ne peut se limiter à une gestion sécuritaire du terrorisme et de la radicalisation, ce qui nous ferait renoncer à toute ambition de prise en charge. En ce cas, le service public pénitentiaire, comme le temps de la peine, ne servirait à rien. De surcroît, les radicalisés sont pour certains des détenus de droit commun et effectuent parfois une peine très courte, sans rapport avec leur degré d'endoctrinement.

Nous ne renoncerons pas à faire du temps de la peine un temps utile, y compris sur la question de la radicalisation, au prétexte qu'il faudrait placer les détenus dans un grand tout indistinct. On mettrait ainsi dans le même sac un individu condamné pour apologie du terrorisme ou consultation habituelle de certains sites internet, un ancien du Groupe islamique armé (GIA), placé en maison centrale sécuritaire depuis 1995, et Salah Abdeslam : ça n'aurait aucun sens. Ce discours est, à mes yeux, la somme de plusieurs renoncements. Il part du principe que tous les détenus radicalisés et terroristes se valent et présentent le même niveau de risque. Or, le métier de l'administration pénitentiaire est d'évaluer le risque. On ne saurait comparer la probabilité de passage à l'acte de Salah Abdeslam, des « returnistes » du Rojava – qui reviendront peut-être en France, dans les mois qui viennent, endurcis par cinq ans de combat au Kurdistan ou en Syrie – et du petit délinquant, maillon d'une chaîne logistique ou auteur d'écrits sur un forum de la djihadosphère. Une même distinction doit être opérée pour les détenus de droit commun suivis au titre de la radicalisation. En adoptant une réponse strictement sécuritaire, on ferait de la prison, en toute connaissance de cause, une école, sinon du djihad, du moins de la radicalisation.

Vous remarquerez que telle n'a jamais été la réponse de l'administration pénitentiaire alors qu'elle a eu à faire face, depuis plusieurs décennies, à des vagues successives de terrorisme. Je ne mésestime pas, évidemment, les particularités du terrorisme djihadiste : on n'a jamais vu de Basques ni de Corses prosélytes, pas plus que de terroristes d'extrême-gauche, dans les années 1970, essayer de passer à l'acte contre le personnel pénitentiaire. Il y a des particularités qu'il faut traiter et qui appellent une réponse sécuritaire spécifique. Le problème des détenus basques était l'effet de groupe ; celui des détenus djihadistes est le passage à l'acte ultra-violent individuel. Je ne dis pas du tout qu'on sait faire aujourd'hui parce qu'on a su faire dans le passé : la réponse sécuritaire doit s'adapter, mais ne peut suffire. Les détenus radicalisés ne sont pas tous prosélytes comme un Djamel Begal, ni dangereux comme un Bilal Taghi, qui avait commis un attentat en détention, à Osny, le 4 septembre 2016.

Nous essayons de développer, depuis trois ans, la prise en charge des détenus, qui peut certes paraître modeste ou insuffisante – les syndicats, pour leur part, la déclarent inutile.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.