Intervention de Patrick Calvar

Réunion du mardi 28 janvier 2020 à 18h00
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Patrick Calvar, ancien directeur général de la sécurité intérieur :

N'ayant jamais servi à la DRPP, je ne saurais répondre à votre dernière question sur les failles ou les faiblesses qui auraient pu exister au sein de cette direction.

S'agissant des procédures appliquées à la DGSI, ce sont les mêmes que celles de la DGSE, où j'ai été directeur du renseignement. Le service de sécurité est extrêmement performant, et il n'hésite pas à prendre des mesures si la situation l'exige.

Je considère que la base pour un agent qui entre dans un service de renseignement c'est la formation, ce sont les stages initiaux. C'est dans ce cadre qu'on essaye d'inculquer la culture du renseignement, c'est-à-dire, avant tout, la discrétion, le secret.

La protection du secret fait évidemment l'objet de dispositions législatives et réglementaires, mais il faut aller au-delà : le secret doit entrer dans l'ADN des personnels du service. Il repose sur l'habilitation et le besoin d'en connaître, une notion très importante. Si on a des doutes sur une personne et que, après plusieurs vérifications, on remarque que celle-ci, dont le travail porte sur les Chinois, consulte des informations sur la Libye, on est en droit de s'interroger sur son besoin d'en connaître. Les vérifications sont toujours menées de façon graduée.

La formation est essentielle, car s'il n'y a pas une culture du renseignement au sein du service, vos agents sont plus exposés aux risques de fuites. Et ce n'est pas toujours le résultat d'un acte délibéré de divulgation. À notre époque tout le monde s'exhibe, et il est très compliqué lors des formations d'expliquer aux agents qu'ils ne doivent pas le faire, à plus forte raison s'ils travaillent pour un service extérieur. Bernard Émié, le directeur général de la sécurité extérieure, pourra vous en parler plus savamment que moi quand vous l'entendrez.

La première chose qu'on recommandait aux nouveaux agents était de ne pas s'exposer, mais dans notre société du numérique il est aujourd'hui un peu plus compliqué d'amener un jeune de 18, 20 ou 25 ans à changer ses habitudes. On essaie donc de leur faire comprendre qu'en communiquant sur leurs fonctions au sein de la DGSI ils font courir un risque au service et se mettent eux-mêmes en danger.

Après l'enquête d'habilitation, qui conditionne le recrutement d'un agent, il y a donc la période de formation. La hiérarchie a elle aussi un rôle important à jouer, car chacun a la responsabilité de rester attentif, de garder un œil sur ce qui se passe autour de lui. Vous rapportiez les constats qu'avaient pu faire certains collègues de Mickaël Harpon, mais pour que ces observations puissent aboutir à des vérifications, c'est un long processus.

Au risque de vous choquer, je dois vous dire que la culture du renseignement n'est pas une culture latine ; c'est une culture anglo-saxonne. Bien sûr, des efforts ont été réalisés, et la DGSE a longtemps été chef de file en la matière. Pour le dire simplement, la culture de la DST n'était pas celle des renseignements généraux ; elle était beaucoup plus secrète, parce que ses adversaires étaient autrement puissants.

J'ai mentionné la formation et la surveillance hiérarchique, mais une direction du renseignement doit aussi pouvoir s'appuyer sur un service dont la spécialité est de savoir si quelque chose d'anormal se passe en interne. Les retraits d'habilitation relèvent de la responsabilité du directeur général, qui appuie ses décisions sur les informations transmises par l'inspection générale.

Certes, de telles décisions ont souvent été critiquées, notamment par les syndicats, au motif qu'elles étaient arbitraires, voire racistes, ou du moins xénophobes, ou qu'elles ciblaient une certaine population. Mais un service de renseignement ne peut pas prendre de risque. Dès lors qu'on disposait d'un certain nombre d'éléments objectifs, il fallait nécessairement se séparer de la personne, ce qui n'impliquait pas obligatoirement pour celle-ci une procédure disciplinaire ou un ralentissement de la carrière. Cela signifiait seulement que sa place n'était plus dans un service de renseignement, ce qui est complètement différent. Une personne qui sortait du spectre pouvait ensuite, si elle avait commis une faute, faire l'objet de sanctions judiciaires ou administratives selon des procédures ad hoc.

J'ai omis de vous préciser que j'avais tenu à l'époque à ce que l'inspection générale de la sécurité intérieure ait une compétence judiciaire, à la fois pour protéger le secret, pour protéger les sources, et avoir une maîtrise totale de l'investigation afin de la mener jusqu'au bout.

Les décisions de retrait d'habilitation ont donc été critiquées, et certaines ont fait l'objet d'un recours hiérarchique, ce qui est compréhensible. Des recours judiciaires ont également été déposés lorsque nous avons retiré leur habilitation à des personnels employés par des organismes sensibles, ce qui est aussi du ressort de la DGSI.

Nous avons eu beaucoup de problèmes dans le nucléaire, par exemple, avec l'autorité judiciaire ou administrative, qui requérait de notre part des éléments, des précisions que nous ne pouvions dévoiler sans « griller » nos sources, si vous me passez cette expression.

Il y aurait sans doute des propositions à formuler pour faire évoluer le cadre. Je sais par exemple que certaines requêtes soumises au Conseil d'État transitent désormais obligatoirement par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) dès lors qu'un service de renseignement pourrait être impliqué ; c'est une disposition de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Cette possibilité pourrait être étendue aux plateformes aéroportuaires, au nucléaire, aux zones sensibles.

Il pourrait également y avoir un dialogue direct entre le service et le magistrat pour éclairer celui-ci dans sa décision. C'est d'ailleurs une pratique qui existe dans d'autres pays. N'ayant pas poussé plus loin la réflexion, je ne sais si une telle possibilité créerait un problème de constitutionnalité, mais il y a là quelque chose à faire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.