Intervention de Aminata Coulibaly

Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 14h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Aminata Coulibaly :

Nous venons d'entendre le témoignage d'un enfant vivant à l'hôtel. Il s'agit du vécu de la plupart des enfants ici. J'aborderai pour ma part l'action que nous avons menée. Je suis mère de trois enfants et hébergée à l'hôtel. Après que le Président de la République a annoncé, le 16 mars : « nous sommes en guerre et personne ne sera laissé de côté », le confinement et les mesures de continuité pédagogique d'école à distance ont suivi. J'ai pu faire la rencontre d'Annabelle Quillet dans le cadre de la distribution alimentaire. La continuité pédagogique a été le révélateur des difficultés scolaires que les enfants vivaient à l'hôtel. Les devoirs restaient dans le hall, sur la table de la réception, même lorsque le personnel d'accueil les remettait aux parents. J'ai été interpellée et ai mené mon enquête. Je me suis rendu compte que ces personnes étaient allophones, analphabètes ou très peu instruites. Je me suis sentie interpellée. Je me suis demandé ce que je pouvais faire à mon niveau, au-delà d'applaudir tous les soirs les soignants, pour aider ces enfants laissés de côté.

J'ai organisé au sein de l'hôtel des cours de soutien avec des personnes hébergées, que j'avais repérées et qui avaient la capacité d'aider ces enfants. Nous avons été épaulés par Annabelle. Les cours se sont mis en place et ont suscité un engouement véritable. Cela a permis, alors que les décrocheurs étaient déjà nombreux avant le confinement, d'arrêter la saignée, que d'autres ne décrochent pas, que ceux qui avaient perdu le goût de l'école se remotivent et que les enfants en ayant besoin soient soutenus. Nous avons pu encadrer 32 enfants pendant le confinement.

L'initiative se poursuit aujourd'hui. Elle a permis de faire ressortir que ces enfants avaient un véritable problème. Les parents ne comprenant pas le français ou ne possédant aucune notion de base ne peuvent pas aider leurs enfants pour les devoirs, si ceux-ci n'ont pas bien compris les consignes. Les enfants finissent par se désintéresser et le décrochage est clair. Nous souhaitons pallier cette insuffisance des parents. Nous essayons de le faire avec des personnes qui vivent à l'hôtel, afin de créer un certain vivre ensemble. Nous essayons de créer un élan de solidarité entre ces personnes vivant à l'hôtel mais également d'amener les personnes de l'extérieur à changer de regard sur la vie de ces enfants et à comprendre qu'ils ne veulent que réussir et être aidés. Nous avons rencontré des enfants très brillants, qui ne bénéficiaient pas de soutien. Nous avons compris que l'initiative ne pouvait pas se limiter au confinement. Nous avons donc décidé de nous constituer en association pour aider les enfants mais également les parents. En effet, cette initiative a créé un engouement et les parents se sont plaints que leurs enfants allaient mieux parler le français qu'eux. Nous avons donc étendu le projet aux parents, avec des cours d'alphabétisation. L'idée est de l'élargir à tous les hôtels sociaux. La vie en hôtel est très compliquée et nous pouvons aider les familles sur le plan scolaire.

J'aimerais enfin profiter de cette tribune pour évoquer le cas des enfants nouvellement arrivés en France, les primo-arrivants. Je ne suis pas spécialiste de l'enseignement mais le terrain nous a permis de voir que ces enfants bénéficient de quatre à six mois d'accompagnement, d'un an au plus. D'après ce que je sais, ceux-ci n'ont pas le droit de faire plus d'une année dans ces classes spécifiques appelées unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UP2A). J'ai eu l'occasion d'encadrer des enfants. Je citerai l'exemple d'une petite tchétchène de onze ans, qui est en sixième alors qu'elle ne parle pas un mot de français. Je lui ai appris l'alphabet, à se présenter et à dire bonjour. Le collège lui demande de faire des devoirs de compréhension de texte. Je me demande comment un enfant qui ne sait pas dire bonjour peut faire un tel exercice. Nous avons été confrontés à plusieurs cas de ce type. Cette situation est choquante et incompréhensible. Nous nous sommes tournés vers le rectorat et le Centre académique pour la scolarisation des enfants nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV). Il nous a été expliqué qu'en France, les enfants étaient scolarisés en fonction de leur âge. Si vous avez onze ans, vous devez être en sixième, peu importe vos connaissances de base. J'aimerais être le porte-parole des parents, afin de faire comprendre que cette situation n'est pas tolérable. Ces enfants risquent de décrocher. Après six mois en UP2A, intégrer une classe normale sans pouvoir s'exprimer démotive complètement. Ce système favorise le décrochage. Je lance un appel aux autorités pour que des réflexions soient menées et qu'un système plus approprié soit mis en place pour encadrer les enfants. Ceux-ci ne peuvent pas arriver en sixième sans connaître le français ni les bases. J'exhorte le ministère et les autorités à agir à ce niveau. Je suis contente de la tribune que vous nous offrez, je vous en remercie.

Pour finir, je dirais que si de grandes associations existent, les initiatives comme la nôtre gagneraient à être encouragées et valorisées. Pendant le confinement, nous avons vraiment peiné pour trouver du matériel. Nous avons contacté le dispositif « réussite éducative » au niveau de la mairie de Toulouse, sans jamais obtenir de réponse. Nous avions juste demandé un tableau pour pouvoir respecter les gestes barrières et être loin des enfants. Jusqu'à ce jour, nous n'avons pas pu avoir ne serait-ce qu'un tableau pour donner des cours de façon bénévole à des enfants. J'aimerais qu'au-delà des associations les plus importantes, qui réalisent un travail admirable, les initiatives informelles, développées au plus proche des populations, soient soutenues. La lutte contre le décrochage doit être menée à tous les niveaux. Nous sommes très proches de cette frange de population. Aujourd'hui, le Président de la République parle de la lutte contre l'obscurantisme. Je vous garantis que l'obscurantisme part de ces milieux, lorsque des communautés se retrouvent regroupées dans des hôtels, sans parler français. Sans la « lumière » apportée par le soutien scolaire, l'obscurantisme est garanti. Le soutien scolaire est important pour tous les enfants. Les associations qui luttent contre le décrochage doivent être encouragées.

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